Encore et toujours ce malentendu entre Jésus et les attentes des Juifs, jusque y compris ses disciples : comment se fait-il que tu ne vas te révéler qu'à nous et non pas au monde entier ? Le messie, forcément, c'est le monde entier qui devra l'envier au judaïsme, et l'envier au point de s'y soumettre. Mais non, Jésus ne parle pas d'un tel messie, qui pourrait devenir chef temporel. Le temporel, il le laisse gérer par les chefs temporels ; non qu'il n'ait rien à leur conseiller, bien au contraire, tout son enseignement en est rempli de cette attention à porter en priorité aux plus petits, aux plus pauvres, et de ne pas rechercher pour soi-même ces richesses, ces pouvoirs, mais uniquement dans une telle perspective de souci des autres : s'il n'y a pas là un programme politique ?!
Mais comment faire pour que chacun entre dans un tel état d'esprit ? Cela ne peut pas se décréter, cela ne peut venir que du fond du cœur, et c'est cela que Jésus vise : changer les cœurs. Cet appel-là, il s'adresse bien à tous, mais nulle contrainte ne peut y obliger, et c'est bien pourquoi il ne se révélera pas au monde entier, seulement à ceux qui y seront sensibles, qui comprendront, et y répondront, ceux qui seront saisis par son Esprit, cette même inspiration qui l'habitait, l'Esprit du Père, sa présence. C'est ainsi qu'apparaît dans cet évangile cette notion de l'Esprit comme prenant le relais du témoignage donné par Jésus, parce que de fait c'est cet Esprit qui l'animait lui et qui les animera eux aussi. Et comme il le disait hier, dans toute son humilité, ses successeurs pourront alors même faire de plus grandes choses que lui... même si ce sera aussi grâce à lui, grâce à l'initiation reçue de lui.
Que peuvent comprendre à tout ça ces disciples auxquels ce discours est censé avoir été adressé alors qu'ils en étaient encore à leurs attentes du messie politico-militaire, du messie au rôle temporel direct, du messie qui devrait pour commencer chasser les romains, établissant ainsi de manière retentissante aux yeux de toutes les nations la supériorité de YHWH sur tous les autres dieux ? La raison profonde du divorce entre le christianisme et le judaïsme est pourtant là, dans cette distinction entre temporel et spirituel, même si par la suite les chrétiens, en même temps qu'ils en venaient à diviniser Jésus, se mettaient aussi à viser au pouvoir temporel, revenant ainsi au mélange des genres dont ils auraient pourtant bien dû se défendre. Voilà deux faits dont il sera alors difficile de prétendre qu'ils seraient sans rapport l'un avec l'autre...
Comment ne pas voir en effet que c'est en plaçant Jésus dans un rapport unique avec la divinité qu'on a affaibli la réalité de la présence de Dieu en absolument tout le monde, laquelle donne à chacun pleine capacité à se diriger soi-même, sapant ainsi à la racine tout besoin de pouvoir temporel ? Il est vrai qu'on peut aussi envisager que les choses se soient passées dans le sens contraire, que ce soit d'abord l'affaiblissement de l'expérience de la présence de Dieu en chacun qui ait fait alors apparaître Jésus comme l'ayant vécue, lui, de manière indépassable et même, au final, d'une manière radicalement différente de la nôtre. Peu importe, au fond, d'ailleurs, on voit en tout cas que les deux sont bien liés, le besoin de pouvoir temporel avec la carence du vécu spirituel.
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« si vous m'aimez vous garderez mes commandements
et moi je prierai le Père
et il vous donnera un autre défenseur
pour qu'il soit avec vous pour l'éternité
l'Esprit de vérité
que le monde ne peut pas recevoir
parce qu'il ne le voit pas ni ne le connaît
vous le connaissez vous
car il demeure avec vous et il sera en vous
je ne vous laisserai pas orphelins
je viens à vous
encore un peu et le monde ne me verra plus
mais vous me verrez vous
car moi je suis vivant et vous serez vivants vous
en ce jour-là vous connaîtrez que moi je suis en mon Père
et vous en moi et moi en vous
qui a mes commandements et les garde
c'est celui-là qui m'aime
et qui m'aime sera aimé par mon Père
et moi je l'aimerai et me révélerai moi-même à lui »
Judas — pas l'Iscariote — lui dit
« seigneur ! qu'est-il arrivé ?
que tu vas te révéler à nous et non au monde »
Jésus a répondu et lui a dit
« si quelqu'un m'aime il gardera ma parole
et mon Père l'aimera
et nous viendrons à lui et ferons demeure chez lui
qui ne m'aime pas ne garde pas mes paroles
or la parole que vous entendez n'est pas de moi
mais du Père qui m'a envoyé
je vous ai dit ces choses demeurant près de vous
mais le défenseur
l'Esprit saint que le Père enverra en mon nom
celui-là vous enseignera tout
et vous remémorera tout ce que je vous ai dit moi »
(Jean 14, 15-26)