Voici le fameux passage où on apprend à quoi étaient censés servir les douze, pourquoi Jésus avait institué ce groupe : pour être les chefs des douze tribus d'Israël enfin rassemblées de nouveau... Effectivement, il ne faut pas se tromper sur cette histoire de "juger" les tribus ; s'il s'agissait de n'exercer que le pouvoir judiciaire, tel que nous le comprenons de nos jours, rien ne justifierait qu'il leur soit attribué des trônes pour exercer une telle fonction ! mais non, il faut comprendre ce "juger" dans le même sens que, avant qu'ils aient un roi, les hébreux ont eu ce qu'ils ont appelé des "juges", lesquels avaient en réalité un rôle tant de chefs militaires que de gouverneurs : on n'est vraiment pas loin des rois...
On imagine difficilement que ce soient les premiers chrétiens qui aient complètement inventé ce rôle prévu pour le groupe des douze, pas plus qu'ils n'aient inventé l'existence dudit groupe, mais on ne voit pas non plus quelle serait la cohérence d'un tel projet avec l'optique de Jésus vers la fin de sa vie, qui lui a fait dire à Pilate que son royaume à lui n'était pas de ce monde... La seule explication qu'on puisse alors trouver est qu'il y a eu évolution de sa pensée, entre les débuts et la fin de son ministère, et qu'il n'est même pas impossible que, dans ces débuts, il ait pu penser qu'il était bien le messie tel qu'il était espéré et attendu par ses coreligionnaires. Dans une telle perspective, l'instauration d'un groupe de douze personnes destinées à "régner" chacune sur une des douze tribus avait un sens.
Il sera ensuite difficile de dire comment il sera passé de cette perspective initiale, où le temporel était extrêmement intriqué au spirituel, à la perspective finale où ce qui prime avant tout est d'initier chacune et chacun à découvrir sa filiation divine, une perspective où le rapport personnel à Dieu devient premier, ce qui ne veut pas dire qu'il soit sans conséquence sur le temporel, mais au contraire c'est ce qui permet aussi à ce spirituel d'atteindre enfin à l'universel, car tant qu'il était lié au temporel, alors forcément il ne pouvait concerner qu'un groupe, une communauté (une "race", une nation, les hébreux, Israël). Comment donc un tel cheminement s'est-il fait dans l'esprit de Jésus, c'est ce qu'il est très difficile, sinon impossible, de deviner au travers des évangiles.
Nous avons déjà parlé de la multiplication des pains et de sa fin en queue de poisson qui initie un certain divorce entre Jésus, d'une part, et d'autre part les douze mais aussi les foules ; il y a là un indice pour le moins d'une distance qu'il a ou avait déjà prise vis-à-vis du rôle messianique tel qu'attendu par ses coreligionnaires, et il est possible aussi que la transfiguration, qui nous est racontée relativement peu de temps après la multiplication des pains, corresponde au moment où il a été définitivement sûr qu'il lui fallait bien rompre totalement avec cette perspective initiale qu'il avait pu avoir. Après le baptême, où une première infusion de l'Esprit l'avait lancé dans l'aventure, la transfiguration comme seconde infusion du même Esprit lui donnant cette fois la pleine clarté sur sa vocation : c'est une possibilité.
Dans ce passage ici, on notera en tout cas cette même prépondérance du spirituel sur le temporel dans la conclusion au sujet de : qui peut être sauvé ? "Pour les hommes c'est impossible, mais pour Dieu tout est possible" ne signifie pas, en effet, que puisque cela me serait impossible, il ne me resterait qu'à me croiser les bras et tourner les pouces en attendant que Dieu veuille bien le faire à ma place ! Non, Dieu nous laisse entièrement libre, il ne fera rien sans nous, sans notre concours, le chemin est donc là : à nous de nous mettre en route, de nous ouvrir à lui, à sa présence en nous ; entrer en relation avec lui, voilà bien le seul moyen, non par lequel je me sauverai moi-même, mais par lequel je lui permettrai de me et nous sauver.

Agrandissement : Illustration 1

et Jésus a dit à ses disciples
« amen ! je vous dis qu'un riche
entrera difficilement dans le royaume des cieux
et je vous dis même
il est plus facile à un câble
d'entrer dans un chas d'aiguille
qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu »
et l'ayant entendu les disciples
furent extrêmement choqués disant
« alors qui peut être sauvé ? »
et les ayant contemplés Jésus leur a dit
« pour les hommes c'est impossible
mais pour Dieu tout est possible »
alors répondant Pierre lui a dit
« voici que nous avons nous tout laissé
et t'avons suivi
qu'y aura-t-il donc pour nous ? »
et Jésus leur a dit
« amen ! je vous dis que vous qui m'avez suivi
quand lors de la régénération
le fils de l'homme se sera assis
sur son trône de gloire
vous serez assis vous aussi sur douze trônes
jugeant les douze tribus d'Israël
et quiconque a laissé
maisons
ou frères ou sœurs
ou père ou mère
ou enfants ou champs
à cause de mon nom,
recevra au centuple
et héritera de la vie éternelle
oui beaucoup seront
les premiers derniers
et les derniers premiers »
(Matthieu 19, 23-30)