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Billet de blog 20 septembre 2014

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Parabole tout-terrain

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Billet original : Parabole tout-terrain

Une foule nombreuse se réunit : de toute ville ils s'acheminent vers lui. Il dit par parabole : 

« Le semeur sort semer sa semence. Tandis qu'il sème, il en tombe au bord du chemin. Il est piétiné, et les oiseaux du ciel le dévorent. Et de l'autre tombe sur la pierre, il pousse, et se dessèche parce qu'il n'a pas d'humidité. Et de l'autre tombe au milieu des épines. Les épines poussent avec et l'étouffent. Et de l'autre tombe dans la bonne terre : il pousse, il fait du fruit au centuple. » En disant cela, il criait : « Qui a des oreilles pour entendre, entende ! » 

Ses disciples l'interrogent : « Qu'est-ce que c'est, cette parabole ? »  Il dit : « À vous, est donné de connaître les mystères du royaume de Dieu. Aux autres, en paraboles, pour que regardant, ils ne regardent pas, et qu'entendant, ils ne comprennent pas. 

« Ce qu'est cette parabole ? La semence, c'est la parole de Dieu. Ceux du bord du chemin sont ceux qui entendent. Puis vient le diable, il enlève la parole de leur cœur de peur qu'ils croient et soient sauvés. Ceux de sur la pierre, quand ils entendent, avec joie ils accueillent la parole. Ceux-là n'ont pas de racines : pour un temps, ils croient ; au temps d'épreuve, ils s'écartent. Ce qui est tombé dans les épines, ce sont ceux qui entendent, et les soucis, la richesse, les voluptés de la vie, en cheminant, les asphyxient : ils n'arrivent pas à maturité. Ce qui est dans la belle terre, ce sont ceux qui, dans un cœur beau et bon, entendent la parole, la retiennent, et portent du fruit à force d'endurance. »

Luc 8, 4-15

Nous connaissons bien cette parabole. Rapportée par les trois évangiles synoptiques, chez les trois elle est présentée comme étant la première de toutes les paraboles, raison pour laquelle la liturgie nous en fait lire les trois versions chaque année, alors qu'elles ne diffèrent pas tant que ça. C'est une parabole au second degré, une parabole qui parle de ce que c'est qu'une parabole. Il ne faut peut-être pas trop se focaliser sur le terme précis de 'parabole', qui signifie en réalité simplement 'comparaison'. Les paraboles, c'est donc ça, des petits récits de la vie concrète, qui sont là pour nous parler par allusion de réalités plus abstraites. Cette façon de procéder s'enracine dans la culture juive, du fait que leur langue n'a déjà pas de mots abstraits. Pour désigner un concept ou une idée, l'hébreux ou l'araméen utilisent plusieurs techniques, parmi lesquelles celle de prendre un mot du monde physique dont il soit entendu qu'il puisse avoir aussi une signification plus symbolique, et c'est le contexte alors qui permet de savoir de quoi on parle. Par exemple le mot 'souffle' qui désigne autant le vent, ou la respiration, que l'"esprit". Une autre technique consiste à utiliser le pluriel d'un mot pour parler de l'essence, du principe qui préside, aux cas particuliers désignés par ce mot. Ainsi du mot 'el', qui désigne un dieu, et qui dans son pluriel, 'elohim', désigne alors le principe même de divinité, en sorte qu'ici c'est le pluriel qui fait passer du polythéisme au monothéisme !

Quoi qu'il en soit, il est évident qu'exprimer un discours abstrait avec de telles langues relève vite de la gageure ! et qu'on est alors naturellement amené à utiliser de petites histoires pour dire que c'est "comme si...". Jésus n'a certainement pas inventé le principe du discours en paraboles... c'était une façon courante de s'exprimer parmi ceux, relativement peu nombreux quand même, qui réfléchissaient aux réalités spirituelles au-delà du seul héritage de la tradition. Mais un autre avantage aussi du parler en paraboles, est que ce qui est dit est compréhensible par tous, du moins qu'un certain niveau de compréhension est accessible à tous, de la simple petite histoire de la vie quotidienne qui nous fait dire "ah oui c'est bien vrai que ça se passe comme ça !" aux évocations les plus abstraites et symboliques. Les explications que nous donnent alors les évangiles sur les raisons pour lesquelles Jésus parlait en paraboles, ici comme leurs variantes dans les parallèles de Marc (4, 1-20) et Matthieu (13, 1-23), sont donc à prendre avec précautions, qui semblent accréditer, en vrac : qu'il y aurait une seule, unique, 'bonne' façon de comprendre les paraboles, que les disciples seraient détenteurs de cette 'bonne' interprétation, et enfin que ce serait volontairement que Jésus parlerait ainsi de façon voilée pour que "les autres ne comprennent pas"... On peut remarquer déjà la contradiction entre des disciples auxquels il serait censément "donné de connaître les mystères", donc qui auraient déjà tout compris tout seuls, mais qui réclament pourtant, et auxquels Jésus donnerait, l'explication officielle !

La réalité est qu'une parabole n'a pas de signification univoque, elle est précisément comme cette graine semée par le semeur, qui va donner en chacun des résultats, variables, mais dont il ne serait pas fondé de vouloir à tout prix les comparer. Je crois, pour ma part, que même la graine tombée au bord du chemin et emportée par les oiseaux aura servi au moins à ça : nourrir les oiseaux ! Chacun reçoit une parabole, et au-delà la parole de Dieu, à sa façon, et ce que donne cette parabole et cette parole en chacun est déjà ça, correspond à ce qu'il lui fallait et qu'il pouvait, et nous ne sommes pas dans un concours stakhanoviste où il s'agirait de mesurer des rendements. Une des meilleures façons de comprendre ceci est de sortir du champ de l'interprétation 'officielle' qui compare les terrains à différents types de personnes, pour les comparer à différents 'lieux' se trouvant tous en nous, ou à différents moments de notre vie. Nous pouvons alors comprendre que nous sommes tous plus ou moins réceptifs, de différentes manières, et que, dans le fond, une parabole est précisément comme une graine, qu'il faut lui laisser aussi le temps de germer sans trop chercher à savoir et juger de son effet, lui faire confiance. Une graine est une merveilleuse petite mécanique pleine de ressorts et de stratégies, s'il en est bien ainsi des paraboles, nul doute qu'elles trouveront en nous au moins un tout petit coin de "bonne terre" et qu'elles sauront, à partir de là, faire produire son fruit à tout le bonhomme.

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