Il s'agit de faire des choix, quand même, ou peut-être fondamentalement un choix et de s'y tenir. Ou bien on s'attache à ce monde tel qu'il est, on y trouve même toute satisfaction, et on va alors mettre tout en œuvre pour pouvoir en profiter un maximum, et peu importe si cela se fait au détriment d'autres, ou même sans aller jusqu'à être cause de leur malheur, on ne s'en sentira en tout cas pas concerné, on considérera que s'ils sont dans la mouise c'est qu'ils l'ont bien voulu, ou qu'ils se débrouillent, qu'ils s'assument, je ne suis quand même pas responsable de tout le malheur du monde !
Ou bien, sans cracher le moins du monde sur toutes les beautés et plaisirs qu'on puisse y trouver, on sent quand même que tout ceci n'est que le témoignage d'autre chose, des traces d'une réalité beaucoup plus profonde et infiniment plus riche encore, mais qui dépasse largement ce que nous puissions atteindre en cette vie-ci, et c'est alors que nous nous mettons en route tout de suite vers cet ailleurs, qui est pourtant en quelque sorte déjà là, mais seulement comme en prémices, à développer, à faire fructifier, notamment en œuvrant autant que faire se peut à rendre ce monde plus beau, en combattant contre tout ce qui le défigure, contre la misère, contre les guerres, contre l'exploitation des uns par les autres, contre le racisme, contre toutes les intolérances, etc., etc.
Tout se tient. Ce n'est pas ou l'un ou l'autre : ou je me construit ma petite spiritualité pour moi seul dans mon coin où je suis comme sur un petit nuage éventuellement même avec mon petit cercle qui vit la même chose, ou je me sens solidaire du reste du monde. Non ! on ne peut pas se sauver tout seul ainsi, ni se sauver dans sa petite secte, dans son petit troupeau, et basta ! Non ! mais il y a peut-être cependant un ordre, effectivement : d'abord y voir clair en soi, d'abord se connecter à la source, et ensuite seulement, une fois qu'on ne se leurre plus trop sur soi-même, alors on peut prétendre être utile à d'autres, comme dans la parabole de la paille et de la poutre.
Oui, il y a peut-être un ordre, comme dans la question sur le plus grand commandement : c'est d'abord aimer Dieu, d'abord se donner à lui, d'abord rendre toutes les armes et se mettre à nu devant lui, puisqu'aussi bien tous nos déguisements, toutes les feuilles de vigne derrière lesquelles nous cherchons à cacher notre nudité, ne sont rien pour son regard à lui ; et ensuite aimer les humains, amis comme ennemis, comme lui les aime, une fois que nous avons appris, une fois que nous avons expérimenté, cet amour-là qui vient d'ailleurs.
Mais il est certain que si on ne croit en rien d'autre que soi, alors notre vie ne peut pas avoir de sens, alors effectivement les ténèbres sont terribles en nous et pour nous, et pour toutes celles et tous ceux qui croisent notre chemin.

Agrandissement : Illustration 1

ne vous amassez pas de trésors
sur la terre
où ver et rouille détruisent
et où voleurs fracturent et volent
mais amassez-vous des trésors
dans le ciel
où ni ver ni rouille ne détruisent
et où voleurs ne fracturent pas ni ne volent
en effet là où est ton trésor
là aussi sera ton cœur
la lampe du corps c'est l'œil
si donc ton œil est clair
tout ton corps sera lumineux
mais si ton œil est mauvais
tout ton corps sera dans les ténèbres
alors si la lumière qui est en toi est ténèbres
quelles profondes ténèbres !
(Matthieu 6, 19-23)