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Billet de blog 21 août 2014

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Convives récalcitrants

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Billet original : Convives récalcitrants

Jésus prend la parole. De nouveau il leur parle en paraboles. Il dit : 

« Le royaume des cieux ressemble à un homme, un roi, qui fait les noces de son fils. Il envoie ses serviteurs inviter les invités aux noces... et ils ne voulaient pas venir.  De nouveau, il envoie d'autres serviteurs en disant : “Dites aux invités : Voici, j'ai préparé mon déjeuner. Mes taureaux et les animaux gras sont sacrifiés. Tout est prêt : venez aux noces !” Mais eux ne s'en soucient pas : ils s'en vont, qui à son champ, qui à son commerce. Les autres se saisissent de ses serviteurs, les insultent et les tuent. 

« Le roi en colère expédie ses troupes pour perdre ces meurtriers et incendier leur ville.  Alors il dit à ses serviteurs : “La noce est prête, mais les invités n'étaient pas dignes. Allez donc à l'orée des chemins, et tous ceux que vous trouverez, invitez-les aux noces !” Ces serviteurs sortent sur les chemins ; ils rassemblent tous ceux qu'ils trouvent, mauvais comme bons. Et la noce est pleine de convives. 

« Le roi entre observer les convives. Là, il voit un homme non vêtu d'un vêtement de noce.  Il lui dit : “Compagnon, comment es-tu entré ici sans avoir un vêtement de noce ?” Lui se muselle.  Alors le roi dit aux serviteurs : “Liez-le, pieds et mains, et jetez-le dehors, dans la ténèbre extérieure ! Là sera le pleur, le grincement des dents.” Car beaucoup sont appelés, mais peu, élus. »

Matthieu 22, 1-14

Une autre parabole rapportée par Matthieu. Celle-ci ne lui est pas propre, puisqu'on la trouve aussi chez Luc (14, 16-24). Il s'agit donc d'un matériau provenant de ce qu'on appelle la source Q, cette tradition antérieure dans laquelle ont puisé, tant Marc d'une part, que Matthieu et Luc aussi chacun de son côté. Je souligne cet aspect, parce que nous ne pouvons que constater que la version de Matthieu de cette parabole diffère substantiellement de celle de Luc. Comme il est considéré que Matthieu ne connaissait pas l'évangile de Luc, et réciproquement, c'est donc que au moins l'un des deux a modifié la source commune d'où ils l'ont chacun obtenue. Et ici, en l'occurrence, il semble que ce soit Luc qui soit resté le plus proche de l'original, et Matthieu qui a corrigé ce qui ne convenait pas à sa théologie dans le récit initial. Personnellement, cette version de Matthieu a toujours produit en moi une impression bizarre, semblant envoyer des messages contradictoires qui soufflent alternativement le chaud et le froid. Nous allons voir pourquoi il en est ainsi.

Il y a principalement trois différences entre le récit de Matthieu et celui de Luc, deux ajouts et une suppression. Premier ajout : le fait que dans les premiers invités, certains aillent jusqu'à tuer des serviteurs du roi, ainsi que la réponse guerrière de ce dernier. Nous savons d'une part que ces premiers invités symbolisent les juifs qui n'ont pas accepté la messianité de Jésus. Nous savons d'autre part que la communauté pour laquelle parle Matthieu est composée presque exclusivement de juifs qui ont reconnu Jésus comme étant le Messie, et qu'elle s'est de plus en plus trouvée en concurrence exacerbée avec ses coreligionnaires. Nous savons encore que la source Q témoigne de disciples qui agissaient dans un milieu plus ouvert aux païens, et surtout dans un contexte beaucoup moins tendu avec le judaïsme 'orthodoxe'. Nous savons enfin que Luc, pour sa part, écrit pour des communautés presque exclusivement composées de païens, et que la concurrence avec le judaïsme ne le touche guère. La conclusion est évidente : c'est Matthieu qui a dramatisé les réactions des premiers invités, en s'inspirant sans doute de la parabole des vignerons homicides, pour pouvoir glisser cette menace à l'égard de ses coreligionnaires, dans cette prédiction après coup de la destruction de Jérusalem.

Voyons maintenant la suppression. Après la défection des invités prévus initialement, chez Luc, le roi envoie ses serviteurs chercher de nouveaux invités à deux reprises. Une première fois "sur les places et dans les rues de la ville", et une seconde fois "sur les chemins et vers les clôtures". La ville est à nouveau Jérusalem, et symbolise à nouveau le peuple juif, Israël. Le roi envoie donc d'abord chercher de nouveaux invités juifs, mais, précise Luc, il s'agit cette fois de ramener "les pauvres, estropiés, aveugles, boiteux", autrement dit tous ceux qui étaient considérés comme pécheurs, contrairement aux invités censément dignes prévus auparavant. Et, comme il reste encore de la place, il envoie alors en-dehors de la ville — ce que veulent dire les chemins et les clôtures —, c'est-à-dire donc en direction des païens. La parabole semble donc parler explicitement d'une annonce de l'évangile aux païens. On pourrait alors s'interroger si ce ne serait pas, cette fois, une invention de Luc, puisque cette caractéristique semble faite pour lui et sa communauté païenne. Effectivement. Sauf que Matthieu a été malhabile, en parlant du roi qui a envoyé les serviteurs "aux débuts (ou aux carrefours) des chemins". Ce terme précis de 'chemin', qui désigne une voie de communication dans la campagne, par opposition à celui de 'rue', indique que Matthieu connaissait certainement la version originale avec les deux types de lieux de prospection. Ici, donc, c'est encore Matthieu qui a modifié l'original, en sorte que les 'chemins' ne puissent plus évoquer les païens, auxquels il ne s'intéresse pas.

Le second ajout de Matthieu, enfin, c'est tout le dernier paragraphe, avec l'homme qui n'a pas de vêtement de noce. Le roi a ratissé large, c'est Matthieu qui a alors déjà souligné que les serviteurs ont donc ramené "mauvais comme bons"... Mais cette complication n'est pas cohérente avec le principe de base de l'histoire. La défection des invités initiaux a consisté à purement refuser l'invitation du roi : les invités de rattrapage en avaient aussi la possibilité ("tous ceux que vous trouverez, invitez-les") ! C'était donc là simplement l'objet de l'histoire, sur les thèmes largement développés en de multiples occasions dans les évangiles, de l'annonce de la bonne nouvelle bien accueillie par  les 'petits' quand les 'sages et savants' la rejettent, et aussi bien accueillie par les païens quand des juifs la rejettent, la particularité ici étant que les deux thèmes sont réunis dans un seul récit, ce que je crois être un cas unique. La remarque de Matthieu, qui vise à avertir qu'il ne suffit pas d'avoir entendu l'appel, mais qu'il y a une réponse concrète à lui donner, est corroboré aussi par de nombreux autres passages des évangiles, mais n'a pas vraiment sa place dans ce contexte, achevant, s'il en était besoin encore, de brouiller le message original de la parabole.

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