
Billet original : Joie sans mélange
« Comme m'a aimé le Père, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour.
« Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit en plénitude. »
Jean 15, 9-11
Nous avions avant-hier la paix de Jésus, voici aujourd'hui sa joie ! Le moins qu'on puisse dire, c'est que le thème de la joie n'est guère central dans la proclamation chrétienne. On peut la voir pourtant, au sortir de messes dominicales, parfois au cours de certaines eucharisties festives. Ce n'est donc pas qu'elle nous soit complètement étrangère, mais elle est étrangement assez absente des paroles de nos rituels, et peu abordée par notre théologie. Il est vrai qu'il faudrait commencer par mieux définir de quelle joie il s'agit ici pour Jean. Est-ce la joie de la fête foraine, ou des sorties en boîte du week-end ? Est-ce la joie de l'enfant qui a fait plaisir à ses parents, ou d'une promotion professionnelle longtemps attendue ? Ces joies peuvent s'approcher de celle dont parle l'évangéliste, elles peuvent y participer, mais elles ne suffisent pas à la définir. Pour comprendre vraiment de quelle joie nous parlons, nous allons devoir un peu anticiper, et sauter au chapitre 16 versets 20 à 24, où Jean développe pleinement le thème.
Dans ce passage, il s'agit à nouveau de la tristesse des disciples due au départ de Jésus, et celui-ci leur demande d'endurer et faire confiance. C'est comme une femme qui accouche, leur dit-il. Avant, elle est dans la peur et les tremblements, pensant qu'elle n'y arrivera pas et qu'elle va y passer. Après, elle est dans cette joie d'avoir mis au monde un nouvel être ! Nous voyons qu'il ne s'agit donc pas d'une petite joie de rien du tout ! Pas une joie exubérante, en général. Mais une joie profonde, qui la dépasse, parce qu'elle a participé à l'œuvre de création de Dieu. Une joie reçue, qui la traverse, venant de plus loin qu'elle, mais qui est bien la sienne aussi. Le thème qu'a utilisé l'auteur pour parler de cette joie nous entraîne alors presque automatiquement à cet autre thème qu'il avait abordé au début de son évangile, celui de la seconde naissance. Oui, ce n'est pas dans ce contexte que nous sommes actuellement. Ici, dans ce discours d'adieu de Jésus, la joie dont il est question est celle que les disciples éprouveront quand ils retrouveront Jésus revenu ressuscité. C'est à cet événement que le texte de Jean le lie plus spécifiquement. Mais nous avons vu que, pour Jean, retour de Jésus et venue de l'Esprit sont deux événements très similaires et parallèles, presque interchangeables. La comparaison avec la femme qui accouche nous autorise donc à l'interpréter aussi ainsi : cette joie, c'est celle que nous éprouvons lorsque nous naissons de l'Esprit, et non plus seulement de la chair.
Et voici qui explique, peut-être, pourquoi ce thème de la joie a peu été retenu dans les thèmes du discours chrétien tel que nous le connaissons aujourd'hui. Le thème de la paix est pourtant aussi lié à la seconde naissance, à la venue de l'Esprit. Paix et joie en sont donc deux fruits, mais ils ne nous sont généralement pas donnés en même temps. En premier vient la paix, comme une assise, comme une base, de notre nouvelle condition. Sur cette assise, c'est tout l'homme ancien qui va progressivement se trouver pacifié. C'est rarement une opération instantanée ! peut-être en a-t-il été ainsi pour les disciples du temps de Jésus, ou pour certains, d'un seul coup complètement renouvelés. Sans doute cela se produit-il encore parfois, mais je crois que, le plus souvent, il nous faudra du temps. Cela a été mon cas, personnellement, et alors la joie ne vient que progressivement aussi, plus tard. Et vraisemblablement est-ce là la raison pour laquelle le thème de la joie de Jésus est nettement moins prégnant dans le discours chrétien que celui de sa paix. Cette joie profonde, donc, pas exubérante, mais qui permet de garder son humour dans les mauvais moments, et qui nous évite de devenir ces barbons austères de toute la somme de leur savoir, comme s'ils portaient à eux seuls tout le poids du monde. Cette joie qui nous permet de retrouver l'esprit d'enfance de celui qui s'émerveille de tout, parce que tout dans sa vie devient effectivement sujet à l'émerveillement. Voilà cette joie de Jésus, puissions-nous tous y parvenir !