Servir Mammon, cela signifie servir la richesse, placer la richesse au-dessus de tout comme objectif dans sa vie. Les évangiles fonctionnent souvent sur le mode tout ou rien, et nous invitent donc à l'inverse : ne se faire absolument aucun souci matériel, ne pas se préoccuper de savoir ce qu'on mangera le lendemain ni de quoi on se vêtira la saison prochaine... Il y a des personnes qui vivent ainsi, comme à l'aventure, faisant confiance à la providence. Mais dans certains cas cela ressort du refus de s'assumer, on compte sur papa maman, sur les ami.e.s, ou sur la société.
Dans les premiers temps du christianisme, dans les communautés fondées par Paul, il y avait mise en commun des biens de tous. Et comme on pensait que Jésus reviendrait très prochainement, certains se contentaient de vivre sur ces fonds communs, sans rien faire de leurs dix doigts ou de leurs deux bras, en sorte que Paul dut mettre les points sur les "i" : ceux qui ne veulent pas travailler, qu'ils ne mangent pas non plus...! On voit donc que, pour lui, il s'agissait d'être quand même un minimum cohérent, d'avoir un minimum de bon sens.
Ne pas s'inquiéter pour la nourriture ni le vêtement ne signifie pas redevenir des bébés qui n'auraient rien d'autre à faire que d'ouvrir le bec pour qu'il se trouve rempli par l'opération du saint Esprit. Ce n'est pas dans ce sens-là qu'il faut prendre le texte ici de Matthieu, mais il se veut par contre une mise en garde contre l'excès inverse, quand de tels soucis deviennent le seul horizon de nos vies, c'est-à-dire quand nous n'en finissons pas d'en vouloir toujours plus, toujours mieux ; nourriture toujours plus raffinée, vêtements toujours plus luxueux, voilà ce que signifie servir Mammon, lui donner notre âme.
Parce que, ce faisant, non seulement nous gaspillons notre vie en futilités, comme si mets fins et riches tissus étaient réellement une perspective qui puisse jamais nous satisfaire (et on sait bien que c'est faux, qu'on y trouvera toujours quelque défaut ou nuance à corriger et améliorer), mais de plus cette course aux richesses ne pouvant se faire sans exploiter la force de travail des autres, on empêche alors ceux-là d'avoir seulement la possibilité de faire autrement, eux, que de s'inquiéter pour ce qu'ils pourront manger le lendemain...! Ainsi, non seulement on ne cherche pas soi-même le Royaume, mais on le rend même inaccessible à d'autres qui, eux, pourraient souhaiter le chercher.
On a beau faire, mais ce thème de l'argent est bien comme un leitmotiv dans les enseignements de Jésus, parce que réellement comme le dit la formule initiale ici (mais comment ne pas le comprendre ?) : on ne peut pas servir et Dieu et Mammon, on ne peut pas servir et l'esprit et la matière ; si notre être tient des deux, il y a cependant un choix à faire, lequel prime pour nous, sans mépriser pour autant l'autre. Manger, nous défendre du climat, sont des nécessités, mais si c'est au prix de toute amitié, de toute fraternité, de toute solidarité, comme le riche dans la parabole du pauvre Lazare, ce jeu en vaut-il encore la chandelle ?
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personne ne peut servir deux seigneurs
en effet soit il haïra l'un et aimera l'autre
soit il sera attaché à l'un et méprisera l'autre
vous ne pouvez servir Dieu et Mammon
c'est pourquoi je vous dis de ne pas vous inquiéter
pour votre vie — que mangerez-vous ou que boirez-vous ?
ni pour votre corps — de quoi le vêtirez-vous ?
la vie n'est-elle pas plus que la nourriture
et le corps que le vêtement ?
regardez les oiseaux du ciel !
qu'ils ne sèment ni ne moissonnent ni n'amassent dans des greniers
et votre père du ciel les nourrit
n'êtes-vous pas beaucoup plus précieux qu'eux ?
et qui d'entre vous peut en s'inquiétant
ajouter à son existence une seule enjambée ?
et pour le vêtement pourquoi vous inquiétez-vous ?
remarquez les lis des champs comment ils croissent
ils ne peinent ni ne filent mais je vous dis que même Salomon
dans toute sa gloire n'a pas été habillé comme l'un d'eux
alors si Dieu habille ainsi l'herbe du champ
qui est aujourd'hui là et demain jetée au feu
combien plus pour vous croyants de peu !
donc ne vous inquiétez pas en disant
que mangerons-nous ou que boirons-nous ou de quoi nous vêtirons-nous ?
car tout cela les non-juifs le recherchent
car votre père du ciel sait que vous avez besoin de tout cela
mais cherchez d'abord le royaume et sa droiture
et tout cela vous sera ajouté
donc ne vous inquiétez pas pour demain
car demain s'inquiétera de lui-même
à chaque jour suffit sa peine
(Matthieu 6, 24-34)