D'un côté il se produit d'innombrables signes : au minimum toutes les guérisons de malades ou d'infirmes. De l'autre, certains viennent quand même lui demander de faire un signe exprès pour eux ; ici ce sont des scribes et des pharisiens, ailleurs c'est Hérode. Quelle différence y a-t-il entre les uns et les autres ? pourquoi ces signes se produisent-ils dans certains cas et pas dans d'autres ?
Une première remarque est que les uns sont dans un besoin existentiel : les infirmes comme les malades souffrent, que ce soit physiquement, ou moralement parce qu'ils ne peuvent pas tenir leur place, apporter leur concours à la production de biens minimale nécessaire pour leur survie, en sorte qu'ils sont un poids pour leur famille ou pour la société. Et justement, tous les signes qui nous sont rapportés concernant Jésus se produisent dans un tel cadre, quand il y a un besoin plus ou moins vital, ne serait-ce que pour la dignité de ceux qui vont en bénéficier. Ceci ne signifie pas forcément qu'ils aient alors automatiquement été exaucés. Les évangiles ne nous rapportent pas de cas où cela ne se soit pas produit, mais il y a celui du fils épileptique où Jésus ne s'y est résolu qu'à contrecœur, permettant de supposer qu'il y a quand même eu un moment où il a pu cesser de se prêter à ces guérisons, parce qu'il avait compris que cela, en fait, infantilisait les gens, sans compter que lui-même cela le menait à la croix.
Ces scribes et ces pharisiens, par contre, comme Hérode, ne souffrent de rien, sinon seulement de ne pas croire vraiment en Dieu, autrement dit de ne pas le connaître. Dieu n'est pour eux qu'une idée, un concept, qui régit la vie de la société, qui leur permet d'ailleurs d'y tenir un rôle du côté de ceux qui profitent du système, mais pas plus. Ce n'est pas nécessairement qu'ils soient cyniques ! ils le sont quand même en partie, mais plus ou moins, même Hérode a des doutes, on sait qu'il était très superstitieux. Dans le fond, s'ils demandent un signe, c'est surtout avec l'espoir non formulé que Jésus s'y essaiera mais y échouera, ce qui leur permettra de le rabaisser aux yeux de ses aficionados, et de plus de se trouver ainsi délivrés de leurs propres doutes, du malaise qui les hante quand même très vaguement quelque part bien caché : se trompent-ils sur le compte de ce soit-disant prophète-ci, se pourrait-il que l'Esprit de YHWH soit quand même sur lui, comme le pensent ces foules, se pourrait-il que YHWH existe vraiment ?
De nos jours, qu'y a-t-il de changé ? Bon gré mal gré, le christianisme est quand même basé sur le principe, révolutionnaire par rapport au judaïsme de son temps, que cette présence de l'Esprit n'est pas réservée à seulement quelques uns par ci par là au cours de l'histoire du peuple hébreu. Dans les tout débuts ce sont de nombreuses personnes qui en ont bénéficié, et même si les récits, des Actes des Apôtres notamment, peuvent avoir été enjolivés, on trouve au moins dans les écrits de nombreux "pères" de l'Église, des témoignages sur leur foi personnelle qui ne peuvent pas tromper, je pense ici particulièrement pour ma part à ceux qui disent expérimenter la présence de Dieu en eux comme étant leur être même le plus intime. Et il ne s'agit pas là juste d'idées, de concepts, du genre de ceux des scribes et des pharisiens concernant Dieu, ils parlent bien de ce qu'ils ressentent, de ce qu'ils vivent, pas de ce qu'ils ne feraient que croire.
Or, si le christianisme peut prétendre à une originalité par rapport au judaïsme dont il est issu, elle réside uniquement et absolument là ! et s'il est quasiment moribond dans nos pays soit-disant à l'avant-garde de la modernité, c'est tout simplement parce qu'il ne tient plus du tout cette promesse... et si nombre de gens déçus par cette situation se tournent vers les spiritualités orientales, c'est avec le sentiment que elles, peut-être, n'ont pas perdu cette même visée, ce qui est certain.

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alors certains des scribes et des pharisiens
lui répondirent en disant
« maître ! nous souhaitons voir un signe de toi »
mais répondant il leur a dit
« une génération mauvaise et adultère
recherche un signe
et de signe il ne lui en sera pas donné
sinon le signe de Jonas le prophète
car comme Jonas était dans le ventre du monstre marin
trois jours et trois nuits
ainsi sera le fils de l'homme dans le cœur de la terre
trois jours et trois nuits
les hommes de Ninive se lèveront au jugement
avec cette génération
et ils la condamneront
parce qu'ils se sont convertis
à la prédication de Jonas
et voici qu'il y a plus important que Jonas ici
la reine du Midi se réveillera au jugement
avec cette génération
et elle la condamnera
parce qu'elle est venue des confins de la terre
entendre la sagesse de Salomon
et voici qu'il y a plus important que Salomon ici »
(Matthieu 12, 38-42)