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Billet de blog 22 août 2014

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Dans l'ordre de l'amour

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Billet original : Dans l'ordre de l'amour

Les pharisiens entendent qu'il a muselé les sadducéens. Ils se rassemblent en groupe, et l'un d'eux, un homme de loi, l'interroge pour l'éprouver : « Maître, quel est le grand commandement dans la loi ? » 

Il lui dit : « “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton intelligence.“ Tel est le grand et premier commandement.  Le deuxième lui est semblable : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.” À ces deux commandements toute la loi est suspendue, et les prophètes. »

Matthieu 22, 34-40

Voilà, nous sommes maintenant à Jérusalem. En y arrivant, après l'entrée 'triomphale', dont il est peu aisé de savoir ce qu'il en a été réellement, Jésus est censé s'être rendu directement au Temple, d'où il a chassé les vendeurs. C'était comme une déclaration de guerre aux autorités religieuses, qui avaient inventé récemment cette innovation, que le commerce lié à l'activité sacrificielle puisse se tenir à l'intérieur de l'enceinte sacrée, sur l'esplanade, alors qu'auparavant il devait rester à l'extérieur. Puis Jésus est reparti à Béthanie, dans les faubourgs, pour y passer la nuit. En revenant le lendemain dans le même Temple, on peut se douter qu'il y était attendu ! S'ensuivent donc des déclarations de principe, de sa part, et les différents partis de ses adversaires se succèdent pour tenter de le mettre en difficulté. C'est là que les sadducéens lui ont posé leur fameuse colle de la femme épousée successivement par sept frères, et comme Jésus s'est tiré aisément de leur piège, c'est maintenant au tour des pharisiens de tenter leur chance.

Pour bien comprendre le sens de cette "passe d'armes", il faut nous remettre en mémoire quelques caractéristiques de l'enseignement et des actions de Jésus au cours de son ministère galiléen, et particulièrement des paroles comme "ce n'est pas l'homme qui est fait pour le sabbat, mais le sabbat qui est fait pour l'homme". Dans une telle affirmation, mais aussi par tous ses actes, Jésus a replacé l'homme comme priorité, avant tout précepte ou commandement religieux. Ce faisant, il a semblé relativiser l'importance de Dieu comme source de ces règles et lois. C'est ce que veulent lui rappeler les pharisiens : quel est le plus grand de tous les commandements de la Loi ? Ils savent très bien quelle est la seule réponse correcte, celle que Jésus ne pourra éviter, sauf à se disqualifier lui-même. Jésus le sait bien aussi, et il leur donne satisfaction dans un premier temps : le plus grand de tous les commandements est l'amour de Dieu "de tout son cœur, de toute son âme, de toute son intelligence". C'est effectivement le premier des commandements du décalogue, n'importe quel juif sait ça par cœur. Les pharisiens sont donc tout prêts à lui sauter dessus, pour lui demander des comptes sur son comportement dans les faits, à faire passer les hommes avant Dieu.

Mais Jésus ne leur en laisse pas le temps, il ajoute aussitôt dans sa réponse ce deuxième commandement, de l'amour du prochain, qu'il déclare ici, chez Matthieu, être 'semblable' au premier ! Toute la nouveauté de la bonne nouvelle de Jésus est là. Logiquement, comme deuxième commandement, on aurait pu s'attendre au deuxième du décalogue, mais ce n'est pas le cas. L'amour du prochain se trouve bien dans la Torah, mais pas dans les dix 'paroles' données par Dieu à Moïse ! En le citant ici, et en lui donnant la même importance que le premier commandement du décalogue, Jésus chamboule en réalité de fond en comble les bases de la foi juive. Bien que, formellement, il laisse la prééminence à ce premier commandement du décalogue, c'est quand même l'ensemble de ces dix paroles dont il relativise finalement l'importance. Ils sont 'semblables', dit-il. On ne peut pas prétendre aimer Dieu si on n'aime pas son prochain, et inversement, si on aime son prochain alors, par le fait même, on aime Dieu. Le thème sera largement développé dans les premières épitres chrétiennes, en sorte qu'il peut nous sembler à nous, aujourd'hui, naturel et évident, mais il ne l'était pas du tout à l'époque de Jésus ! Et encore, quand je dis qu'il nous semble évident aujourd'hui, on peut se poser la question quand on voit une certaine restauration qui se fait depuis quelques décennies dans le catholicisme romain...

Toute la nouveauté de Jésus est là, dis-je, mais il ne l'a pourtant pas sortie d'absolument nulle part. Il ne l'a pas complètement inventée, c'était déjà en ce sens qu'avaient évolué au moins quelques uns de ses coreligionnaires, et précisément, en fait, des pharisiens, ceux-là qui lui avaient donné son instruction religieuse dans son enfance, et qu'il a certainement continué de fréquenter par la suite ! Les pharisiens n'étaient effectivement pas un bloc monolithe. Leur caractéristique commune était d'accepter une interprétation, une exégèse, de la Torah (par rapport aux sadducéens qui la refusaient catégoriquement), mais certains la faisaient dans un sens très juridique et pointilleux, produisant tout un corpus de règlements détaillés limite kafkaïen, quand d'autres allaient dans le sens d'une lecture plus spirituelle, au-delà de la lettre. C'est donc de ces derniers que Jésus a 'hérité' cette nouveauté, même s'il est vraisemblable voire certain que c'est lui qui a poussé la logique jusqu'au bout. La version parallèle de cet épisode qu'on trouve chez Marc (12, 28-34) en donne un témoignage, puisque après l'énoncé par Jésus des deux commandements, son interlocuteur le félicite de les avoir associés ensemble !

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