Billet original : Mer des paraboles
En ce jour-là, Jésus, sorti de la maison, était assis au bord de la mer. Des foules nombreuses se rassemblent près de lui, si bien qu'il monte en barque et s'assoit. Toute la foule se tient sur le rivage.
Il leur parle de beaucoup de choses en paraboles. Il dit : « Voici : le semeur sort pour semer. Tandis qu'il sème, il en tombe au bord du chemin. Les oiseaux viennent et les dévorent. D'autres tombent sur les pierrailles, où ils n'ont pas beaucoup de terre : aussitôt ils lèvent parce qu'ils n'ont pas de profondeur de terre. Le soleil se lève : ils sont rôtis, et, parce qu'ils n'ont pas de racine, ils sont desséchés. D'autres tombent sur les épines. Les épines montent et les étouffent. D'autres tombent sur la belle terre et donnent du fruit : l'un, cent, l'autre, soixante, l'autre, trente.
« Qui a des oreilles entende ! »
Matthieu 13, 1-9
Nous retrouvons un Matthieu un peu plus structuré que ces derniers jours, puisque nous entamons aujourd'hui une série de sept paraboles. Sur ces sept, quatre lui sont propres, et toutes portent sur le Royaume. Mais prenons d'abord le temps d'étudier le descriptif introductif, lui aussi est presque une parabole, et pour une fois que c'est Matthieu qui nous donne plus de détails concrets que Marc... "Jésus sort de la maison" : il s'agit de la maison de Pierre, à Capharnaüm, bourgade du bord du lac de Tibériade. Nous pouvons imaginer une ambiance de littoral comme nous les connaissons. Toute la vie de la ville est orientée vers ce plan d'eau, l'activité économique est essentiellement la pêche. Et, tout naturellement, en sortant de la maison Jésus se dirige vers le rivage, il fait quelques pas en regardant au loin sur l'eau, en humant les odeurs, puis il s'assoit face aux deux immensités du ciel et de la mer, et il médite. Mais comme souvent, il ne reste pas longtemps seul. D'autres passants s'arrêtent, et d'autres venant de la ville (peut-être était-il sorti discrètement, en catimini ?), et Jésus va faire son boulot, parler, faire rêver, enseigner. Comme la foule est devenue nombreuse, il monte dans une barque, s'éloigne un peu, et là, avec l'eau qui porte sa voix, il peut leur parler, à tous, et chacun peut le voir et l'entendre. Marc (3, 9) nous laisse entendre que ce dispositif, Jésus montant dans une barque pour s'adresser à une foule, lui était plus ou moins habituel, puisqu'il avait demandé qu'une barque soit toujours prête pour lui.
Chez les trois synoptiques, cette parabole du semeur est présentée comme la parabole inaugurale, celle qu'il faut entendre en premier. La raison de cette place accordée à cette parabole nous sera donnée un peu plus loin, mais nous pouvons déjà tenir que c'est parce que cette parabole nous explique ce qu'est ...une parabole. Il ne faut pas croire que Jésus ait inventé cette forme de récit qu'est la parabole, mais il est possible qu'il ait été le premier à en faire un usage aussi important, au point qu'on doit considérer que c'était le fruit d'une volonté de sa part, d'un choix raisonné. C'est qu'il avait un message déroutant à transmettre. En ces cas-là, entrer dans des exposés rationnels n'est pas la meilleure méthode pour se faire comprendre, la raison trouve toujours des objections à soulever, et on en arrive pour finir à se perdre sans espoir de retour dans une montage de détails, insignifiants au regard du cœur du message. Jésus le savait bien pour avoir reçu sa formation religieuse par les pharisiens, dont beaucoup s'abîmaient avec délices dans de telles arguties à longueur de temps. Mais il est donc vraisemblable que ce soit aussi d'autres pharisiens qu'il ait appris l'utilisation des paraboles, tant le pharisaïsme n'était vraiment pas un groupe homogène. Quoi qu'il en soit, l'intérêt de la parabole est précisément là : elle ne se situe pas dans le domaine du discursif mais du symbolisme.
Le parler symbolique ne s'adresse pas à l'intelligence en premier, contrairement au discours qui ne cible qu'elle. Le parler symbolique s'adresse à la personne entière, dans toutes ses dimensions. Nous le savons bien, dès que nous essayons de raisonner sur une parabole, nous en arrivons vite à des impasses. Nous disons : on ne peut pas pousser une parabole trop loin. Mais nous ferions mieux de dire : on ne devrait pas pousser du tout une parabole. C'est en tout cas ce que nous dit la parabole du semeur. À condition que nous commencions par oublier son explication officielle qui sera donnée plus tard ! Rien ne nous oblige à prendre cette explication officielle comme 'la' bonne, ni la seule. Elle n'est pas nécessairement sans intérêt, mais je pense que si cette parabole nous est donnée comme celle qui ouvre l'accès à toutes les autres, c'est bien parce qu'elle nous parle de comment fonctionne une parabole, à savoir comme un semeur. Et la semence que sème la parabole en nous va sans doute rencontrer d'abord du terrain peu propice à sa fructification. Ce n'est pas grave ! Le semeur le sait, mais il ne s'y arrête pas, faisons comme lui : la parabole ne nous parle pas, laissons-la faire son chemin en nous, ne la forçons pas, ne la torturons pas, laissons-lui le temps, laissons-lui nous révéler son secret quand elle sera prête... Le semeur est prodigue, il aura peut-être un long chemin à parcourir, beaucoup de terres rocheuses ou de landes épineuses à couvrir, mais il ne se découragera pas, continuant de semer jusqu'à ce qu'il trouve la bonne terre, celle que nous avons tous, quelque part, en nous, prête à accueillir convenablement la semence. Ainsi fonctionne une parabole, si on la laisse agir.