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Billet de blog 23 octobre 2014

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Le feu de la discorde

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Billet original : Le feu de la discorde

« Un feu ! Je suis venu le jeter sur la terre ! Et comme je voudrais que déjà il soit allumé ! Un baptême ! J'ai à être baptisé ! Et combien je suis oppressé jusqu'à ce qu'il soit accompli ! 

« Vous croyez que j'arrive donner la paix sur la terre ? Non, je vous dis : mais la division ! Car, dès cet instant, cinq dans un seul logis seront divisés : trois contre deux, deux contre trois. Divisés : père contre fils, et fils contre père, mère contre fille, et fille contre mère, belle-mère contre épouse, épouse contre belle-mère ! »

Luc 12, 49-53

Après les textes de ces deux derniers jours, qui évoquaient clairement une perspective d'instauration du Royaume par le retour définitif du Jésus ressuscité, nous revenons à des textes qui, tout en nous parlant toujours plutôt du temps d'après la résurrection, ne gardent plus en ligne de mire la parousie finale. Après la résurrection : pour la première péricope, propre à Luc, ce sont ces deux thèmes du feu (pour parler de la venue de l'Esprit) et du baptême (comme symbolisant la mort de Jésus) qui nous le disent, ce sont des images qui n'ont pu être développées que par les premiers chrétiens. Pour la seconde péricope, partagée avec Matthieu (10, 34-36), c'est la situation décrite, de toute une population divisée au sujet de Jésus, qui correspond bien mieux à ce qui s'est effectivement passé par la suite, avec la rivalité croissante entre "la synagogue et l'église", que du vivant de Jésus, où la ligne de partage se situait plutôt entre quelques élites et le peuple. Bien sûr, une petite note comme "dès cet instant" (ou "dès ce moment", ou "désormais", selon les traductions) essaie de faire comme si c'était bien Jésus qui avait prononcé ces paroles, c'est la règle du genre, que seul Luc, d'ailleurs, toujours plus soigneux que Matthieu dans ce domaine, a pensé à ajouter.

Le feu est le langage utilisé par Luc, notamment dans les Actes des Apôtres, pour parler de la venue de l'Esprit, c'est-à-dire de cet événement qui a transformé des hommes anéantis par la mort de leur rabbi et la perte de toutes leurs espérances, très politiques et terrestres, en de quasi ressuscités eux aussi, avec de nouvelles espérances, encore relativement terre-à-terre, mais quand même nettement plus spiritualisées. Il est difficile de savoir ce qui s'est passé exactement, si ce n'est que tout semble indiquer un processus de deuil qui a débouché sur une compréhension tout-à-fait nouvelle de ce que Jésus avait, vainement, essayé de leur expliquer de son vivant. En ce sens, évidemment, Jésus aurait pu prononcer cette phrase. Il a espéré ardemment tout du long de son ministère trouver quelqu'un qui le comprenne ! Mais c'est plutôt le mot 'feu', dont on ne voit pas qu'il ait fait partie de son vocabulaire à ce sujet, et qui est donc ici spécifiquement lucanien. Le mot baptême, utilisé pour parler de la mort de Jésus, ne se retrouve pour sa part, avec le même sens, que chez Marc (10,38). Ce thème n'a de sens que lorsqu'on sait que Jésus a été effectivement ressuscité, après sa mort, ce dont lui-même n'avait aucune idée avant que ça ne lui arrive... pas plus qu'il ne savait que ce qu'il avait vainement essayé de transmettre finirait par 'prendre', être plus ou moins compris, et donner naissance à toute l'histoire qui s'en est suivie. Luc nous parle donc, dans cette péricope, d'une théologie déjà très évoluée, sur la mort et résurrection de Jésus, d'une part, sur la réception de son message qui s'est produite par la suite, et encore sur le lien entre les deux événements. Quand il fait dire à Jésus qu'il 'doit' être baptisé, c'est aussi une interprétation : c'est comme ça que les choses se sont passées, mais on ne voit pas qu'il y ait eu de nécessité intrinsèque à ce que Jésus meure pour que quelques uns commencent à comprendre de quoi il avait parlé...

Après ces assertions théologiques, la seconde péricope détaille maintenant un aspect de cette période de propagation du 'feu'. Du vivant de Jésus, il n'est pas très crédible d'envisager de tels clivages à une échelle importante. Jésus a plutôt été d'abord plébiscité, globalement, par la Galilée, tandis que la Judée ne savait même pas qu'il existait, à part les autorités. Le désamour de la même Galilée a ensuite été aussi plutôt global. Côté Judée, il est délicat de savoir si Jésus a eu un impact dans la seconde partie de son ministère. Jean a tendance à parler d'un rejet "des juifs" (en réalité : des 'judéens', c'est le même mot qui peut avoir les deux sens). Cela a certainement été le cas des autorités religieuses, peut-être aussi de la majorité du reste de la population, dont l'économie dépendait de l'activité du Temple, mais il est tout autant possible qu'elle soit plutôt restée indifférente. De toutes façons, les critères, que ce soit en Galilée ou en Judée, n'étaient pas de nature à faire éclater les consensus familiaux. On était sur un Messie et un message politiques, pas sur un appel à une conversion personnelle, à un changement aussi radical que la conception d'un Dieu qui parle à chacun personnellement. Ce marqueur, des divisions qui peuvent survenir au sein d'une famille, est important. Il signe une dimension essentielle du message chrétien, qui ne peut s'adresser qu'à chacun, personnellement, même si l'institution ecclésiale a pu l'oublier par la suite, et finit maintenant par être obligée d'y revenir.

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