S'aimer les uns les autres comme lui l'a fait : en leur consacrant sa vie, en la donnant pour eux, en se sacrifiant ; il ne s'agit pas nécessairement d'aller jusqu'au martyr ! Mais cela suppose quand même d'avoir suffisamment de détachement par rapport à soi-même pour comprendre que notre moi, notre personne, n'est pas ce qui importe le plus en nous, et d'ailleurs, que cela n'existe même pas en soi, par soi-même, que cela ne vient pas de moi mais m'a en premier été donné. En fait, si on parle ici de donner sa "vie", le mot grec est cependant "psyche", ce n'est donc pas seulement de son corps mais aussi de son âme, son psychisme, de tout son être, qu'il est question.
Faire cela n'est alors possible que si on sait, si on connaît, d'expérience et non pas seulement de croyance, que ce corps et cette âme, notre personne, n'est pas le tout de ce que nous sommes ; si on sait, si on connaît, d'expérience, cet autre qui nous habite, cet autre qui est notre être véritable, Dieu, que Jésus appelait le Père, son Père, notre Père. À partir de là, oui, on devient capable, si cela peut servir à quelque chose, de sacrifier ce qu'on doit bien qualifier de notre être second, notre personnalité. Si cela peut servir, comme Jésus l'a fait, donnant ainsi le témoignage implicite, comme en sous-entendu, de la présence de cet autre en lui.
Il l'avait déjà révélé au cours de sa vie, laissant transparaître cette présence, comme par transparence : qui le voyait voyait le Père, ce qu'il disait c'était ce que le Père voulait dire, ce qu'il faisait c'était ce que le Père voulait faire, mais eux étaient tellement loin de tout cela (et, à leur place, nous aurions été comme eux, il ne faut pas se raconter d'histoires), qu'après le leur avoir dit et redit, et ici encore, il fallait qu'il leur en donne le témoignage final, la clé qui scellait ses paroles, qui leur permettrait, peut-être, de les pénétrer enfin, de les comprendre, la preuve dans les faits : oui, il pouvait littéralement donner sa vie pour eux.
C'est pour cela que dans cet évangile de Jean, il n'y a pas à proprement parler de Passion, on ne nous montre pas un Jésus souffrant, ou si peu, à peine une allusion. Bien sûr, on n'imagine pas que cela ait été une partie de plaisir, mais ce n'est pas cela qui intéresse l'auteur, ce n'est pas un supposé rachat au prix de souffrances au-delà de toute imagination possible, c'est simplement ce témoignage de sa certitude, de son savoir, de sa connaissance, que ce qui meurt de nous, quand nous mourons, est parfaitement secondaire ; non sans intérêt ni utilité, mais second ; ce qui importe, c'est l'esprit, qui n'est pas la même chose que la pensée, le mental, les sentiments ; l'esprit qui n'est pas le psychisme, et non plus le corps évidemment...
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tel est mon commandement
que vous vous aimiez les uns les autres
comme je vous ai aimés
personne n'a de plus grand amour que celui-ci
de consacrer sa vie à ses amis
vous êtes mes amis
si vous faites ce que moi je vous commande
je ne vous appelle plus des serviteurs
parce que le serviteur ne connaît pas
ce que fait son seigneur
mais je vous ai dits des amis
parce que tout ce que j'ai entendu de mon Père
je vous l'ai fait connaître
n'est-ce pas vous qui m'avez choisi
et non moi qui vous ai choisis ?
et je vous ai établis
afin que vous alliez et portiez du fruit vous
et que votre fruit demeure
aussi quoi que vous demandiez au Père en mon nom
il vous le donnera
tout ce que je vous commande
c'est que vous vous aimiez les uns les autres
(Jean 15, 12-17)