Nous entamons une autre de ces tranches de saucisson qu'affectionne particulièrement Matthieu. On se rappelle qu'il y avait eu une de ces tranches, de trois chapitres, entièrement consacrée à l'enseignement des foules, suivie d'une tranche, de deux chapitres, nous rapportant une dizaine de miracles, elle-même suivie d'une tranche, d'un chapitre, consacrée à l'enseignement des douze disciples. Eh bien, voici maintenant une tranche de paraboles, un chapitre entier consacré aux paraboles. Inutile de préciser que, dans toutes ces collections de matériaux concernant Jésus rassemblés par genres, il serait vain de chercher à discerner une histoire, une évolution, de la pensée de Jésus, alors qu'il est évident qu'étant un être humain, vraiment humain, il est inévitable que la connaissance et la compréhension qu'il avait de sa vocation aient progressé au cours de sa vie, qu'il ne savait pas tout à l'avance de ce qu'il ferait, penserait, enseignerait, etc.
À mon sens, cet aspect de sa personne est essentiel à rechercher et mettre en lumière, faute de quoi on passe complètement à côté de cette nature humaine, qu'on affirme pourtant véhémentement par ailleurs. Matthieu ne nous y aide donc vraiment pas avec son procédé de regroupement de matériaux. Ceci dit, il faut reconnaître que les indications que nous donnent les autres évangélistes, bien qu'il y en ait un peu plus, ne sont quand même pas simples à extraire, tant cette préoccupation était en réalité complètement absente de leurs objectifs. Pour eux, à l'époque où ces documents ont été rédigés, la question de l'historicité de Jésus ne se posait pas, personne ne mettait en doute qu'il y avait bien eu un homme qui avait vécu en Israël, il n'était pas question d'aller imaginer qu'il n'aurait été qu'une fiction littéraire, et pas non plus un pur esprit avec seulement une apparence humaine, une marionnette !
C'est pour nous, qui venons tant de siècles plus tard, que le doute peut s'instaurer, d'une part, et d'autre part que, tout ce qu'on nous dit de sa pensée nous donne l'apparence d'une sorte d'instantané, comme s'il s'agissait d'un corpus qui lui serait venu d'un seul coup complet, sans qu'il n'ait jamais évolué dans ses conceptions. Mais venons-en maintenant à ce texte du jour, ce début des paraboles rapportées par Matthieu (et pour quelques unes rapportées aussi par Marc ou Luc ou les deux...). Ce qu'on appelle des paraboles, ce sont des comparaisons, qui utilisent des éléments du monde très concret de la vie ordinaire, pour évoquer des idées, des concepts, plus abstraits. Il est vrai que, d'une manière générale, quand on fait une comparaison, c'est toujours pour essayer d'expliquer quelque chose, et que l'élément de comparaison qu'on utilise est alors toujours plus concret, mieux connu, que ce qu'on cherche à expliquer ; c'est juste que, pour une parabole, on est vraiment au ras des pâquerettes, si on peu dire...
Quoi de plus concret, en effet, que de sortir au printemps pour semer son blé ? quoique de nos jours cela ne parle sans doute plus à grand monde, mais à l'époque, devant son public rural galiléen, tout le monde savait pertinemment de quoi parlait Jésus par cette image, du moins connaissait l'image, savait très bien que, quand on sème, bien sûr "à la volée" parce qu'il n'existait pas de machine pour le faire, alors il y a toujours un minimum de graines qui se retrouvent au-dehors des limites du champ, dans les ronces qui le bordent par exemple, ou dans le champ sur des affleurements rocheux qui peuvent pointer ça et là et sur lesquels tomberont alors quand même des semences, en vain... tout le monde sait que c'est ainsi que les choses se passent, qu'il y a un peu de perte, de gaspillage sans doute, mais on ne peut pas faire autrement.
Quant à l'autre élément de la comparaison, ici, la question de savoir de quoi Jésus veut parler, à quoi il fait allusion, par cette histoire de semeur qui sème... l'explication, ou plutôt une explication, va en être donnée un peu plus loin, ce sera le texte d'après-demain, mais ce que nous pouvons déjà noter rien que selon l'image qui est développée ici, c'est qu'une semence c'est quelque chose qui est destiné à croître ; la semence est une chose, ce qu'elle va donner en est une autre. Car sans aller jusqu'au stade où la semence va produire, en plus ou moins grand nombre, d'autres semences semblables à elle-même, elle va d'abord se transformer en une plante, formée d'abord de seulement deux feuilles, puis le plus souvent une tige va grandir, d'autres feuilles se formeront. Tout ceci non plus n'est pas sans importance, est même nécessaire, et même encore peut être considéré comme un but en soi ; la reproduction ne vient que comme une seconde étape du processus.
J'entends bien que ce que je viens de dire se situe du point de vue de la plante, peut-être pas du semeur, lequel n'est vraisemblablement intéressé que par le rendement de sa céréale ; mais il n'est pas interdit de comprendre une parabole autrement qu'en suivant la seule explication officielle qui nous en a été transmise, quand il y en a une...! nous y reviendrons éventuellement.

Agrandissement : Illustration 1

en ce jour-là étant sorti de la maison
Jésus était assis au bord de la mer
et des foules nombreuses se rassemblèrent près de lui
si bien qu'il monta dans une barque et s'y assit
et toute la foule se tenait sur le rivage
et il leur parla de beaucoup de choses en paraboles
en disant
« voici que le semeur est sorti pour semer
et en semant il en est tombé au bord du chemin
et étant venus les oiseaux les dévorèrent
et il en tomba d'autre sur les rocailles
où ils n'y a pas beaucoup de terre
et aussitôt elles pointèrent
parce qu'ils n'y avait pas de profondeur de terre
et le soleil s'étant alors levé elles eurent chaud
et n'ayant pas de racine elle furent grillées
et il en tomba d'autre dans les épines
et les épines crûrent et les étouffèrent
et il en tomba d'autre sur la belle terre
et elles donnèrent du fruit
l'une cent
et l'autre soixante
et l'autre trente
qui a des oreilles qu'il entende ! »
(Matthieu 13, 1-9)