Voilà que sa mère vient de faire un déplacement d'une journée à pieds pour le voir, et lui n'en tient aucun compte, pire même il la renie : ma mère n'est pas ma mère, ma famille n'est pas ma famille, désormais je ne reconnais plus qu'une seule "famille", celles et ceux qui, comme moi, entendent Dieu qui leur parle et agissent selon ce qu'Il leur dit. On pense aussitôt ici à ce qu'on appelle les sectes, dont il faut reconnaître qu'un des critères les plus marquants qui leur vaut cette mauvaise réputation est qu'elles coupent leurs adeptes de leur famille, tandis qu'eux tiennent un discours exactement similaire à celui-ci : ils ont, disent-ils, trouvé une nouvelle famille, une famille spirituelle, qu'ils considèrent comme étant leur vraie famille, par opposition à l'autre, celle d'où ils viennent.
Nombreux sont ceux qui refusent que Jésus ait pu se comporter de manière aussi dure avec sa mère. Avec ses frères, encore, baste ! ceux-ci étant déjà considérés comme de faux frères et en réalité seulement des cousins, mais même s'ils étaient de vrais frères, de même père et même mère, peu importe, de toutes façons ils n'ont aucune place officielle dans le christianisme. Mais Marie ! comment pourrait-on concilier l'idole qu'on a fait d'elle avec cette attitude de son fils qui peut sembler digne d'un pervers narcissique ? Alors ceux-là qui sont incapables d'envisager ce qu'ils considèrent comme une cruauté indigne de lui, se raccrochent aux branches : il n'a pas dit explicitement que sa mère et ses frères ne feraient pas partie de cette famille-là, spirituelle...
Certes, il n'a pas dit que Marie n'était plus sa mère, et non plus que Jacques, Joseph, Judas et Simon n'étaient plus ses frères. Mais il faut tenir compte du contexte, des raisons pour lesquelles cette délégation de sa famille est venue depuis Nazareth jusqu'à Capharnaüm, raisons que Luc comme Matthieu ont soigneusement gommées, mais que Marc (3, 21), qui le tenait de Pierre, nous a heureusement conservées : s'ils sont partis si nombreux pour une telle expédition, c'est « pour se saisir de lui, car ils disaient "il est hors de lui" », il est à côté de ses pompes, il a perdu la tête, ce n'est plus lui... On voit qu'on retrouve effectivement ce que les familles pensent de leurs enfants pris dans les rets d'une "secte" : on lui a bourré le crâne, on l'a décervelé, il ne sait pas ce qu'il fait.
Évidemment, concernant Marie, censée avoir reçu un message d'un ange, censée savoir que son fils était Dieu lui-même venu incognito sur terre, qu'elle ait pu penser cela de lui, qu'il avait perdu la tête... Et pourtant, quand il était resté tout seul à Jérusalem lors de sa bar-mitsvah, là déjà elle n'avait pas compris, elle le lui avait reproché. Et maintenant qu'il a commencé son ministère public, qu'il y a toute cette effervescence autour de lui à cause des guérisons, elle s'inquiète de nouveau, comment pourrait-elle ne pas le faire ? tout le monde sait comment ça se finit ce genre d'histoires, quand les gens se mettent à se persuader d'avoir trouvé le messie, le libérateur de leur peuple du joug des romains : toujours par des bains de sang.
En fait, c'est donc le contraire qui serait inquiétant, si Marie n'avait pas eu peur pour son fils, pour le destin qui l'attendait dès cet instant : personne ne lui avait dit quel genre de messie il serait. Même si elle savait comment la plupart des prophètes étaient traités, elle avait bien le droit de vouloir le lui épargner si cela était en son pouvoir. C'était même de son devoir d'essayer, sans vouloir le moins du monde invoquer ici la réputation des mères juives...;) Mais cette fois-ci, contrairement à ce qui s'était passé à ses douze ans, il ne va pas se laisser remmener, et même si on ne nous le dit pas, elle ne pourra que conserver cela avec soin dans son cœur pour plus tard, quoiqu'en n'y comprenant de moins en moins à quoi tout ceci peut bien rimer.
Agrandissement : Illustration 1
alors sont arrivés vers lui sa mère et ses frères
mais ils ne pouvaient l'atteindre à cause de la foule
si bien qu'il lui fut annoncé
« ta mère et tes frères se tiennent dehors
voulant te voir »
alors répondant il leur a dit
« ma mère et mes frères ce sont ceux
qui entendent et font
la parole de Dieu »
(Luc 8, 19-21)