Mais pourquoi donc le monde haïrait-il les chrétiens, et pourquoi aurait-il haï Jésus ? Parce qu'ils ne sont pas "du monde" ? et alors ? cela suffit-il vraiment, en soi ? ne pas vouloir jouer le jeu du monde, ne pas vouloir jouer ce jeu qui consiste à faire semblant d'être satisfaits d'avoir toujours plus, toujours plus de biens, toujours plus de pouvoir ? Car il est certain que c'est cela le jeu du monde, et on a bien sûr parfaitement le droit de trouver que ça ne suffit pas, pour soi ; mais est-ce vraiment simplement le fait de vouloir chercher et trouver autre chose qui va faire que le monde nous haïra, ou n'est-ce pas plutôt quand nous prétendons "convertir" le monde à notre point de vue qu'alors, effectivement, il va se mettre à réagir, à se défendre.
La question, me semble-t-il, est bien là : ce n'est pas le seul fait de sortir du monde qui fait qu'on puisse devenir objet de haine de la part du monde, c'est le fait de prétendre changer le monde. Ce qu'on appelle aussi le prosélytisme. Vouloir imposer à d'autres ce en quoi on pense que le monde ne se suffit pas à lui-même. C'est là, effectivement, qu'on va commencer à se faire des ennemis, mais il ne faut alors s'en prendre qu'à soi-même : de fait, de quoi se mêle-t-on ? Sous prétexte d'une vérité plus profonde que celle du monde dans son approche la plus immédiate ; mais si cette vérité, si tant est déjà qu'elle en soit une en soi et non pas une vérité toute relative à moi seul, n'est cependant pas accessible à l'autre, au nom de quoi viens-je lui casser la baraque ?
J'entends cependant, il est vrai, que le seul fait de vivre de manière différente de tous les autres, ou plus exactement de la majorité des autres, peut suffire à les irriter, et nous transformer en boucs émissaires , ceux qu'on va charger de tous les maux de la terre alors qu'ils n'y sont vraiment pour rien. Et c'est effectivement ce qui s'est passé à plusieurs reprises pour les premiers chrétiens, mais pas qu'eux, les Juifs aussi, et pour ces derniers cela a continué au long des siècles, mais on pensera encore aux tziganes et autres gens du voyage, et certainement d'autres exemples sous toutes les latitudes et de tous temps. Être différents peut suffire à se faire maltraiter.
On notera cependant que ce n'est certainement pas la raison pour laquelle Jésus a fini sur la croix, d'une part, et d'autre part que de vouloir vivre d'une façon différente de son entourage ne devrait pas empêcher de communiquer avec ce dernier, ne devrait pas nous amener à ériger comme des barrières entre "eux" et "nous", même si ce n'est pas facile, car cela nous obligera souvent à taire ce que nous aimerions dire, à garder pour nous ce que nous pensons, simplement parce que cela leur serait inaudible et contribuerait alors à creuser ce fossé qui nous isolerait. Ainsi, y a-t-il effectivement isolement, quand même, mais comme nous sommes les seuls à le savoir, nous sommes aussi les seuls à en souffrir.
En quoi serait-ce un problème ? souffrir fait partie de la vie...
Agrandissement : Illustration 1
si le monde vous hait
ne savez-vous pas qu'il m'a haï avant vous ?
si vous étiez du monde
le monde vous aimerait comme ce qui est sien
mais parce que vous n'êtes pas du monde
mais que moi je vous ai sortis du monde
c'est pour cela que le monde vous hait
rappelez-vous de la parole que moi je vous ai dite
le serviteur n'est pas plus grand que son seigneur
s'ils m'ont persécuté vous aussi ils vous persécuteront
(s'ils ont gardé ma parole la vôtre aussi ils la garderont)
mais tout cela ils vous le feront en raison de mon nom
parce qu'ils n'ont pas connu celui qui m'a envoyé
(Jean 15, 18-21)