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Billet de blog 26 septembre 2014

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Qui es-tu ?

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Billet original : Qui es-tu ?

Or, quand il était en prière dans un lieu solitaire ses disciples étaient près de lui. Il les interroge en disant : « Les foules, qui disent-elles que je suis ? »  Ils répondent et disent : « Jean le baptiseur. D'autres : Élie. D'autres : un prophète, des ancêtres, s'est levé. » 

Il leur dit : « Et vous ? Qui dites-vous que je suis ? » Pierre répond et dit : « Le Messie de Dieu ! » 

Il les rabroue et leur enjoint de ne dire cela à personne.  Il dit : « Le fils de l'homme doit beaucoup souffrir, et être rejeté par les anciens, grands prêtres et scribes, et être tué, et, le troisième jour, se réveiller. »

Luc 9, 18-22

"il était en prière" : chez Luc, cette remarque signifie toujours un moment important. On pourrait dire que c'est une caractéristique du Jésus que décrit Luc : un homme de prière. Quand il arrive à échapper aux foules, c'est pour prier : "Quant à lui, il se retirait dans les déserts, et priait" (5, 16). Avant de choisir les douze, "il sort dans la montagne prier, il passe la nuit dans la prière de Dieu" (6, 12). De même ici, avant de demander aux disciples qui ils pensent qu'il est. La transfiguration, aussi, est une prière : "il monte sur la montagne pour prier, et, pendant qu'il prie, l'aspect de son visage change, et son vêtement devient blanc comme un éclair" (9, 28-29). Quand les disciples vont lui demander de leur apprendre à prier, c'est parce qu'une fois de plus "il était à prier" (11, 1). Dans tous ces passages, dont on trouve des versions parallèles chez Marc et Matthieu, c'est Luc seul qui a parlé de Jésus en prière. Précisons : on trouve dans les trois synoptiques d'autres moments où on nous dit que Jésus prie, ne serait-ce qu'à Gethsemani, mais il s'agit de prières de demandes ou de remerciements, avec des mots et une intention bien définis, alors que ces prières sur lesquelles Luc seul insiste sont d'un autre ordre, des prières d'écoute, des prières de mise à disposition, des prières où ce n'est certainement plus Jésus qui prie Dieu, mais Dieu qui prie Jésus. Là où Jean nous parle sans cesse de la relation de Jésus au Père, Luc, pour sa part, nous la donne simplement à voir...

La grande question du jour, celle pour laquelle Jésus a éprouvé le besoin de s'assurer dans la prière qu'il devait bien la poser, est donc : qui est-il ? Ceux qui se représentent un Jésus pleinement conscient de sa divinité tout du long de sa vie, au moins publique, voire dès sa naissance ou même encore avant, ne comprendront évidemment pas que Jésus ait eu besoin de prier avant de poser cette question. Ce sont les mêmes pour lesquels la réponse de Pierre est forcément la vérité, Jésus était bien le Messie, le béni, de Dieu. Forcément, puisque Jésus est Dieu, il est donc bien aussi et au moins le Messie, n'est-ce pas ? Mais toute cette façon de voir les choses montre surtout qu'on mélange beaucoup de notions qui ne sont pas du tout équivalentes entre elles. Le Messie qu'attendaient les juifs n'est pas du tout le Christ (mot qui n'est pourtant que la traduction en grec de l'hébreux Messie !) qui est devenu comme le nom de famille de Jésus dans l'expression Jésus-Christ... Quand Pierre dit de lui qu'il est le Messie, même avec cette précision "de Dieu" qu'a ajoutée Luc par rapport à Marc, il ne parle pas du tout du "Fils unique de Dieu" que les chrétiens ont fait de Jésus par la suite, mais de l'homme que tous attendent qui doit devenir leur roi et chasser les romains pour qu'ils retrouvent enfin leur terre promise.

Il est évident alors que Jésus ne peut pas les laisser s'enfermer dans un tel contresens à son sujet ! et il n'y a d'ailleurs que Matthieu pour prétendre qu'il aurait félicité Pierre de sa soit-disant trouvaille de génie. Soit-disant trouvaille, parce que déjà c'était en réalité ce que pensaient toutes ces foules qui lui couraient après, pas seulement les disciples, et encore moins seulement Pierre... Le succès de Jésus s'est construit sur les guérisons et exorcismes, sur une réputation de thaumaturge exceptionnel, et tous ces signes ne pouvaient signifier qu'une chose, la venue du Royaume (au sens déjà précisé plus haut, la restauration du royaume de David) dont il était entendu que ce serait le Messie qui l'inaugurerait. Si tant de monde s'est enflammé pour Jésus, ce n'est pour rien d'autre que pour cette espérance messianique qui leur semblait enfin s'exaucer, avec Jésus dans le rôle du héros. Soyons-en donc certains, Jésus n'a pas pu entrer dans cette hystérie collective, ni vouloir lui permettre de se perpétuer en acceptant ce titre de Messie que tous voulaient lui coller. Les trois synoptiques nous rapportent clairement (même si Matthieu a intercalé sa scène à la gloire de Pierre) : il interdit aux disciples de dire ça. Interdiction pure et simple, même pas provisoire jusqu'à sa mort, comme celle qu'il donne à Pierre, Jacques et Jean à la transfiguration de ne pas parler de ce qu'ils ont vu. Ici, c'est formel, il ne veut pas être pris pour le Messie.

Ce qui embrouille passablement la question, c'est que les premiers chrétiens juifs pouvaient difficilement faire l'impasse sur le sujet, et ont très vite recollé à leur rabbi l'étiquette à laquelle ils n'avaient jamais vraiment renoncé. Certes, leur Messie était mort, mais aussi ressuscité. N'était-ce pas une preuve de plus ? Ils ne savaient pas trop pourquoi il avait dû passer par cette étape, mais il est certain qu'ils n'avaient pas beaucoup changé leur conception du Royaume. C'est la première question qu'ils lui posent après la résurrection, dans les Actes : c'est donc maintenant que tu vas monter sur le trône ? Quand ça se met à tarder, qu'il leur semble qu'il n'est plus avec eux, ils disent qu'il est parti au ciel mais qu'il va bientôt revenir, et que cette fois, c'est sûr... Même la destruction de Jérusalem, en 70, ne les désarçonnera pas, persuadés que le Dieu qui a su ressusciter Jésus saura aussi reconstruire une nouvelle cité ! Il faudra qu'ils se fassent expulser du judaïsme, expulsés des synagogues, pour qu'ils finissent enfin à se rallier au courant paulinien qui, lui, pendant ce temps, né sur le terreau de la diaspora, beaucoup moins attaché à la littéralité d'Israël comme terre géographiquement située en un lieu précis, avait su entamer le passage du Messie triomphant au serviteur souffrant d'Isaïe, comme y invite la première annonce de la Passion qui suit immédiatement, pour la contredire, la proclamation de Pierre. Il ne faudrait pas, cependant, réduire Jésus à cette dimension sacrificielle, qui est tout autant un contresens par rapport à l'image du Dieu Père qu'il nous a révélée, mais c'est un autre sujet.

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