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Billet de blog 26 avril 2025

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À toute la création

Pourquoi éprouvons-nous tant le besoin de nous sentir uniques, radicalement différents de toute autre personne, irremplaçables donc, voire exceptionnels, au point parfois d'être prêts à tuer et massacrer les autres, tous les autres, soi-même seul excepté ?

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On se souvient que l'évangile de Marc se terminait vraisemblablement initialement sur la découverte du tombeau vide. Il ne s'agissait pas pour autant d'accréditer la thèse du corps subtilisé par qui que ce soit, non plus que du retour spontané à la vie de celui qu'on aurait à tort cru mort. Non, Marc prétendait simplement placer le lecteur (ou le plus souvent l'auditeur, car ces "livres" étaient rarement lus pour soi seul, mais proclamés à haute voix pour tout un groupe) devant le mystère : non, la mort ne l'a pas emporté, et même plus précisément elle a été vaincue, le tombeau est vide, il n'a pas pu ou su retenir sa proie, mais il ne voulait pas en dire plus, laissant à chacune et chacun la liberté de comprendre cela comme il le souhaitait et pouvait, et ceci sans doute aussi parce qu'il n'y avait pas encore eu de réflexion commune menée sur le sujet et d'explication officielle construite.

Plus tard, donc, quand une telle théorie eut commencé de s'élaborer, laisser cet évangile sous cette forme aura provoqué un sentiment de malaise : cela mettait trop en doute la théologie qui était en train de se développer officiellement ! comment ? il y aurait eu un temps où on ne parlait pas d'apparitions ? ni de venue de l'Esprit ? et c'est ainsi que fut composée cette espèce de pot-pourri des autres traditions, avec cette Marie-Madeleine empruntée à Jean, ces deux disciples "d'Emmaüs" empruntés à Luc, et cette apparition aux Onze empruntée aux deux (quoique pour être précis Luc lui-même l'ait vraisemblablement copiée chez Jean, mais c'est secondaire...). On peut noter cependant cette précision qui ne se trouve ni chez Jean ni chez Luc, que les Onze ne croient pas au témoignage ni de Madeleine ni des deux d'Emmaüs, ce qui semble accréditer l'idée que, de fait, l'expérience du ressuscité ne peut pas vraiment se transmettre, du moins que le seul témoignage d'une ou un autre ou même de plusieurs n'y suffit pas, il faut que cela devienne une expérience personnellement vécue.

Maintenant, faut-il nécessairement lire tout ceci littéralement ? faut-il que nous bénéficiions chacune et chacun d'une telle expérience, à savoir au minimum une vision du crucifié, peut-être même une discussion avec lui, pour que nous puissions y croire, et plus précisément non pas seulement y croire mais même bel et bien savoir ce qu'il en est, puisque ce sera alors bien plus qu'une hypothèse mais un savoir acquis d'expérience...? Il me semble qu'une telle exigence ne se justifie nullement, parce que ce qui nous intéresse au fond n'est pas tant de savoir ce qui est arrivé à Jésus après sa mort que bien plus de savoir si pour nous aussi, nous tous, la mort est la fin de notre existence, ou pas. C'est en ce sens que le tombeau vide suffisait bien pour signifier symboliquement que, non, l'état de cadavre n'est pas le seul résultat de cette étape, par laquelle il nous faut cependant passer.

De plus, cette question n'est évidemment pas une exclusivité de la tradition juive et de ses héritières chrétienne et musulmane... C'est une question qui hante l'humanité de tout temps et en tout lieu, et à laquelle plusieurs réponses ont été données, avec notamment comme on sait cette notion de vies successives à endurer les unes après les autres jusqu'à pouvoir en être libéré, notion en réalité guère différente de celle du purgatoire élaborée par le christianisme, où il s'agit là aussi de s'épurer avant de devenir capable d'accéder à la béatitude. Dans ces deux types de traditions, il s'agit de rejoindre ce qu'on pourrait appeler un domaine de l'esprit pur, notre condition physique mortelle étant considérée comme une coupure d'avec cet esprit un. On peut remarquer que ceci n'est de plus pas si différent des traditions animistes, où l'esprit individuel rejoint aussi le monde des esprits, sans qu'on sache trop s'il s'y fond ou pas.

Dans toutes ces perspectives, la question commune semble être de savoir s'il restera quelque chose de notre personnalité, de ce qui fait que je suis moi et non pas telle ou tel autre, ou si cette personnalité se dissoudra dans ce qu'on pourrait appeler le grand tout ; c'est là le point précis que le christianisme, mais aussi toute la tradition abrahamique, reprochera volontiers aux traditions extrême-orientales. Comment essayer d'y voir un peu plus clair ? j'aimerais suggérer ici de partir de ce qu'il se passe en nous : je suis composé de différents organes, et même dans chaque organe de différents composants, etc., et les cellules qui forment chacun de ces composants, au cours de ma vie, seront entièrement remplacées (il y a peut-être une exception pour les neurones, mais peu importe). Une alvéole de mes poumons, un tubule de mes reins, etc., mourront donc en quelque sorte de nombreuses fois au cours de ma vie, selon leur point de vue à eux, mais selon mon point de vue à moi, mon rein restera bien mon rein, mon poumon de même, etc.

Eh bien, pourquoi en irait-il autrement de moi-même au regard d'un certain tout qui me dépasse, et qui pourrait être l'univers entier, mais aussi pourquoi pas déjà simplement notre système solaire ou notre planète, la biosphère par exemple ? ou encore une entité spirituelle qui serait l'ensemble de notre humanité considérée comme un organisme global (c'est ici l'image du corps mystique du Christ développée par Paul...) ? On notera alors que le point commun à toutes ces possibilités est que nous fassions partie de quelque chose de plus grand, de plus global, que nous, ce qui évidemment relativise notre rôle au fait d'avoir une utilité au service de cette entité, et non que je sois ma propre finalité à moi-même...

Illustration 1

et s'étant levé le matin
    le premier jour de la semaine
il s'est manifesté en premier à Marie la Magdaléenne
    de laquelle il avait expulsé sept démons
celle-ci étant allée
    l'annonça à ceux d'avec lui
    devenus affligés et pleurant
mais ceux-ci
    ayant entendu qu'il vivait
    et avait été vu par elle
ne crurent pas
    
après cela
    à deux d'entre eux marchant
    voyageant dans la campagne
il s'est manifesté sous une autre forme
    et ceux-là étant allés l'annoncer aux autres
eux non plus ils ne les crurent pas

et finalement alors qu'ils étaient attablés
    il s'est manifesté aux Onze
et il a fulminé
    contre leur incroyance
    et la sclérose de leur cœur
parce que ceux qui l'avaient vu réveillé
    ils ne les avaient pas crus
    
    et il leur a dit
« allez dans le monde entier
et proclamez la bonne nouvelle à toute la création »

(Marc 16, 9-15)

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