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Billet de blog 27 juin 2014

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La première fois

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Billet original : La première fois

Il descend de la montagne. Le suivent des foules nombreuses. 

Et voici, un lépreux s'approche. Il se prosterne devant lui en disant : « Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier. »  Il tend la main, le touche en disant : « Je veux : sois purifié ! » Aussitôt est purifiée sa lèpre. 

Jésus lui dit : « Vois : ne dis à personne, mais va, montre-toi au prêtre, et offre le présent qu'a imposé Moïse, en témoignage pour eux. »

Matthieu 8, 1-4

Après sa collection de paroles regroupées dans ce qu'on appelle le "sermon sur la montagne", Matthieu nous propose maintenant une collection de miracles. Nous avions terminé hier sur cette constatation que les foules étaient "frappées par son enseignement" parce qu'il enseigne "avec autorité". Ces miracles que rapporte Matthieu viennent alors compléter notre information sur cette autorité de Jésus : elle ne réside pas que dans ses paroles, mais aussi dans ses actes. Il avait terminé son enseignement en disant qu'il ne sert à rien de l'écouter, mais qu'il faut "accomplir la volonté du Père". Jésus nous donne donc l'exemple, il accomplit. Lui, le premier, ne se contente pas de faire de beaux discours ! Dans l'esprit de Matthieu, les miracles sont l'authentification de l'enseignement de Jésus. Mais, quand on sait à quel point ces fameux miracles ont été, et sont encore, un obstacle, justement, à ce que Jésus puisse transmettre son enseignement, on ne peut évidemment suivre la logique de Matthieu...

Quoi qu'il en soit, voici ce premier miracle rapporté par Matthieu : la guérison du lépreux. Il est important de noter que, chez Marc aussi, cette guérison est la première, si on fait abstraction de la journée inaugurale à Capharnaüm qui est, en réalité, un récit programme. Même remarque encore chez Luc, chez lequel est venu de plus s'intercaler la pêche miraculeuse, mais que nous devons aussi considérer comme un récit plutôt symbolique. Il y a donc unanimité chez les synoptiques pour accorder une place particulière à la guérison du lépreux. Évidemment, comme Matthieu et Luc ont composé leur évangile à partir de celui de Marc, cette unanimité n'est pas si étonnante que ça. Mais Matthieu aurait pu aussi omettre cette guérison ! il ne se gêne pas pour organiser son récit en déplaçant, supprimant, ajoutant. Si il trouve quelque chose chez Marc qui ne l'intéresse pas, ils n'a pas peur de le passer sous silence, comme par exemple ce passage où la famille de Jésus le considère comme fou. Ou de l'utiliser dans un autre contexte qui lui convient mieux. Matthieu est en train de composer une série de dix miracles, il n'est pas étonnant en soi qu'il ait repris la première guérison rapportée par Marc, mais il aurait pu aussi  commencer par une autre : il va nous rapporter demain une guérison que Marc n'a pas, et la guérison que Marc rapporte en second, après le lépreux, Matthieu ne va l'inclure que plus loin encore dans sa série de dix ! Matthieu a donc estimé important de conserver le lépreux comme premier miracle de Jésus.

On ne peut pas raisonner de la même manière avec Luc. Autant Matthieu n'a pas peur de décomposer Marc en petits morceaux qu'il réarrange à son idée, autant Luc y rechigne. Sa manière de procéder est plutôt de conserver de grands enchaînements de Marc, entre lesquels il intercale d'autres grands enchaînements, qu'ils proviennent de la source Q ou de ses sources propres. Luc, donc, ne nous apprend pas grand chose sur l'importance spécifique du lépreux comme première guérison de Jésus, sinon qu'il n'y voyait pas d'inconvénient. Mais je pense que sa position chez Marc, avec en renfort le fait que Matthieu a tenu à la lui conserver, plaide pour une probabilité importante pour que cette guérison ait pu, historiquement, être la première qui se soit effectivement passée. Certains se demandent, sans doute, quel est l'intérêt de savoir quelle a pu être la première guérison ? la réponse se trouve chez Marc.

Car le récit de cette guérison, chez Marc, est très curieux. En le lisant attentivement, on y voit un Jésus qui hésite d'abord, puis qui semble extrêmement troublé de ce que le miracle ait eu lieu, regrettant presque ce qui vient de se passer... Évidemment, Matthieu gomme tous ces aspects, c'est un Jésus sans états d'âme qui guérit puis qui renvoie l'homme guéri aux prescriptions légales. Ce n'est pas chez Matthieu qu'on trouvera un Jésus en proie au doute. Nous l'avons dit hier, le Jésus de Matthieu est devenu le Christ, personnage non encore divin, mais qui ne peut pas non plus montrer de faiblesses, et qui sait certainement à l'avance ce qu'il a à faire. Ce n'est pas le cas chez Marc, le seul à nous rapporter, souvent, des émotions authentiques, un Jésus beaucoup plus concret que dans les autres évangiles. Et c'est donc ainsi qu'il nous parle de la première guérison opérée par l'intermédiaire de Jésus : un acte qu'il n'avait pas prémédité, auquel il ne croyait pas vraiment, et qui l'a profondément bouleversé. Bref, un Jésus qui a eu une histoire, qui a découvert un jour qu'il avait des dons de thaumaturge, et qui n'a d'abord pas su trop quoi en penser. Des années lumières du Jésus de Jean, du Verbe fait chair ! évidemment. Mais bien loin aussi, par conséquent, du Jésus de Matthieu, du Messie.

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