Billet original : Natures mortes
« Malheureux, vous, scribes et pharisiens ! Hypocrites ! Vous ressemblez à des tombeaux chaulés qui, au-dehors, paraissent superbes mais au-dedans, sont remplis d'ossements de morts et de tout immondice. Ainsi de vous-mêmes : au-dehors, pour les hommes, vous paraissez justes, mais au-dedans, vous êtes pleins d'hypocrisie et d'iniquité !
« Malheureux, vous, scribes et pharisiens ! Hypocrites ! Vous bâtissez les tombeaux des prophètes, vous ornez les sépulcres des justes, et vous dites : “Si nous avions été aux jours de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour le sang des prophètes !" Si bien que vous témoignez contre vous-mêmes que vous êtes fils des assassins des prophètes. Et vous, emplissez la mesure de vos pères ! »
Matthieu 23, 27-32
Et voici enfin les deux dernières 'malédictions'. Elles sont reliées par le thème du tombeau, ou sépulcre. Si ce lien peut sembler à priori purement formel, il a pourtant une signification plus profonde qu'il n'y paraît. Dans la première malédiction du jour, sont encore impliquées les règles de pureté, qui imposaient d'éviter tout contact avec un mort, sous peine d'avoir à se purifier selon des procédures prévues à cet effet. Le tombeau sert, entre autres, à isoler ainsi la source de contamination potentielle (et il ne s'agit toujours pas d'hygiène, dans notre sens moderne). Jésus semble donc contester ici cette notion-là d'impureté, rattachée à la mort, comme hier celles liées à notre alimentation. Mais là n'est pas le sujet. Ce qu'il dit, par contre, c'est que l'attitude qui consiste à se conformer aux préceptes religieux uniquement par souci du qu'en dira-t-on social, est similaire à celle de se construire à l'avance un tombeau... On s'y enferme soi-même, on est ainsi le moteur premier de sa propre mort ! spirituelle, bien sûr.
La seconde malédiction du jour est un peu plus difficile à comprendre. Qu'est-ce que Jésus trouve donc à reprocher au fait de vouloir réhabiliter des personnes qui ont été injustement condamnées par leurs contemporains ? Après tout, c'est ce qu'est le christianisme, un gigantesque mausolée construit pour dire : non, nous, nous n'aurions pas condamné Jésus à la croix, si cela avait dépendu de nous ! Mais en sommes-nous si sûrs ? Quelle est la meilleure façon de lui rendre témoignage ? élaborer la théologie et les règles qui découlent de son message tel qu'on le comprend, ou vivre concrètement ce message ? Il est quand même curieux que personne ne s'interroge : l'homme-Dieu aurait été incapable d'écrire lui-même ce qu'il voulait qu'on se transmette par la suite de sa part ? ou de le dicter ? D'un autre côté, quand on prend conscience du travail de composition et d'arrangements par la tradition orale, qui avait déjà précédé l'écriture des évangiles tels que nous les avons, on se demande ce qu'il nous resterait aujourd'hui du Jésus originel... Il n'empêche, Jésus, lui, avait estimé sans aucun intérêt de fixer une théorie de son message.
Où nous voyons que les deux tombeaux se rejoignent ! L'essentiel de l'enseignement de Jésus réside dans une manière d'être, en relation avec Dieu et le monde. Et nous rejoignons aussi ce que nous disions hier : être chrétien ne consiste pas à définir ce qu'est être chrétien, et on ne le devient pas en se conformant extérieurement à ces définitions. L'habit ne fait pas le moine, et la vie monastique ne se résume pas à porter un habit... Tout ceci n'est que processus mortifères. Processus de mort du message de vie dont témoignèrent des prophètes, processus de mort de soi-même lorsque, s'attachant aux seuls sédiments minéralisés du témoignage vivant, on les prend pour le témoignage lui-même. Les formulations, les dogmes, d'une religion ne peuvent être que des fossiles. Comme fossiles, ils nous renseignent sur ce qu'a été l'être vivant qui les a produits, et en tant que tels ils sont précieux. Mais prendre le fossile pour la réalité vivante...