Toujours ce rapport entre la lettre et l'esprit. La dîme, le fait de donner le dixième de tous ses gains, de tous ses produits, pour YHWH — et peu importe que cela serve en réalité à faire vivre les prêtres, le clergé, ou à quoi que ce soit d'autre —, est une manière concrète de manifester qu'on pense à, se soucie de, son Dieu ; et ces "scribes et pharisiens" vont jusqu'à payer cette dîme sur des aromates et épices, ce qui représente des sommes dérisoires, on en est au niveau des comptes d'apothicaire ! on en est à se plier aux prescriptions à la manière d'un myope qui ne peut pas voir plus loin que le bout de son nez et qui s'accroche aux règles, aux détails, incapable de voir l'ensemble du tableau, la perspective générale, la seule qui donne le vrai sens de tout cela.
Cette perspective, ce cadre, nous sont caractérisés ici par trois mots : justice, bienveillance, et "foi", mais nous aurons à explorer plus largement le sens de ce troisième mot, "foi". Pour commencer, voyons la justice et la bienveillance : la justice, être juste, c'est essentiellement ne pas être injuste, ne pas commettre d'injustice à l'égard de personne, ce qu'on peut bien sûr détailler par tous les "ne pas" des dix paroles (ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre d'adultère, etc.). D'un certain point de vue, c'est déjà beaucoup, c'est ce qu'on appelle aussi parfois la règle d'or : ne pas faire aux autres ce qu'on n'aimerait pas qu'ils nous fassent. D'un autre point de vue, c'est quasiment ce qu'on pourrait considérer aussi comme le b. a. ba du comportement en société, le minimum nécessaire pour qu'un vivre ensemble soit possible.
La bienveillance, alors, vient comme un second pas : non seulement ne pas nuire aux autres, mais de plus essayer, dans la mesure de nos capacités, de leur faire du bien. Non pas seulement s'abstenir de leur faire ce qu'on n'aimerait pas qu'ils nous fassent, mais de plus s'efforcer de leur faire ce qu'on aimerait qu'ils nous fassent. Il y a vraiment là un degré important à se donner comme objectif, pour que le vivre ensemble ne soit pas seulement possible mais encore agréable, qu'on s'y sente bien, qu'on se mette à y attacher du prix, et à partir de là c'est comme un cercle vertueux qui peut se mettre en marche, où plus chacune et chacun se sent bien dans la communauté, plus elle et il a envie de renforcer ce bien être ensemble en y contribuant aussi à son tour, etc. de fil en aiguille...
Et nous en arrivons maintenant, enfin, à cette "foi". Mais pour commencer, voyons ce passage du prophète Osée 2, 21-22 (c'est YHWH qui parle) : « je te fiancerai à moi dans la droiture et la justice, et la bonté et la bienveillance, et je te fiancerai à moi dans la "foi" ». On voit qu'il est difficile de ne pas faire de lien entre notre passage d'évangile de Matthieu et celui-ci d'Osée ! Même s'il ne s'agit pas d'une citation textuellement reconnaissable, nous avons bien les trois mêmes qualités déployées dans le même ordre. Or d'autre part, comme le souligne le très fin connaisseur de l'hébreu et du grec bibliques Claude Tresmontant à de nombreuses reprises, chaque fois que nous avons dans la Septante (la Bible hébraïque traduite en grec) le mot grec "pistis", qui signifie bien "foi", c'est le même mot hébreu "émounah" qu'il y avait dans la Bible hébraïque, ce même mot utilisé par Osée dans ce passage.
Seulement voilà, cette équivalence entre notre mot "foi" et le mot hébreu "émounah" via le mot grec "pistis" pose un problème en ce que, ce que nous appelons de nos jours la foi, n'a plus que très peu de rapport avec ce que signifiait (et signifie sans doute encore) la "émounah" en hébreu, à savoir la fiabilité, la fermeté, la solidité, la certitude du vrai... La "foi", ce n'est pas du tout une croyance aléatoire et subjective, susceptible de vaciller au premier vent contraire. Certes la foi n'exclut pas tout doute, en ce sens qu'elle n'est pas une vérité totale, absolue, déjà acquise, il lui restera toujours de l'espace pour grandir, pour s'approfondir et s'élargir, mais elle n'en constitue pas moins pour autant un roc, une assise ferme sur laquelle on sait pouvoir compter, un socle qui ne pourra que se renforcer toujours plus au fil du temps et des événements.
Et ce qui peut donc nous amener à une telle "foi", à une telle certitude de la vérité, ce sont tout simplement cette justice et cette bienveillance, ces fondements de tout vivre ensemble, non seulement vivre ensemble possible, mais de plus vivre ensemble heureux, enviable, bénéfique, enrichissant pour tous, quand chacune et chacun, non content de s'abstenir de tout "pillage" ou "abus", trouve même son bonheur à faire le bonheur des autres... C'est donc cela, la "foi" !
Agrandissement : Illustration 1
honte à vous scribes et pharisiens mécréants !
c'est que vous payez la dîme sur la menthe et l'aneth et le cumin
mais vous avez négligé ce qui a le plus de poids dans la torah
la justice et la bienveillance et la foi
or il y avait à faire ceci
et ne pas négliger cela
guides aveugles qui filtrez le moucheron
et avalez le chameau !
honte à vous scribes et pharisiens mécréants !
c'est que vous purifiez l'extérieur de la coupe et du plat
mais l'intérieur est rempli de pillage et d'abus
pharisien aveugle !
purifie d'abord l'intérieur de la coupe !
pour que son extérieur aussi devienne purifié
(Matthieu 23, 23-26)