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Billet de blog 27 juin 2025

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Ne le dis à personne !

Quand on bénéficie de manifestations d'ordre surnaturel, on devrait s'en tenir à une extrême prudence avant d'en faire part à d'autres : à faits exceptionnels, mesures exceptionnelles ; l'extraordinaire s'accommode difficilement de l'ordinaire...

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Après ses trois chapitres d'enseignements sans discontinuer, Matthieu en aborde deux qui vont être très majoritairement consacrés à des actes ; il y a une certaine logique, puisqu'il vient de conclure que l'enseignement ce n'est pas le tout, il faut le mettre en œuvre, il faut agir : voici donc Jésus qui montre l'exemple et met lui-même la main à la pâte, voici qu'arrivent deux chapitres de "miracles".

Évidemment que ces miracles sont à prendre comme des signes d'amour, et constituent donc ainsi des illustrations de l'enseignement : il s'agit de situations de misère, de maladies, de risques de mort, et voilà, Jésus s'en émeut, il fait ce qu'il a dit, il compatit, et la guérison surgit, se produit. Nous aimerions bien être capables d'en faire autant, à ceci près cependant, qu'il n'est pas sûr du tout, justement, qu'il lui ait suffi de vouloir ces guérisons pour qu'elles se produisent. Il semble même que ce soit presque malgré lui que cela arrivait, et il est en tout cas certain que très vite il se rendra compte que la principale conséquence de tout cela est que les gens vont se déresponsabiliser, le prendre pour leur messie, pour cet homme providentiel censé les libérer de tous leurs soucis.

La guérison de ce lépreux est assez emblématique de cette ambiguïté des miracles. On y voit déjà une certaine hésitation de Jésus à accéder à la demande du malade : il tend la main, nous dit-on ; cette décomposition du geste fait penser à un ralenti au cinéma, quand on veut souligner qu'il se passe quelque chose d'important. Il tend la main, comme s'il n'était pas sûr de lui, si c'était bien ça qu'il devait faire. Il tend la main, puis, ensuite et enfin, il touche le lépreux. Il est certain qu'il y avait un très fort tabou sur toutes ces maladies de peau qui portaient ce nom générique de "lèpre", et que dans ce contexte où Matthieu a situé l'épisode — sous les yeux de foules nombreuses —, on peut imaginer que Jésus y réfléchisse à deux fois avant d'enfreindre publiquement ce tabou, l'interdiction absolue faite par la torah d'entrer en contact avec les "lépreux".

Mais dans sa version parallèle, Marc ne parle pas du tout de cette foule, et même pas non plus que des disciples soient présents, même s'il serait logique qu'il y en ait deux ou trois. Et Marc dramatise encore plus la scène : décomposant lui aussi le geste qui aboutit au contact en deux temps (comme Luc d'ailleurs : chez tous on retrouve ce "il tend la main" avant le "il le touche"), il enchaîne alors sur une violente réaction de rejet du lépreux par Jésus quand il constate qu'il y a eu guérison : il "s'irrite" contre lui, ou pour le moins il est "fortement troublé", et en conséquence il le "rejette" ! les mots sont forts, aussi a-t-on l'impression que Jésus a été le premier surpris de ce que la guérison se soit produite, et en tout cas on est très loin de l'idée générale qui préside aux récits de miracles dans l'ensemble des évangiles, qui les présentent globalement comme des arguments publicitaires en faveur de leur champion.

Or, il est clair que ce sont précisément ces miracles, ces guérisons, qui vont créer le malentendu tragique entre ces foules et lui, malentendu qui amènera d'une part le sanhédrin à décider de le faire périr pour éviter une intervention catastrophique des romains, et qui d'autre part l'amènera lui à accepter de se laisser mettre à mort comme seul moyen de dissiper radicalement ledit malentendu. Et ce qui valait dans son cas vaut de tous temps et en tous lieux : de tels faits exceptionnels ne doivent pas être recherchés, car cela ne peut alors que se finir de la même façon, en sorte qu'on ne peut que regretter que les évangiles fassent preuve d'une telle complaisance sur ce sujet, sans parler bien sûr de toute la propagande qui s'en est suivie au cours des siècles dans la même ligne si opportunément tracée par eux dès les commencements.

C'est en somme comme s'ils n'avaient rien compris à l'histoire...

Illustration 1

puis il descendit de la montagne
et le suivirent des foules nombreuses
    et voici qu'un lépreux s'approcha
    et il se prosternait devant lui en disant
« seigneur !
si tu veux tu peux me purifier »
    et il tendit la main
    et le toucha en disant
« je veux ! sois purifié ! »
    et aussitôt sa lèpre fut purifiée

    et Jésus lui dit
« vois à ne le dire à personne !
    mais va !
    montre-toi au prêtre !
    et offre le présent que Moïse a prescrit !
en témoignage pour eux »

(Matthieu 8, 1-4)

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