À deux reprises dans ce passage, et encore dans quelques autres de l'évangile de Jean, Jésus semble dire "je suis". C'est du moins ainsi que la plupart des traductions rendent les mots grecs "egō eimi", qui effectivement, mot-à-mot, signifient bien "je suis". Et les uns et les autres d'en conclure qu'il y a là une preuve que Jésus se considérait comme étant Dieu lui-même.
En effet, le nom propre de Dieu, YHWH, signifie "je suis celui qui suis", je suis l'être en soi. Tout ce qui est, tient son être de lui. Jésus, en proclamant ainsi à plusieurs reprises "je suis", tout court (sans complément : je suis fils de, je suis grand de taille, je suis juif...), insinuerait donc qu'il est l'égal de Dieu, autrement dit : Dieu lui-même.
Tout ceci serait vrai si les évangiles avaient été rédigés dans une belle langue grecque, par des auteurs hellénophones classiques. Mais ce n'est pas le cas. Le grec des évangiles est ce que certains ont appelé du "grec de synagogue", un peu comme le latin utilisé par le christianisme jusqu'à il n'y a pas si longtemps qu'on pouvait qualifier de "latin de sacristie". Le grec des évangiles est, le plus souvent, un grec qui traduit mot-à-mot l'hébreu ou l'araméen, qui était la langue maternelle de leurs auteurs. Nos fameux "je suis" en grec, ne sont qu'une telle traduction d'un sémitisme qui veut dire "c'est moi".
Mais que veut donc dire Jésus par là ? C'est lui... qui ? quoi ? Eh bien c'est très simple, à son époque pratiquement tous les juifs espéraient la venue d'un seul personnage, envoyé par Dieu, qui allait leur rendre toute leur dignité, les rétablir dans leur souveraineté territoriale, et inaugurer des temps nouveaux : l'Oint, le Messie, le Christ. C'est tout.
Bien évidemment, ce mot "Messie", "Christ", n'a pas du tout le sens qu'il a pris par la suite pour les chrétiens. Pour les juifs, ce Messie, ce Christ, ne peut en aucune façon être identifié à Dieu lui-même, ni même considéré comme son égal. De même lorsqu'il est question du "Fils de Dieu", ce n'est qu'une autre dénomination du Messie, du Christ, et il ne s'agit en aucune façon de la seconde personne de la Trinité des chrétiens...
P. S. : En français, dans les traductions que je connaisse, seules deux rendent "egō eimi" par "c'est moi" : Darby et Tresmontant, et aucun des deux ne peut être soupçonné de faire partie de ces horribles chrétiens progressistes qui n'ont pour seul objectif que de saper toute autorité de la "Tradition". Dommage pour les autres, y compris la sœur Jeanne d'Arc, dont j'utilise le texte dans ces billets, mais qui sur ce coup-ci a, je crois, manqué de discernement.

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Il leur dit donc de nouveau :
« Moi je m'en vais, et vous me chercherez,
et dans votre péché vous mourrez !
Où moi je vais, vous ne pouvez venir. »
Les Juifs donc disaient :
« Va-t-il se tuer lui-même, qu'il dise :
Où moi je vais, vous ne pouvez venir ? »
Et il leur disait :
« Vous, vous êtes d'en bas,
moi, je suis d'en haut.
Vous, vous êtes de ce monde,
moi, je ne suis pas de ce monde.
Je vous ai donc dit :
vous mourrez dans vos péchés.
Car si vous ne croyez pas que, moi, je (le) suis,
vous mourrez dans vos péchés ! »
Ils lui disaient donc :
« Toi, qui es-tu ? »
Jésus leur dit :
« Dès le commencement, ce que je vous déclare aussi !
Sur vous j'ai beaucoup à déclarer
et à juger !
Mais celui qui m'a donné mission est vrai :
et moi, ce que j'ai entendu de lui,
cela, je le déclare au monde. »
Ils ne comprennent pas qu'il leur parle du Père.
Donc Jésus dit :
« Quand vous aurez haussé le fils de l'homme,
alors vous connaîtrez que, moi, je (le) suis.
Et de moi-même je ne fais rien,
mais ce que le Père m'a enseigné,
cela je le déclare.
Et celui qui m'a donné mission est avec moi.
Il ne m'a pas laissé seul
parce que moi, je fais toujours ce qui lui est agréable. »
Quand il déclare tout cela,
beaucoup croient en lui.
(Jean 8, 21-30)