Billet original : Qu'est-ce qu'on attend ?
« Alors le royaume des cieux ressemblera à dix vierges qui prennent leurs lampes pour sortir à la rencontre de l'époux. Or cinq d'entre elles étaient folles et cinq, avisées. Et les folles, en prenant leurs lampes, ne prennent pas d'huile avec elles. Mais les avisées prennent de l'huile dans les fioles avec leurs lampes.
« Comme l'époux tarde, elles s'assoupissent toutes... Elles dormaient. Au milieu de la nuit, un cri survient : “Voici l'époux ! Sortez pour la rencontre !” Alors elles se réveillent, toutes ces vierges, et elles parent leurs lampes. Les folles disent aux avisées : “Donnez-nous de votre huile : nos lampes s'éteignent !” Les avisées répondent en disant : “Sûrement elle ne suffirait pas pour nous et pour vous. Allez plutôt chez les vendeurs vous en acheter !”
« Elles s'en vont acheter, et l'époux vient ! Celles qui sont prêtes entrent avec lui aux noces, et la porte est fermée. Après, elles viennent aussi, les autres vierges. Elles disent : “Seigneur, Seigneur ! Ouvre-nous !” Il répond et dit : “Amen, je vous dis : je ne sais qui vous êtes.”
« Veillez donc : vous ne savez le jour, ni l'heure. »
Matthieu 25, 1-13
Voici donc cet époux, Jésus, qui tarde pour les noces de son retour définitif ! Nous sommes dans la nuit, celle de la communauté matthéenne qui ne comprend pas les raisons de ce retard et de cette attente : pourquoi le Royaume n'est-il toujours pas là ? que peut-on faire pour qu'il vienne plus vite ? Rien qu'aux réponses que nous avons vues hier, on voit qu'ils n'en savent rien. Ils n'ont pas d'idée qu'il dépendrait d'eux de le faire advenir, ils sont dans la dépendance de ce retour de Jésus qu'ils ont émis comme hypothèse, et tout ce à quoi ils savent s'encourager, c'est à patienter, persévérer dans l'attente, 'veiller'. La parabole d'aujourd'hui ne nous en dit guère plus, il s'agit toujours d'une attente passive, tout dépend de l'époux et de son bon vouloir. La seule différence, c'est qu'ici ce ne sont même pas les dix vierges qui veillent, mais leurs lampes, ainsi que le mystérieux auteur du cri dans la nuit qui les réveille.
Cette réserve d'huile, que certaines ont pensé à se constituer et pas les autres, peut symboliser leur bonne conduite, comme il en était question aussi hier à propos des intendants : la communauté matthéenne se bat aussi contre un relâchement du comportement moral que peut entraîner la lassitude de l'attente. Mais cette bonne conduite n'est pas comprise comme moteur de la venue du Royaume, elle est seulement la condition initiale pour tenir pendant la nuit. Nous sommes avec Matthieu dans une éthique du comportement, qui n'est d'ailleurs pas fausse en soi, c'est seulement sa perspective de parousie universelle qui est erronée. On ne peut pas la lui reprocher : il l'a héritée de son judaïsme originel. Il faudra un Luc, venant d'un autre milieu, où ces histoires de fin du monde n'ont pas vraiment de sens, pour la repousser aux "calendes grecques", ou un Jean, à la fibre essentiellement mystique, pour l'individualiser, en faire un événement personnel auquel chacun peut parvenir à son rythme. Et nous, avons hérité de tout ceci à la fois, dans un mélange quelque peu improbable. Nous continuons de professer notre foi en des fins dernières, même si peu croient vraiment à la possibilité concrète d'un tel événement universel pouvant survenir théoriquement à tout moment... ! Et parallèlement, nous affirmons pourtant croire en un Royaume possiblement déjà là, dont nous participerions sans le savoir clairement, "dans la foi", selon l'expression consacrée qui signifie en réalité "en aveugle" !
Pourquoi ne pourrait-on pas entrer personnellement en pleine conscience dans le Royaume dès ici, dès aujourd'hui ? Comment peut-on envisager qu'à un moment donné Dieu sifflerait la fin de la récréation pour tout le monde, et tant pis alors pour ceux qui ne seraient pas prêts, qui n'auraient pas assez d'huile dans leur lampe ? Je ne crois pas qu'il y ait de réponses satisfaisantes à ces questions. Considérer qu'il y aura un jour où, collectivement, tout le monde se retrouvera simultanément au pied du mur, n'est qu'une projection de l'ancienne conception très terrestre et politique de la venue du Royaume sous la forme de souveraineté nationale définitivement rétablie pour Israël sur ses terres. L'idée de parousie ne vient que de là, et d'un profond mépris de la condition humaine naturelle, censément irrémédiablement invalidée par le péché originel, et donc incapable d'accéder réellement dès cette vie-ci à l'autre vie. La réalité est que le Royaume est là, de tous temps, de toute éternité. Il n'est pas un lieu, mais une manière d'être en relation avec Dieu, accessible à chacun, personnellement, ici et maintenant. À chacun de voir si ça l'intéresse ou pas !