Pour ce qui est de pleurer et se lamenter, on peut facilement l'imaginer : c'est tout leur monde qui va s'effondrer avec la mort de leur rabbi, la mort de celui dont ils étaient persuadés qu'il était le messie, et voilà que non ! Non ! ils s'étaient trompés, ils se sont trompés ! Tout pourtant plaidait pour que ce soit bien lui, tous ces signes qui se produisaient par son intermédiaire ne pouvaient signifier que cela, Dieu était avec lui, il était non seulement son prophète, mais bien plus que cela encore ; jamais dans toute l'histoire d'Israël n'y a-t-il eu de plus grands prodiges réalisés par la main d'un seul homme ; celui-ci était bien aussi grand que Moïse, ou si proche, et, ne serait-ce que pour les libérer des romains, il allait certainement donner enfin la pleine mesure de ses moyens, il ne faisait pas de doute qu'il en avait les capacités, il ne faisait pas de doute qu'il était le messie.
Et puis voilà que non, que l'histoire va se finir en eau de boudin. Il ont tout laissé, maison, métier, femme, enfants, leur village, leurs amis, et tout ça pour rien, pour une chimère. C'est sûr, ils ne vont plus rien y comprendre. Qu'est-ce que c'est que ce Dieu qui leur a joué un tour pareil ? ce Dieu qui avait promis qu'ils seraient chez eux sur cette terre, ce Dieu qui était pourtant avec cet homme-là pour qu'il puisse se produire de tels signes, mais qui le laisse, qui les laisse, ensuite ainsi tomber ? c'est sûr, leur monde va s'effondrer. Cela va bien au-delà d'une simple déconvenue, ce sont les fondements même de leur personnalité, de leurs croyances, de leur cadre de pensée, qui s'écroulent. C'est plus, bien plus, qu'une dépression ; on ne peut pas parler seulement de marasme, de malaise : c'est un raz-de-marée, un tremblement de terre, une explosion atomique, tout vole en éclats, il ne reste absolument plus rien à quoi ils pourraient se raccrocher.
Deux millénaires plus tard, tout ceci a été tellement apprivoisé, tellement domestiqué, tellement travesti ; être chrétien est devenu une religion, avec tous ses rites qui ont appris à Dieu qui il était, quelle était sa place, loin, suffisamment loin, des hommes, pour qu'il ne risque pas trop de les déranger dans leurs petites affaires, dans leurs petits bonheurs, car n'est-ce pas, il faut bien vivre quand même, il faut bien qu'on puisse s'organiser pour faire que notre séjour en ce monde soit aussi agréable que possible, en attendant de passer de l'autre côté, où il sera toujours assez tôt pour découvrir ce qui nous y attend peut-être. Et heureusement, le culte de la raison est venu dissiper les quelques doutes qui pouvaient encore subsister ; non, tout ça, ça n'existe pas, ce ne sont que de vieilles lunes, les fruits de la folle du logis, des résidus des temps d'avant la science, la vraie, la seule dont les connaissances soient garanties.
Agrandissement : Illustration 1
« un peu et vous ne me voyez plus
et de nouveau un peu et vous me verrez »
certains de ses disciples se dirent alors les uns aux autres
« qu'est-ce qu'il nous dit
"un peu et vous ne me voyez plus
et de nouveau un peu et vous me verrez" ?
et "parce que je pars vers le Père" ? »
ils disaient donc
« qu'est-ce qu'il dit "un peu" ?
nous ne savons de quoi il parle »
Jésus connût qu'ils souhaitaient l'interroger et leur a dit
« au sujet de ce que vous vous enquerrez les uns auprès des autres
de ce que j'aie dit
"un peu et vous ne me voyez plus
et de nouveau un peu et vous me verrez"
amen ! amen ! je vous dis
vous pleurerez et vous lamenterez
et le monde se réjouira
vous serez affligés vous
mais votre affliction deviendra de la joie »
(Jean 16, 16-20)