On peut se demander si cet événement, ces noces auxquelles sont conviées ces jeunes filles, symbolise la venue du messie selon les espérances juives, ou le retour de Jésus après son éclipse provisoire, selon les espérances chrétiennes. Dans le second cas, on est alors plutôt dans une histoire inventée par les premiers chrétiens pour s'encourager dans cette attente dont nous parlions déjà hier, ce retard dans l'établissement du royaume dont ils ne comprenaient pas trop les raisons : en effet, que Jésus ait vaincu la mort, ne changeait pas grand chose à leurs attentes à eux du royaume comme d'un événement extérieur à eux, quelque chose qui allait leur arriver sans qu'ils n'aient grand chose d'autre à faire que de tenir bon jusque là.
On peut se demander alors, dans l'un et l'autre cas qui donc se rejoignent comme ayant en commun de dépendre d'un personnage extérieur, d'un deus ex machina, d'où vient une telle idée, comment en est-on arrivé à une telle démission, à une telle déresponsabilisation, pour ne pas dire infantilisation ? Dans le judaïsme, on peut remarquer qu'il y a une certaine cohérence avec l'idée d'être le peuple élu, le peuple chouchou, le peuple préféré ; à partir de là, qu'on se mette à démissionner de sa dignité pour tout miser sur celui qui est censé avoir déjà tant fait pour nous, est finalement assez compréhensible : puisqu'il l'a fait dans le passé, il le fera donc bien encore à l'avenir. En bref, même si on comprend bien qu'on a à se comporter individuellement le plus droitement possible, on s'attend quand même par ailleurs à de nouveaux hauts faits du Dieu pour ce qui est d'un salut communautaire.
Mais pour les chrétiens ? pour les premiers chrétiens, et pour tous ceux qui sont venus à la suite ? On a l'impression qu'ils ont comme gommé le fait que Jésus soit réellement mort, qu'ils ont considéré cela comme n'étant qu'un accident, un petit loupé qui s'est rattrapé par sa "résurrection" : ouf ! puisqu'il est de nouveau vivant c'est donc qu'il n'aurait pas vraiment péri, et c'est à ça qu'il va nous initier, ou même nous le donner comme ça sans qu'on ait grand chose à faire. Et c'est ainsi que les premiers pensaient qu'ils ne mourraient pas, qu'ils allaient directement vivre éternellement, et que par la suite on se représente qu'on ne mourra pas vraiment, ce sera juste pour de faux, à peine un moment à passer, l'instant d'avant on est vivant de cette vie-ci, l'instant d'après on est vivant de la vie éternelle (variante : il se passe du temps entre les deux, mais au regard de l'éternité cela finit par apparaître comme ce que c'était, une illusion).
Et moi j'ai le sentiment que, ce faisant, on tue Jésus une nouvelle fois, on le trahit ; que s'il a accepté de se faire mettre à mort (parce qu'il aurait très bien pu laisser tomber et aller se couler des jours tranquilles ailleurs...), c'est justement pour que soit mise à mort avec lui cette figure du messie, de l'homme providentiel qui fait quoi que ce soit à la place des autres. Toute sa vie, il a témoigné de ce que Dieu n'est pas au-dehors de nous, et que nous n'avons donc pas à le chercher ailleurs qu'en nous : nous avons tout en nous. Jésus n'est pas mort pour faire quoi que ce soit à notre place, mais au contraire pour nous dire, pour te dire, pour me dire : tu as tout ce dont tu as besoin en toi, cesse donc de te rendre esclave ainsi avec de telles idées de messie, de sauveur, de surhomme, de superman ou de père noël ! Puise donc à cette source qui est en toi et qui se désespère de couler en vain pour toi !

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alors le royaume des cieux sera semblable à
dix jeunes filles ont pris leurs lampes
et sont sorties à la rencontre du marié
or cinq d'entre elles étaient sottes
et cinq sensées
en effet les sottes en prenant les lampes
ne prirent pas d'huile avec elles
mais les sensées prirent avec leurs lampes
de l'huile dans des récipients
puis comme le marié tardait
elles s'assoupirent toutes
et elles dormaient
et au milieu de la nuit un cri surgit
"voici le marié ! sortez à la rencontre !"
alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent
et elles préparèrent leurs lampes
et les sottes dirent aux sensées
"donnez-nous de votre huile car nos lampes s'éteignent !"
mais les sensées répondirent en disant
"jamais il n'y en aurait assez pour nous et pour vous
allez plutôt chez les marchands et achetez-vous en !”
et pendant qu'elles allaient acheter
le marié est venu et celles qui étaient prêtes
entrèrent avec lui aux noces
et la porte fut fermée
et après vinrent aussi les autres jeunes filles disant
"seigneur ! seigneur ! ouvre-nous !"
mais il répondit en disant
"amen ! je vous dis que je ne vous ai jamais connues"
veillez donc ! car vous ne connaissez ni le jour ni l'heure
(Matthieu 25, 1-13)