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Billet de blog 29 octobre 2014

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Billet original : Attention ! Attention !

Il passait par villes et villages, et enseignait, en faisant le voyage vers Iérousalem. Quelqu'un lui dit : « Seigneur, s'il y aura peu de sauvés ? » Il leur dit : 

« Luttez pour entrer par la porte étroite. Car beaucoup, je vous dis, chercheront à entrer, et ils ne seront pas assez forts ! Une fois que le maître de maison se sera réveillé et aura bouclé la porte, vous commencerez à rester dehors et à toquer à la porte en disant : "Seigneur, ouvre-nous !" Il répondra et vous dira : "Vous, je ne sais pas d'où vous êtes !" Alors vous commencerez à dire : "Nous avons mangé en face de toi, et bu, et, sur nos places, tu as enseigné !" Mais il dira : "Je vous dis : Je ne sais pas d'où vous êtes ! Écartez-vous de moi, tous, ouvriers d'injustice !" 

« Là sera le pleur, le grincement des dents : quand vous verrez Abraham, et Isaac, et Jacob, et tous les prophètes, dans le royaume de Dieu, – et vous, jetés dehors, à l'extérieur ! Ils viendront de l'orient et de l'occident, du septentrion et du midi, pour s'installer à table dans le royaume de Dieu. Et voici : il est des derniers qui seront premiers, et il est des premiers qui seront derniers ! »

Luc 13, 22-30

Encore une péricope propre à Luc, qui a puisé dans plusieurs thèmes de la source Q pour composer ce discours assez hétéroclite. C'est presque chaque phrase qui nous évoque un passage différent chez Matthieu, en sorte qu'on a du mal à se représenter la scène que Luc a prétendu nous décrire, ainsi que son contexte. Nous allons pourtant commencer par là, identifier toutes ces correspondances avec Matthieu, en tant qu'autre témoin de la source Q, avant de chercher à comprendre ce que Luc a voulu faire.

Luc nous rappelle d'abord le cadre dans lequel il a situé son évangile depuis la transfiguration : Jésus est censé faire route vers Jérusalem. C'est un cadre rhétorique. Il n'est pas crédible que Jésus ait mis plus de temps à se rendre depuis la Galilée jusqu'à la capitale, qu'il n'en aurait passé en Galilée seule dans la première période de son ministère. Mais symboliquement, il est assez vraisemblable qu'à partir du moment où Jésus a compris les limites de son action en Galilée, il lui ait fallu du temps pour s'orienter définitivement vers Jérusalem et la Judée. Jésus n'est donc pas parti comme ça du jour au lendemain, sur les routes, pour aller à la capitale, ce sont plutôt son esprit et ses intentions qui ont pris cette direction, et peut-être a-t-il fait en réalité plusieurs allers-retours, avec des séjours plus discrets, que celui qui est décrit par les synoptiques comme le dernier, bien marqué celui-ci. Quoi qu'il en soit, ce n'est qu'une notation pour rappeler ce cadre théorique, et pour donner aussi un peu plus d'intensité à la question soulevée par l'interlocuteur. Les auditeurs savent ce qui se passera à Jérusalem, ce qui dramatise la question : être sauvés.

La "porte étroite" se retrouve en Matthieu 7, 13-14, dans le sermon sur la montagne. Le thème est le même, entrer dans le Royaume n'est pas une sinécure. Le décor est un peu différent, puisque chez Matthieu on parle aussi d'un chemin, en sorte que la porte serait plutôt celle d'une ville dans laquelle on cherche à entrer, alors qu'ici dans la suite il va être question plutôt de la porte d'une maison. Ceux qui ne sont "pas assez forts" nous évoquent, eux, Matthieu 11, 12, dans un discours au sujet de Jean Baptiste, où il est question du Royaume que "jusqu'à présent des forts ravissent". Cet assaut du Royaume par des forts est donc plutôt déploré, c'est sans doute dans ce même sens qu'en parle ici Luc, pour prédire des temps où cette force deviendra inopérante, même si sa formule est un peu ambigüe. Le "maître de maison", ensuite, qui ferme à clé une porte, et qui répond à ceux qui viennent y frapper qu'il ne les connaît pas, provient pour sa part de la parabole des vierges sages et des vierges folles (Matthieu 25, 10-12). Avec une petite bizarrerie : ici c'est le maître qui se réveille pour fermer la porte, on se demande un peu quelle est la logique (s'agit-il d'une sorte de dragon qui s'aperçoit qu'on veut voler son or ?:). Dans la parabole de Matthieu, ce sont les vierges qui se sont endormies, et qui se réveillent au retour du maître. En tout cas, la suite immédiate du dialogue (nous avons mangé avec toi ... je ne vous connais pas) est prise à nouveau dans le sermon sur la montagne (Matthieu 7, 22-23), au sujet de ceux qui se contentent de dire "Seigneur ! Seigneur!" mais qui ne font pas la volonté du Père.

La conclusion est presque un refrain, décliné ici dans ses deux variantes. La première, avec Abraham, Isaac et Jacob qui font envie à ceux qui sont restés à l'extérieur, s'adresse plutôt aux juifs, pour leur faire honte de n'avoir pas été dignes de leurs ancêtres. La seconde, avec les quatre points cardinaux, qui symbolisent les nations, et qui deviennent premiers dans le Royaume, s'adresse aux païens de la communauté de Luc, auxquels il est donc promis qu'ils peuvent y accéder, même avant, si ce n'est à la place, des juifs. Pas plus ce refrain, que le reste du discours, ne répondent vraiment à la question initiale, qu'on peut donc considérer comme non pertinente. Effectivement, se renseigner si "il y aura peu" de sauvés (en espérant une réponse qui dise qu'il y en aura beaucoup), n'est-ce pas tenter de se reposer sur les lois de la statistique pour gagner son ticket ? La question, venant juste après les deux paraboles de la graine de moutarde et du levain, vient contrebalancer l'impression de facilité qu'elles avaient pu induire. Non, ça ne se fait pas non plus tout seul. Nous sommes bien ici dans cette seconde catégorie d'enseignements des évangiles, dont nous parlions déjà hier, celle qui met en valeur la difficulté de trouver le Royaume. Par contre, ce n'est pas non plus ici que nous comprendrons en quoi réside exactement cette difficulté ! Luc a composé une sorte de pot-pourri de différentes mises en garde extraites d'autres contextes : il ne reste plus que les avertissements, sans les contextes qui pouvaient, eux, expliciter quelque peu la problématique...

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