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Billet de blog 1 juillet 2014

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Peurs enfantines

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Billet original : Peurs enfantines

Il monte dans la barque : ses disciples le suivent. Et voici, un grand séisme survient dans la mer, au point que la barque est couverte par les vagues. Mais lui dormait. 

Ils s'approchent, le réveillent en disant : « Seigneur ! Sauve ! nous sommes perdus ! » Il leur dit : « Pourquoi êtes-vous terrifiés ? Minicroyants ! » Alors, une fois réveillé, il rabroue les vents et la mer, et survient un grand calme. 

Les hommes s'étonnent et disent : « De quelle espèce est-il, celui-là ? que même les vents et la mer lui obéissent ! »

Matthieu 8, 23-27

Après le lépreux, le garçon du centurion et la belle-mère de Pierre, nous changeons de registre, pour aborder ce qu'on appelle un miracle "sur la nature". C'est une expression qui ne veut en fait pas dire grand chose. On regroupe sous cette appellation tout ce qui n'est ni guérison ni exorcisme, qui sont pourtant eux aussi des miracles sur la nature... Il n'y a en tout, dans l'ensemble des quatre évangiles, que sept de ces miracles "ni guérison, ni exorcisme" qui nous soient rapportés. En recherche historico-critique, on considère généralement comme assuré que Jésus ait été réputé de son vivant comme un bon thaumaturge, autrement dit guérisseur/exorciseur (c'était la même chose, les maladies étant considérées comme provoquées par des esprits). Pour les sept miracles qui ne relèvent pas de cette catégorie, les avis sont le plus généralement négatifs. Les probabilités de réalité historique sont faibles. Principalement pour la raison que, contrairement aux guérisons qui sont plutôt des réponses personnelles à des situations de détresse, ces sept miracles sont plus de pures manifestations d'une puissance gratuite.

Dans le récit du jour, nous avons pourtant l'impression qu'il s'agissait bien d'une telle situation d'urgence : "nous sommes perdus" ! Effectivement, suite à un tremblement de terre (c'est le mot précis utilisé par Matthieu, séisme, même si la plupart des traductions l'atténuent par peur du ridicule) survenant sur la région du lac, on voit mal que la barque, et ses occupants, puissent s'en sortir sans dommages. Mais il faut regarder les passages parallèles de Marc et Luc qui ne parlent, eux, que d'un fort vent qui agite la mer, la barque se remplissant alors progressivement d'eau sous l'assaut des vagues... ce qui est déjà plus cohérent avec le fait que les disciples aient le temps de réveiller Jésus. Ajoutons que Matthieu est un grand amateur de ces films catastrophes à grand spectacle que sont les séismes, puisque lui seul va nous en rapporter deux autres, un à la mort de Jésus, et un le matin de la résurrection... Difficile alors de savoir ce qui a bien pu se passer en réalité, mais on imagine volontiers qu'une des nombreuses traversées du lac a pu se dérouler, une fois, de façon plus mouvementée que d'habitude. Que le réveil de Jésus ait coïncidé avec la fin subite d'un vent violent a pu alors suffire a générer la croyance que c'était lui qui avait fait revenir le calme.

J'imagine volontiers les réactions de ceux qui tiennent à un Jésus superman ! mais franchement, est-ce là notre foi ? Ce qui nous parle en Jésus, c'est son attention aux plus démunis, témoignage d'un Père aimant, particulièrement les plus petits, ou le surhomme assurant le spectacle de foire ? L'incarnation nous parle-t-elle de super-pouvoirs que nous pourrons acquérir si nous suivons le bon entraînement, ou de la puissance de l'amour si nous savons l'exercer jusque avec nos ennemis ? Si nous sommes encore impressionnés par les noces de Cana, la pêche miraculeuse, la tempête apaisée, la multiplication des pains, la marche sur les eaux, le figuier desséché ou la pièce de monnaie trouvée dans la bouche du poisson, c'est que nous sommes encore comme des enfants, au mauvais sens de l'expression, qui refusons de reconnaître que nous sommes limités physiquement. La bonne nouvelle n'est pas que nous serions des dieux, ni que nous pourrions le devenir, comme cherchent à nous le faire croire les prométhées modernes de la science, mais que Dieu est en chacun de nous comme une présence, plus intime que nous-mêmes. La puissance de l'amour n'est pas dans la maîtrise du monde des éléments, mais dans la maîtrise de notre cœur quand il s'ouvre aux autres et à l'Autre, plus grand que lui et pourtant son origine.

Reste, bien sûr, tout un symbolisme qu'on peut apprécier. Jésus maître des flots et sauvant les disciples de la noyade, peut être pris pour une anticipation de sa victoire sur la mort. Jésus maître du vent, et ramenant le calme dans le cœur des mêmes disciples, peut signifier qu'il donne l'Esprit. Tout ceci se déroulant alors qu'ils sont en chemin vers une terre étrangère peut encore être pris comme annonce de la future universalité du christianisme. C'est l'avantage d'une lecture symbolique, on trouve toujours quelque chose. Sans parler du contexte de Matthieu avec son Jésus nouveau Moïse, qui pourrait nous évoquer une nouvelle traversée de la mer Rouge au milieu des flots dressés de chaque côté des hébreux ? pourquoi pas. Pourquoi pas, si on veut, à condition de bien nous rappeler alors qu'il ne s'agit que de symboles. Et à condition aussi qu'à force de symbolisme, on ne finisse pas par oublier que Jésus a aussi été une personne réelle, qui a réellement vécu, avec un message réel lui aussi, et qui n'a finalement que peu de rapports avec tout ça, avec le Messie, avec le personnage au-dessus de notre condition, que le mythe a tendance à nous inculquer. Retenons alors une seule image : celle de ce calme, cette paix dont parle pour sa part l'évangile de Jean, celle que nous trouvons quand nous entrons effectivement dans la vie de l'Esprit.

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