Le mot grec "analepsis", traduit ici par "élévation", peut signifier à la fois : 1) l'action de tenir suspendu (...un membre blessé, supporté par un bandage), ce qui évidemment évoque Jésus suspendu à la croix ; 2) l'action de se charger de, l'adoption (d'un enfant), la réparation (d'une faute), ce qui évoque de plus ce qu'on appelle la rédemption ou le salut que Jésus est censé apporter à l'humanité par sa mort ; 3) l'action de recouvrer (le pouvoir, la mémoire), l'action de reprendre des forces, la restauration, le rétablissement, ce qui évoque encore la résurrection ; toutes ces actions, ayant en commun une idée de mouvement de bas en haut, d'élévation donc, évoquent enfin en conséquence et pour terminer l'ascension au ciel : Luc nous a ainsi gratifiés ici d'un mot multisémantique d'une richesse exceptionnelle !
Il y a eu dans l'histoire biblique une autre figure fameuse qui a été élevée jusqu'au ciel, le prophète Élie. Or, Élie est aussi bien connu pour avoir fait tomber le feu du ciel sur des soldats venus pour l'amener de force au roi. Ce n'est donc pas du tout un hasard si Luc nous parle de Jacques et Jean se proposant de réitérer la même action, faire tomber le feu du ciel, sur ces Samaritains qui refusent de satisfaire aux règles sacrées de l'hospitalité. C'est que Luc, d'une manière plus générale, dans plusieurs passages qui lui sont spécifiques par rapport aux deux autres synoptiques, tend à nous montrer Jésus comme un nouvel Élie : comme Élie Jésus est dramatiquement incompris dans sa patrie, comme Élie il ressuscite le fils d'une veuve pauvre, il déclare aussi être venu pour jeter un feu (symbolique) sur la terre... En sorte que, là où Matthieu fait dire par Jésus que ce serait Jean-Baptiste qui serait le nouvel Élie, on peut dire que Luc, lui, considère que c'est Jésus lui-même qui remplit ce rôle.
Le refus catégorique opposé à Jacques et Jean est alors notablement typique de la rupture entre le prophétisme à la manière de Jésus de celui à la manière d'Élie, et même plus généralement de nombre de comportements attribués à Dieu par les Hébreux. Élie effectivement ne regardait pas trop au "tu ne tueras pas" quand il s'agissait de ses ennemis : cinquante soldats carbonisés par ci, cinquante autres carbonisés par là, quatre cent cinquante prophètes de Baal et quatre cents prophètes d’Ashéra égorgés de sa propre main... Mais qu'on pense aussi à l'exemple lui venant d'en-haut, aux dix plaies d'Égypte culminant par la mort de tous les premiers-nés des Égyptiens, à l'armée de pharaon engloutie dans la mer rouge, ou encore aux massacres supposément ordonnés par Dieu de tous les Cananéens habitant la "terre promise"... non, le Père de Jésus n'est pas le même que le YHWH de l'ancien temps, ou ce serait ce dernier qui, avec l'âge, aurait perdu de son mordant et de sa niaque !?
Plus sérieusement, ceci signifie évidemment qu'il n'est guère possible de prendre pour argent comptant tout ce qui nous est dit à son sujet dans la geste du "peuple élu". Tous ces récits sont des mythes, ce qui ne veut pas dire que les Hébreux aient tout inventé, mais que c'est ce qu'ils ont retenu ou cru comprendre des révélations dont ils ont pu bénéficier. Et il en va bien évidemment de même pour ce que Jésus a pu percevoir de la déité, sans même parler de ce que ses disciples et leurs successeurs ont pu ensuite comprendre à ce dont il a essayé de témoigner. Dieu, ou la Transcendance immanente, ou la Source, ou l'Être, ou le Tout, etc., ne se manifeste en fait jamais à nous avec des mots, des phrases, des raisonnements, des messages, des ordres, rien de ce qui constitue notre mode de communication propre à nous les humains...
Tout ce qui est de cette sorte-là, verbal, en de telles circonstances, lors de "révélations", d'expériences "mystiques", vient de nous, est notre façon de les ressentir et d'y réagir. Non que cette transcendance immanente soit impersonnelle, au contraire, mais il vaudrait mieux dire qu'elle est supra-personnelle, dépassant même ce qui fait les caractéristiques de notre notion de personne. Pour ma part, j'aime à la nommer sous le nom de la Présence, une présence autant paternelle que maternelle, autant épouse qu'époux, autant ancêtre que descendance, récapitulant toutes les sortes de présences que nous pouvons connaître, et au-delà encore. Cette Présence nous habite toutes et tous, et toutes et tous nous l'habitons aussi, ce n'est pas une relation à sens unique (elle dépend de nous autant que nous dépendons d'elle) mais une relation de coopération réciproque, comme un marché gagnant-gagnant, en devenir toujours, pour le meilleur comme pour le pire, cela aussi étant de notre responsabilité.

Agrandissement : Illustration 1

puis ce fut l'accomplissement
des jours de son élévation
et lui a affermi sa face
pour aller à Iérousalem
et il a envoyé des messagers devant sa face
et ils sont allés
et ils sont entrés dans un village de Samaritains
afin de préparer pour lui
mais on ne l'a pas accueilli
parce que sa face allait à Iérousalem
alors en voyant ça
les disciples Jacques et Jean dirent
« seigneur ! veux-tu que nous disions au feu
de descendre du ciel et de les consumer ? »
mais s'étant retourné il les a engueulés
et ils sont allés dans un autre village
(Luc 9, 51-56)