Un des rares passages de l'évangile de Jean qui se déroule en Galilée, et de plus le lieu indiqué est Cana, ce qui donne l'impression que, pour Jean, ce pourrait être là la ville natale de Jésus. À part Cana, la seule autre ville de Galilée que mentionne cet évangile est Capharnaüm, surtout à l'occasion de la multiplication des pains, dans la synagogue de laquelle Jésus aurait prononcé ce qu'on appelle souvent le "discours sur le pain de vie". Mais il faut aller plus loin : il y a si peu d'événements de cet évangile se déroulant en Galilée, que la conclusion inévitable en est que l'auteur n'était pas galiléen, mais judéen, et même plus précisément jérusalémite, puisque la très grande majorité des scènes décrites se déroulent à Jérusalem.
Il n'en reste pas moins ces quelques rares scènes en Galilée, au nombre même précis de trois : la noce à Cana, cet épisode-ci avec cet officier du roi dont le fils est à l'article de la mort, et la multiplication des pains. Pour la noce de Cana, l'auteur laisse entendre qu'il se trouvait avec Jésus comme disciple du Baptiste, et qu'il l'a suivi quand il est reparti en Galilée, et ce serait ainsi qu'il aurait assisté à ce qu'il appelle son premier signe. Mais très vite il fait ensuite revenir son héros à Jérusalem à l'occasion d'une Pâque, et dès lors c'est bien la capitale qui devient centrale dans le récit, comme le pole magnétique autour duquel tout s'ordonne, avec exceptionnellement ces deux retours en Galilée que sont l'épisode d'aujourd'hui et la multiplication des pains.
Pourquoi l'auteur a-t-il alors tenu à ces deux épisodes ? Pour la multiplication des pains, peut-être ne pouvait-il pas l'ignorer, tant très vite l'eucharistie était devenue centrale dans la vie rituelle des premiers chrétiens. On sait que l'évangile de Jean ne raconte pourtant pas son institution, mais cette multiplication des pains lui permettait par contre de donner quel sens ce rite pouvait éventuellement prendre selon lui, avec ce fameux discours dans la synagogue de Capharnaüm. Mais pour notre officier du roi ? l'histoire en semble relativement banale, et d'ailleurs plus ou moins décalquée de celle du "chef de cent" que rapportent Matthieu (8, 5-13) et Luc (7, 1-10) : dans les deux cas un officier militaire dont le fils est mourant, et une guérison à distance.
Est-ce cette caractéristique-là qui a séduit l'auteur, la guérison "en aveugle", sans être présent ? les synoptiques en ont bien un autre exemple, avec la fille de la syro-phénicienne (Matthieu 15, 21-28 ; Marc 7, 24-30), mais il s'agit d'une païenne, ce qui semble rédhibitoire pour Jean. On retiendra donc que c'est vraisemblablement cela qui l'a motivé à reprendre cette guérison du fils d'un officier : la guérison à distance, et là où chez Matthieu comme Marc l'enfant se trouvait simplement quelques rues plus loin, ici nous avons carrément une très grosse journée de marche (40 km) !
Mais le plus important est ailleurs, dans la remarque de Jésus, plus ou moins interrogative, ou affirmative, mais dans les deux cas pour le déplorer : si vous ne voyez pas de signes et prodiges vous ne croirez pas !? et justement voici que l'homme croit simplement sur la parole de Jésus que son fils vit, qu'il est guéri ; cela lui suffit. On dira : oui, mais, si en redescendant il trouvait son fils mort ? oui, c'est vrai, et on voit bien d'ailleurs qu'en rencontrant ensuite à mi-chemin entre les deux villes des serviteurs montant de Capharnaüm pour lui annoncer la bonne nouvelle et qui lui confirment que la guérisons s'est produite à l'heure où Jésus la lui a annoncée, à ce moment-là la foi de cet homme s'en trouve définitivement et fermement établie, et bien sûr celle aussi de toute sa maison.
Il n'empêche que ce fut d'abord sur la seule parole de Jésus qu'il crut, ce qui rejoint le récit de Matthieu et Marc : dis seulement une parole !
Agrandissement : Illustration 1
et après les deux jours il est parti de là pour la Galilée
(en effet Jésus lui-même a attesté
qu'un prophète n'a pas d'honneur dans sa propre patrie)
et quand il est arrivé dans la Galilée
les Galiléens l'ont accueilli
ayant vu à Jérusalem durant la fête
tout ce qu'il avait fait de grand
car eux aussi étaient allés à la fête
et il est venu de nouveau à Cana de Galilée
où il avait fait l'eau vin
et il y avait à Capharnaüm un officier du roi
dont le fils était malade
lequel ayant entendu que Jésus était venu de Judée en Galilée
s'en alla vers lui et il le priait
de descendre et de guérir son fils car il allait mourir
alors Jésus lui a dit
« si vous ne voyez pas signes et prodiges vous ne croirez pas !? »
l'officier du roi lui dit
« seigneur ! descends ! avant que ne meure mon enfant »
Jésus lui dit
« va ! ton fils vit »
l'homme crut à la parole que Jésus lui avait dite et il partit
et déjà en descendant ses serviteurs le rejoignirent disant
que son enfant vivait
alors il s'enquit d'eux de l'heure où il était allé mieux
et ils lui dirent
« c'est hier à la septième heure que la fièvre l'a quitté »
et le père sut que c'était l'heure où Jésus lui avait dit
« ton fils vit ! »
et il crut lui et toute sa maison
et de nouveau c'est un deuxième signe qu'a fait Jésus
étant venu de la Judée à la Galilée
(Jean 4, 43-54)