C'est un tournant : jusqu'à présent les disciples étaient dépendants de Jésus pour ce qui concerne ce Dieu qu'il appelait son Père, c'était lui leur maître qui leur en parlait, qui leur disait quel rapport les unissait tous les deux, et ils auraient pu croire qu'il en serait toujours ainsi, qu'ils auraient toujours à passer par Jésus pour avoir eux-mêmes quelque rapport que ce soit avec la divinité, mais non ! Mais non ! Il le dit ici en toute clarté, en toutes lettres, désormais ils n'auront plus à s'adresser à lui, Jésus, mais ils pourront s'adresser eux-mêmes directement à Dieu, au Père, qui est bien tout autant leur "Père" que le sien.
Ceci, "au nom" de Jésus, c'est-à-dire comme ils l'ont vu le faire lui : puisque lui, un homme comme eux, le faisait, ils peuvent donc bien le faire aussi, en prenant exemple sur lui. Il ne s'agit cependant évidemment pas de se contenter de le singer, de faire comme si, il s'agit bien de rentrer dans la même relation filiale au même "père". C'est ce qu'a retenu une certaine tendance de la tradition chrétienne qui considère que, inspirés par l'Esprit les chrétiens sont "configurés" au Christ (configurés, c'est-à-dire modelés, le prenant pour modèle, faisant comme lui) tourné vers le Père. Mais une autre tendance de la même tradition a progressivement érigé Jésus au même rang que le Père et continue de s'adresser à lui comme s'il était Dieu lui-même.
Issu de Dieu, émané de Lui, c'est le cas d'absolument toute la création, le monde entier, tout l'univers, tout ce qui est, il n'y a pas là de quoi en faire l'égal de Dieu ; nous sommes toutes et tous issus de Dieu, il est bien notre "père" à chacune et chacun, il n'y a donc aucune raison pour que nous ne puissions pas entrer dans la même relation à ce Père que celle qu'avait Jésus aussi avec Lui. Toute la pédagogie de cet évangile de Jean est là, montrant les disciples d'abord subjugués par Jésus, subissant son ascendant, et lui les initiant progressivement, jusqu'à ces révélations finales : faites, vous aussi, comme moi, entrez dans la même relation au Père que la mienne.
Bien entendu, à ce moment précis de l'histoire où nous sont rapportés ces mots, ils en sont encore absolument incapables, il va falloir qu'ils passent d'abord par ce qui nous était décrit juste avant, la crise, les larmes, la dépression terrible, le deuil de leurs croyances en un messie du type surhomme, et on est en droit de se demander si c'est bien Jésus qui leur a fait une telle révélation, ou si ce sont eux qui l'ont placée là après coup, mais même en ce dernier cas, s'ils en parlent, c'est que c'est ce qu'ils vivent, c'est donc bien une réalité dont ils ne peuvent que témoigner, c'est là la réalité vécue par au moins cette communauté johannique, et on ne voit pas pourquoi il faudrait la taire.
Agrandissement : Illustration 1
et en ce jour-là à moi vous ne demanderez plus rien
amen ! amen ! je vous dis
quoi que vous demandiez au Père en mon nom
il vous le donnera
jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en mon nom
demandez et vous recevrez
en sorte que votre joie soit parfaite
ces choses je vous les ai dites en paraboles
une heure vient
où je ne vous parlerai plus en paraboles
mais c'est en clair que je vous annoncerai le Père
en ce jour-là vous demanderez en mon nom
et je ne vous dis pas
que c'est moi qui demanderai au Père pour vous
car le Père lui-même vous aime
parce que vous m'avez aimé
et que vous avez cru que moi je suis issu de Dieu
je suis issu du Père et je suis venu dans le monde
inversement je quitte le monde et je vais vers le Père
(Jean 16, 23-28)