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Billet de blog 31 juillet 2025

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Du neuf et de l'ancien

Il faut savoir faire un tri dans les traditions, entre l'esprit qui les a inspirées et les formes qu'elles ont prises plutôt par sclérose et paresse, par facilité et négligence, ou même par pure ignorance.

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La senne est un filet de pêche destiné à ramasser de grandes quantités de poissons de toutes sortes ; contrairement donc à d'autres types de pêche où c'est une espèce précise qui est ciblée, celle-ci vise en priorité la quantité. Cette parabole se rapproche alors fortement de celle de l'ivraie, on ratisse large et on ne fera le tri qu'ensuite. La conclusion finale est quasiment un décalque de celle de l'explication de l'ivraie : on sépare les mauvais des bons, on jette au feu les premiers, et en avant pour les pleurs et les grincements des dents... nous voici revenus à cette perspective de fin des temps ou fin du monde qui nous occupe ces derniers jours...

C'est là aussi la fin de cette série de paraboles rassemblées à la suite les unes des autres par Matthieu, et la conclusion qu'il en tire lui est vraiment propre : quand il parle de ce scribe devenu disciple du royaume, autrement dit disciple de Jésus, adhérant à son enseignement, c'est très vraisemblablement de lui-même qu'il parle. Matthieu qui truffe son évangile de "ceci afin que soit accomplie l'Écriture qui dit que...", nous étale par là sa connaissance desdites Écritures, ce qui était effectivement caractéristique de la fonction des scribes. Il est vrai que par ailleurs Matthieu semble aussi avoir été le taxateur que Jésus avait appelé à le suivre, mais ce n'est pas forcément contradictoire ; en tant que scribe il savait lire et écrire, ce qui était aussi nécessaire pour collecter les impôts. Cela aurait cependant constitué une déchéance, d'être passé de spécialiste de l'Écriture sainte à collaborateur des romains, mais que Jésus l'en ait justement fait sortir expliquerait alors son attachement ultérieur indéfectible...

Quoiqu'il en soit, voici donc Matthieu qui nous souligne en conclusion de ce passage la cohabitation fructueuse entre l'ancien et le nouveau, entre la tradition hébraïque dont il est issu et l'enseignement pourtant détonnant de Jésus. Détonnant : on nous le dit à de nombreuses reprises, il parlait avec "autorité", ce qui veut dire qu'il était l'auteur de ce qu'il disait, et non pas qu'il se contentait, justement comme les scribes, de répéter ce qui se disait avant lui, transmis par les longues lignées de la tradition dite orale. Jésus faisait tâche dans ce système, il était révolutionnaire, on l'a bien vu avec la série des "vous avez entendu dire que... or moi je vous dis que...", fustigeant tout attrait pour les richesses et le pouvoir, intimant un amour universel allant jusqu'aux ennemis, exigeant le respect de la dignité de tous et particulièrement des plus méprisés, les infirmes, les femmes, les enfants.

Mais oui, malgré tout ce qu'il pouvait y avoir de radicalement innovant dans l'enseignement de Jésus, il ne faisait pas pour autant table rase du passé, bien loin de là. Et c'est ce dont Matthieu a voulu témoigner ici par cette formule du scribe qui tire de son trésor (son cœur) du neuf et de l'ancien, une formule qui parle de retrouver l'esprit qui avait inspiré ses prédécesseurs depuis les origines de cette tradition, en la dépoussiérant, en la débarrassant des scories qui s'étaient accumulées par la suite, ce qui finalement renouvelle complètement la compréhension qu'on avait fini par attribuer, à tort, aux sources desquelles on pensait être issus. Formule nettement préférable à celle du "pas un i, pas un accent, de la Torah" que le même Matthieu avait sortie au début du "sermon sur la montagne" et qui prise au pied de la lettre justifierait justement toutes les lectures intégristes complètement à l'opposé de ce renouvellement, lequel est au contraire à refaire sans cesse.

Être fidèle à Jésus, c'est cela : ne jamais rester prisonnier des formes prises par les traditions qui se réclament de lui, mais toujours rechercher l'Esprit qui l'inspirait et qui nous inspirera nous aussi pour nous en libérer.

Illustration 1

    « le royaume des cieux est encore semblable à

une senne a été jetée dans la mer
et elle en a rassemblé de toutes sortes
et quand elle a été remplie
    on l'a remontée sur le rivage
    et on s'est assis
et on a ramassé les beaux dans des casiers
et les pourris on les a jetés au-dehors
    ainsi en sera-t-il à l'achèvement de cette ère
    les anges sortiront
et ils sépareront les mauvais du milieu des justes
et ils les jetteront dans la fournaise du feu
    là seront le pleur et le grincement des dents

avez-vous compris tout cela ? »

    on lui dit
« oui ! »
    et il leur a dit
« c'est pourquoi
tout scribe devenu disciple du royaume des cieux
    est semblable à un homme maître de maison
    qui produit de son trésor
du neuf et de l'ancien »
 
et il arriva quand il eut achevé ces paraboles
    que Jésus s'éloigna de là

(Matthieu 13, 47-53)

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