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Billet de blog 6 septembre 2023

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2 - La vie dans l'intelligence artificielle

Une réflexion sur le lien entre l'intelligence, l'apprentissage, les données personnalisées et la notion de la vie. Un lien qui me semble intéressant d'explorer pour mieux comprendre le présent, peut-être encore plus, le futur des systèmes dits intelligents.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cet article s'inscrit dans une série sur l’intelligence artificielle que je publie, faisant suite à ma participation à l'émission « Les Grands Entretiens » sur Mediapart.

Je vais ici me poser des questions sur le fait de voir des systèmes dits intelligents comme des formes de vie, comment ils sont parfois personnifiés, et qu'est-ce qui fait d'un objet un vivant ou non en questionnant particulièrement la place de l’intelligence dans ces problématiques. Voici une liste des points que j'aborderai :

  • Vivre dans les yeux des humains
    Comment des IA sont personnifiées et traitées comme vivantes par les usagers
  • Définir la vie
    Réflexion autour de ce qui est vivant et ce qui ne l'est pas
  • L'intelligence pour mesurer la vie ?
    Comment l'intelligence peut être une métrique tentante pour mesurer la vie, et pourquoi ce n'est pas le cas
  • La vie dans les yeux du monde
    Voir la vie à travers sa place dans le monde

Commençons !


Vivre dans les yeux des humains

Intuitivement, beaucoup de personnes qui utilisent un robot conversationnel, en particulier les versions fonctionnant à l’aide de grands modèles de langage, le personnifient. Leur manière de s'adresser au robot ressemble à celle d’un passant demandant à un autre le chemin pour la gare. Le contraste de l’usage de facto des robots conversationnels avec celui des moteurs de recherche est parlant.

Nous observons ainsi un ensemble de réflexes sociaux usuels : des marqueurs de politesse, des remerciements, une expression plus riche, des discussions sans objectif précis et parfois même des blagues etc. En somme, les usagers suivent dans leurs interactions avec le robot, un modèle de personne plus que celui d’une machine.

Lors de ma discussion avec le professeur Casilli , j’avais présenté le cas du robot Cozmo, l'entreprise derrière a changé, et ce robot est actuellement disponible dans sa deuxième version. Il est une illustration simple et éloquente du lien entre les humains et les objets apprenants. C’est d’abord un jouet, un petit robot vendu pour plusieurs centaines de dollars. Outre ses fonctionnalités d’initiation à la programmation pour les enfants, ce jouet intègre de nombreuses compétences algorithmiques issues des IA apprenantes. Cela lui permet par exemple de reconnaître les visages des personnes et des animaux de compagnie, d'apprendre les prénoms, de communiquer à travers le son et son faciès robotique, qui peut présenter à son interlocuteur des yeux joyeux, confus ou en colère, il est également capable de découvrir son environnement et d'y naviguer, etc.

Techniquement, à l'état de l'art aujourd'hui (2023), rien n’empêche ce robot de s'adapter à l’enfant, à ses habitudes, à son expression, de le comprendre, d'essayer de faire des mouvements drôles lorsque l'enfant pleure, etc.

Au fil des années, le robot peut ne plus être un appareil lambda, c’est « le » robot qui a vécu avec l’enfant.

Si maintenant quelqu'un brise ce robot d'un coup de pied, il n'a pas simplement cassé un jouet ; pour l'enfant, c'est bien plus…

Dans les yeux de l’enfant, le robot était unique, pas remplaçable, adapté à lui, le comprenait, partageait ses secrets, etc. Dans les yeux de l’enfant le robot avait un peu de « vie ».

Illustration 1
Le petit prince - Antoine de Saint-Exupéry

Définir la vie

Cette vie du robot dans les yeux de l’enfant nous incite à nous poser la question : devrons-nous le considérer comme vivant ? À partir de quel seuil ou définition un amas d’atomes en collision devient une vie ? Et même est ce forcément une question de seuil ?

C’est une question théorique, certes, mais pas seulement. Cela peut avoir des conséquences pratiques, voire légal. Même si aujourd’hui définir la vie nous paraît un sujet distant, même fictionnel, il est parfois utile de se poser ces questions structurantes en amont …

Nous pourrions penser que nous ne sommes pas directement concernés par ces sujets. Cependant, je pense que nous vivons déjà quelques cas qui illustrent un écho lointain de cette problématique : lors de la destruction par un tiers d’un support de stockage (disque dure, CD-Rom, etc.) de quelques dizaines d’euros où sont stockées les photos de toute une vie, ces données personnelles ou même personnalisées, peuvent avoir une valeur bien plus élevée que celle de leur conteneur. Je vois dans cette valeur des données une prémisse voisine de celle des systèmes apprenants.

Pour répondre à cette question, plusieurs personnes ont essayé de définir la vie, de trouver ainsi des caractéristiques/des ingrédients qui font d’une chose un vivant. Vous trouverez Ici avec ScienceEtonnante et avec Passe-Science quelques essais avec en prime des modèles mathématiques visualisés reprenant certaines caractéristiques de la vie selon leurs modèles.

Je ne prendrais pas ce chemin, d’abord parce que je n’ai pas de définition sur laquelle je suis suffisamment confiant, ensuite cette tâche ne nous aide pas forcément, car même si un temple historique ne sera probablement pas considéré vivant, dire que sa destruction est équivalente à celle de n’importe quelle inerte ne semble pas forcément correct. Il est ainsi tout à fait possible d’avoir d’autre dimension que celle de la vie pour naviguer entre les choix de ce monde.

Le prisme que je propose est plus ample : voir la vie comme une notion relative, à l’instar du paradoxe de Sorite (paradoxe du tas). Sans un grain, un tas de sable reste un tas, sans plusieurs grains, il peut ne plus l’être.

Ainsi, la vie n’est plus vue comme une notion absolue. Entre un atome flottant dans le vide et une baleine, nous passant de l’absence de vie à sa présence. Ce sont des continuums de vie, de structure, de complexité, de phénomènes, d’énergie …

L'intelligence pour mesurer la vie ?

Une des raisons pour lesquelles je vous ai d’abord présenté la problématique de définir de la vie, c’est pour mieux vous faire ressentir pourquoi classer les vivants par leur intelligence est tentant. De facto, dans nos sociétés humaines, nous avons mis l’intelligence sur un piédestal, nous l’avons valorisée et glorifiée, c’est aujourd’hui l’équivalent de ce que la force physique était au passé.

Dans cette euphorie d’avoir trouvé un qualificatif pour dénigrer l’absence de la rationalité, il arrive que des personnes confondent le bon et l’intelligent. Un mirage d’une mesure simple de la morale, une confusion tristement répétitive entre la force et la bonté. Nous devons respecter les stupides, nous respecter nous-mêmes, nous accepter faillibles. Je citerais ici le titre choisi par Guillaume Meurice pour son livre : « Petit Éloge de la Médiocrité »

Illustration 2
Petit éloge de la médiocrité © Guillaume Meurice

Cette valorisation par défaut de l’intelligence est une forme de discrimination, une injustice. Même si nous avons essayé de lui ajouter des qualificatifs, d’imaginer l’intelligence plus grande que ce qu’elle est réellement : C'est une force que nous contrôlons peu, en partie innée.

Cette erreur est commune même chez des personnes bien intentionnées, pour défendre l’empathie, l’altruisme, la bonté, etc. N’oublions pas que la raison, la science, l’intelligence ne sont que des outils parmi d’autres.

La vie dans les yeux du monde

Je ne pourrais pas clore le sujet sur ce qui seraient les bonnes mesures ou classifications de la vie, je n'ai pas de réponse à vous écrire. Je vais en revanche conclure avec une perspective plus originale, voici un exemple qui suscite la réflexion :

En tant qu’être humain, nous avons plusieurs organes qui fonctionnent de concert. Certains comme notre colonne vertébrale, notre boîte crânienne, et même notre cœur aussi pour prendre un exemple plus commun, sont essentiels à notre vie, tout en étant relativement simples dans leur structure et presque dépourvu de capacité à traiter l’information. Leur valeur est mieux comprise dans leur rôle par rapport à leur environnement …

Ce que je souhaite souligner est qu’une structure peut avoir une valeur dans un sens plus global sans dépendre de sa complexité ou de son intelligence, sans même être une valeur intrinsèque. Dans un certain prisme de lecture, qui n’a pas besoin d’être unique, un être humain peut ainsi voir sa valeur dans son rôle au sein de son écosystème.

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