Le projet de Loi El khomri : Une réforme idéologique
Beaucoup a déjà été dit sur ce projet de loi travail. Les organisations syndicales ont fait front, dans un premier temps unanimement, contre cette loi qui s'attaque au code du travail, protecteur pour les salariés.Depuis, des modifications ont été apportées sans que cela change l'esprit du texte ( Manuel Valls), et c'est justement là que le bât blesse.
L'article 1 de ce projet précise la volonté d'adapter le code du travail aux « nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise » en inversant les normes et en occultant le lien de subordination qui met les salariés sous dépendance juridique de l'employeur.
L'inversion de la hiérarchie des normes que l'accord d'entreprise prime, même s'il est défavorable aux salariés en comparaison de ce que la loi prévoit...Jusqu'à présent, la loi fixait un cadre contraignant pour l'employeur duquel il ne pouvait s'émanciper qu'en proposant des mesures plus favorables pour les salariées que celles prévues par la loi.
Le projet de loi El Khomri permettra d'y déroger !
Cette inversion donne encore plus de pouvoir aux employeurs qui pourront proposer des accords défavorables aux salariés ( des heures supplémentaires moins payées, un temps de travail qui s'allonge, etc...) dés lors qu'ils l'estimeront nécessaire pour l'entreprise...
Après négociations, certes, mais le rapport de force dans la négociation est en faveur de l'employeur. En effet, le contrat de travail se caractérise par un lien de subordination qui met l'employeur en position de force, en lui donnant le pouvoir. C'est bien pour cette raison que le code du travail à été créé.Le code du travail, justement, contrebalance ce pouvoir patronal.
Le mythe libéral , dans le contrat ou des accords entre salariés et employeurs, laisse penser que les parties ont le même pouvoir, elles seraient égales, rationnelles. Ainsi, elles pourraient contracter librement, chacune ayant ses obligations. C'est nier le rapport de subordination.
Cette évolution de la pensée se retrouve dans la terminologie utilisée, aujourd'hui, par les dirigeants d'entreprise. Le mot collaborateur remplace quasi systématiquement celui de salarié.
Collaborer signifie apporter de manière égale, en terme de pouvoir, sa contribution en toute liberté. La collaboration est l'acte de travailler ensemble pour atteindre un objectif en toute égalité pour les parties concernées. Penser que le travail et le capital puissent collaborer , c'est nier le lien de subordination qui est la pierre angulaire du contrat de travail.
L'équilibre est difficile à trouver dans cette « entreprise commune » puisque c'est l'employeur qui décide de l'embauche et du licenciement..Les dés sont pipés mais la doctrine libérale laisse croire à la liberté de chaque partie
Comment les salariés pourront-ils défendre leur salaire, leur temps de travail alors que l'employeur, en sus de sa position favorable liée au lien de subordination, pourra licencier librement les salariés, comme le propose le projet de loi.
Quelle valeur donner au consentement, lorsqu'il est obtenu sous la menace du licenciement ?
L'écrasante majorité des entreprises sont des PME où la représentation syndicale est peu présente, et les représentants du personnel peu écoutés quand ils existent (seuil de 11 salariés). Comment, dans ces conditions,les salariés pourraient-ils négocier à égalité un accord avec l'employeur ?
De surcroît, dans des entreprises de grande taille, l'accord d'entreprise n'est pas exempt de menace de licenciement, comme l'atteste l'exemple de l'usine SMART où a été obtenu un accord incluant un passage à 39h payées 37 . Or, avec ce projet de loi, l'employeur pourra, au prétexte que son chiffre d'affaires diminue, décider de licenciements économiques en toute liberté. C'est l'insécurité permanente pour le salarié.
Il est clair que ce projet de loi est imprégnée de l'idée que les salariés pourraient être à égalité avec l'employeur dans une négociation, dans un climat social apaisé, afin de conclure des accords « gagnant/gagnant ».
L'idée libérale est aussi de penser qu'il faut redonner de la liberté aux employeurs, en desserrant les contraintes imposées par le code du travail, notamment pour licencier, source de réduction du chômage. C'est un argument avancé par les défenseurs de ce projet, essentiellement le MEDEF et le gouvernement...Et pourtant l'OCDE dans un rapport de 2013 précise que la protection de l'emploi ne crée pas de chômage (Perspectives de l'emploi 2013 )
Aucune étude a aujourd'hui montré une quelconque corrélation entre le niveau d'emploi et le code du travail.
Chacun le sait, c'est l'activité qui crée l'emploi.
L'artisan, le commerçant l'industriel va embaucher si son carnet de commande est bien rempli. L'entrepreneur évalue les besoins, la demande solvable (étude de marché) les perspectives de profit, mais certainement pas les possibilités « offertes » par le code du travail avant de développer un projet. Les périodes où l'emploi salarié a le plus augmenté, correspondent à des périodes de forte activité ( ex :1998/2001). A cette époque le code du travail n'était pas un frein à l'embauche.
D'ailleurs beaucoup de modifications y ont été introduites depuis les années 1990 ( abandon de l'autorisation administrative de licenciement, modulation du temps de travail...) sans que pour cela nous observions, sur la durée, une baisse du chômage
L'argument est donc de façade, il sert à nous détourner de l'objectif de ce projet de loi : donner plus de pouvoir au capital en détruisant le code du travail, protecteur pour le salarié, pour le remplacer par des accords singuliers, individuels, le pouvoir pour le patron, la soumission pour le salarié.
C'est penser que les salariés n'ont pas à être protégés, sécurisés, en contrepartie de la subordination, car ils pourraient contracter des accords avec l'employeur, en position d'égalité, entreprise par entreprise.Mais l'entreprise n'est pas un lieu ou existe la démocratie : ce n'est pas un homme, une femme, égale une voix . Les décisions sont prises par ceux qui détiennent le capital.
L'idée d'un égal pouvoir entre le travail et le capital n'est pas neuve : elle nous renvoie au 19ème siècle . C'est seulement au début du 20ème siècle, avec l'affaiblissement de la doctrine libérale que l'existence d'une inégalité des parties au contrat de travail est enfin reconnue !
La modernité est donc, n'en déplaise « aux réformistes », au renforcement du code du travail plutôt qu'à son détricotage qui nous ramène plus d'un siècle en arrière.
Eric Ducroux