« Dans quel pays a-t-on besoin d’un référendum pour faire appliquer la loi ? » s’interroge Bruno Retailleau, dans Le Monde du 16 février 2016. Peut-on suggérer au président du conseil régional des Pays de la Loire de faire un petit voyage d’étude en Suisse pour s’informer sur ce qu’on y nomme les « droits populaires » ? Il est en effet assez éclairant de mettre en perspective le système référendaire français avec son équivalent suisse pour apprécier les conditions dans lesquelles la France s’engage dans un projet de référendum local sur l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, mais également dans un projet de réforme constitutionnelle.
Rappelons que les votations suisses se présentent sous trois formes : les référendums obligatoires, les référendums facultatifs et les initiatives populaires. Au niveau fédéral, le référendum obligatoire concerne toutes les modifications de la Constitution, de même que l’adhésion de la Suisse à certaines organisations internationales. L’adoption de telles dispositions requiert la double majorité du peuple et des cantons. Le référendum facultatif, instauré en 1874, intervient quand, dans les cent jours qui suivent l’adoption d’une loi par le Parlement, 50 000 citoyens (environ 1% de l’électorat suisse) signent un texte demandant un vote de l’ensemble du corps électoral. La loi ne peut alors entrer en vigueur que si les électeurs l’approuvent. En pareil cas, seule la majorité du peuple est requise. Enfin, l’initiative populaire, instituée en1891, donne le droit à tout électeur de proposer une modification de la constitution (ou l’adjonction d’une nouvelle disposition). Il doit réunir à cet effet 100 000 signatures en l’espace de 18 mois. S’il y parvient - mais il s’agit évidemment dans la plupart des cas d’un travail collectif -, la proposition est soumise au vote de l’ensemble du corps électoral et doit recueillir également la double majorité populaire et cantonale.
Aux niveaux cantonal et communal, la démocratie directe est extrêmement diverse et beaucoup plus développée. Les cantons ne connaissent pas seulement l’initiative populaire constitutionnelle, mais aussi l’initiative populaire législative qui donne la possibilité aux citoyens de proposer l’adoption d’une nouvelle loi. Certains cantons ont instauré également le référendum financier – par lequel certaines dépenses publiques doivent être approuvées par les électeurs – ainsi que le référendum législatif. Dans ce dernier cas, toutes les lois adoptées par le Parlement cantonal doivent être soumises au vote des électeurs. Au niveau communal la situation est plus diverse encore.
Le système référendaire français procède de principes fort différents aux niveaux aussi bien national que local. Comme le précise le site officiel Vie-publique.fr, il existe en France trois grands types de référendum national, respectivement constituant, législatif et dit « d’initiative partagée ». Le référendum constituant est défini par l’article 89 de la Constitution. Il est à l’initiative du président de la République ou des assemblées et permet la révision de la Constitution. Le référendum intervient après le vote, dans les mêmes termes, par les deux assemblées, du texte de révision proposé. Si la réponse est positive, la révision est adoptée. Le déclenchement du référendum est décidé par le seul président de la République qui en décide par décret. En pratique, le président a le choix entre la ratification référendaire de droit commun et la procédure subsidiaire par le Congrès, du moins lorsque l'initiative est gouvernementale (toujours le cas jusqu'ici).
Le référendum législatif est défini par l’article 11 de la Constitution. Il permet au président de la République, sur proposition du Gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre au peuple un projet de loi qui peut porter sur différents sujets : l’organisation des pouvoirs publics, la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et les services publics y concourant, ou l’autorisation de ratifier un traité international.
Ces dispositifs référendaires prévues dans la constitution de la Vè république ont été complétés plus récemment par l’insertion dans l’article 11 de ce que l’on a nommé « le référendum d’initiative partagée », institué en 2008 et précisé par une loi organique en 2013. Selon ces textes, applicables à partir de février 2015, un référendum ne peut être organisé qu’à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs.
Les référendums territoriaux
Depuis une première loi votée en 1992 autorisant la consultation des électeurs sur toutes les décisions prises par les autorités municipales, plusieurs lois ont étendu le droit référendaire au niveau local. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a ainsi renforcé l’expression citoyenne de deux façons : elle a défini un droit de pétition des citoyens, leur permettant de demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de leur collectivité d'une question relevant de sa compétence ; et instauré un référendum local à valeur décisionnelle. La valeur décisionnelle de ce référendum le distingue nettement des consultations pour avis précédemment instituées. Le caractère décisionnel des résultats est cependant subordonné à une condition de participation minimale fixée à la moitié au moins des électeurs inscrits.
La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, a étendu à l'ensemble des collectivités territoriales la possibilité de consulter leurs électeurs. Elle permet aux électeurs d'être les initiateurs directs d'une consultation, si dans une commune, un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales et, dans les autres collectivités territoriales, un dixième des électeurs, demandent à ce que soit inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de la collectivité l'organisation d'une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée. Toutefois, la loi précise que la décision d'organiser la consultation appartient toujours à l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale.
Une conception très restrictive des droits référendaires français
Malgré l’extension progressive du domaine référendaires, les procédures françaises expriment une vision très restrictive des droits citoyens qu’il s’agisse de l’initiative, du déclenchement ou du pouvoir décisionnel des référendums.
Au niveau national, le référendum dit « d’initiative partagée » est un étrange objet référendaire qui a peu à voir avec un droit citoyen. Ce référendum, rappelons-le, ne peut être organisé qu’à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement soutenue par un dixième des électeurs alors qu’en Suisse il suffit de 1 ou 2 % des électeurs pour qu’un référendum législatif ou d’initiative soit obligatoirement organisé, sans intervention de parlementaires. Il est peu vraisemblable qu’un tel référendum soit organisé un jour en France alors que depuis 1891 la Suisse a organisé 184 référendums d’initiatives et que trois initiatives populaires seront soumises au vote le 28 février prochain.
Dans les communes, l’initiative relève du maire ou des conseillers municipaux. Quand elle est transférée aux citoyens, il faut un pourcentage élevé des électeurs pour demander un référendum : un cinquième (pour les référendums communaux) ou un dixième (pour les référendums des autres collectivités territoriales) des électeurs. En outre, « dans l'année, un électeur ne peut signer qu'une seule demande tendant à l'organisation d'une consultation par une même collectivité territoriale ».
En Suisse, les conditions dans lesquelles s’exerce l’initiative communale est fort différente. Dans le canton de Genève, par exemple, pour déclencher un référendum communal visant à s’opposer à une délibération communale ou pour prendre l’initiative d’un référendum, il faut 30 % des électeurs et électrices dans les communes de 500 électeurs et électrices au plus, 20 % pour les communes de 501 à 5 000 électeurs et électrices, 10 % pour les communes de 5 001 à 30'000 électeurs, 3 000 électeurs pour les communes de plus de 30 000 électeurs sauf pour la Ville de Genève (plus de 80 000 électeurs) où les signatures de 4 000 électeurs sont nécessaires. Chaque année, comme dans toute la Confédération helvétique, il y a quatre journées inscrites à l’agenda où sont regroupées toutes les votations fédérales, cantonales et communales. Rien n’interdit à un électeur de participer à plusieurs comités d’initiative référendaire.
La décision d'organiser effectivement la consultation appartient en France à l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale. En Suisse, le déclenchement d’un référendum est de fait si le nombre d’électeurs atteint les minima de demandeurs exigés. Le pouvoir décisionnel d’un référendum est ainsi circonscrit par le pourcentage élevé d’électeurs nécessaire pour demander que soit inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de la collectivité l'organisation d'une consultation et par le nombre élevé de votants pour qu’une consultation soit décisionnelle. Si on exigeait des pourcentages aussi élevés (plus de 50% des inscrits !) pour valider les résultats des élections, peu de conseillers départementaux ou régionaux seraient élus. En Suisse, les votations, une fois les conditions d’initiative satisfaites, sont obligatoirement organisées par les pouvoirs publics concernés, et en cas d’approbation majoritaire sont décisionnelles sans conditions.
Les droits référendaires sont loin de donner aux citoyens français un véritable droit de décision comparable à ce qui se pratique en Suisse. Les référendums territoriaux et nationaux français révèlent une profonde méfiance, voire une peur, des citoyens. Dans le débat engagé sur la crise de légitimité qu’affronte le système politique français, l’expérience suisse, un pays certes voisin mais à des années lumière de la pratique référendaire française, mérite, toutes choses égales par ailleurs, plus d’intérêt qu’elle n’en suscite a priori.