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Billet de blog 7 septembre 2020

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Réchauffement et/ou Pénurie

L'ancien ministre du pétrole saoudien aurait dit que " l'âge de pierre ne s'était pas terminé par manque de pierre " et que par conséquent l'humanité ne sortirait par du pétrole avec la fin du pétrole. Il avait peut-être tort ...

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Illustration 1
marée noire à l'île Maurice.

Extraire du pétrole est une activité caractérisée par l'auto-épuisement et le pic pétrolier une épée de Damoclès qui pèse autant sur les exportateurs que les importateurs. On pourrait résumer la problématique de la façon suivante : une baignoire qui se vide de plus en plus vite demandant sans cesse à être remplie. Il faut rajouter de l'eau, d'abord pour la maintenir à niveau, et plus encore pour répondre aux nouveaux besoins. Il faut sans cesse prospecter pour trouver de nouveaux gisements, non seulement pour maintenir la production mais aussi pour répondre à une hausse de consommation.

La question du pic pétrolier a agité les passions pendant de nombreuses décennies, bien avant 1972 et le Club de Rome pour les pays exportateurs, avant que l'euphorie provoquée par le boom des pétroles non-conventionnels (ce qu'on appelle grossièrement les schistes mais qui n'en sont qu'une partie) ne la range au placard. Parallèlement à cela, alors que depuis une dizaine d'années, le monde est littéralement inondé par ces nouveaux gisements, la question déjà ancienne du réchauffement climatique se faisait de plus en plus pressante. Finalement, tout le monde s'accordait à dire que le problème n'était pas tant de manquer de pétrole, mais au contraire, la façon dont nous allions devoir nous restreindre. Un problème de riche, un problème d'abondance.L'enjeu des années à venir allait être de laisser sous terre ce carbone, c'est-à-dire de ne pas exploiter ces nouveaux gisements. Il y avait trop de pétrole, ou en tout cas suffisamment pour nous amener à des températures de +8°C ou +15°C.

Le think tank français The Shift Project propose une analyse tout autre. À partir d'une base de donnée des plus importantes au monde élaborée par Rystad Energy, ils arrivent à une toute autre conclusion. Une conclusion qui n'est pas incompatible avec le réchauffement : Si les politiques climatiques échouaient à nous sevrer de notre addiction, nous serions probablement rattrapés par la question de la pénurie.

Depuis des années, des organismes spéculent sur les ressources ou les risques liés aux ressources en énergie. Certains d'entre eux s'aventurent même à prédire la date d'un Peak Oil mondial ou prospectent sur la façon dont le monde va consommer ces ressources et à quelle vitesse. Ainsi donc en 2018, l'Agence Internationale de l'Energie prédisait un « resserrement de l'offre » d'ici 2025. Elle insistait surtout sur le fait que le pétrole conventionnel en déclin depuis 2008 représentait encore les deux tiers de la production et que le boom des pétroles non-conventionnels ( le tight oil dont le pétrole de schistes ou shale oil ou les sables bitumineux sont les plus connus) n'étaient pas en mesure d'absorber la futur hausse de consommation à venir.

En effet le miracle du pétrole de schistes est une illusion. Il ne tient que grâce à la béquille de l'endettement très important et le cash flow négatif. En clair les producteurs de schistes empruntent de l'argent depuis une décennie qu'ils ont très peu de chance de rembourser.

Cette montagne de carte a commencé à se fissurer avec le confinement. Le prix du baril a alors baissé fortement (devenant l'espace d'une journée négatif !) et mis en lumière le fonctionnement des schistes, un fonctionnement à crédit.

Le rapport du Shift Project met en lumière des évidences que l'on a tendance a oublier. L'Union Européenne est le plus gros consommateur de pétrole et est dépourvue de sources domestiques importantes. Qui plus est, le pétrole que les européens importent provient de sources dites « matures », ayant fournies la moitié de leur réserve et amorcées à décliner.

L'idée de cette analyse est simple. Nous avons franchi le pic de pétrole conventionnel en 2008 et sommes dès lors sur un plateau ondulant. Un premier plateau à -4%, puis un deuxième à partir de 2019 en pente doute. Certes ont extrait toujours plus de pétrole et nous avons passé la barre des cent millions de barils par jour l'année dernière, mais ce pic signifie que nous avons consommé la moitié de nos ressources et que l'on se dirige inexorablement vers le déclin.

L'année dernière 47,8% du brut extrait provenait de sources dîtes matures. Dans dix ans, il faudra remplacer un tiers de la production pour produire la même chose. On voit mal comment pourait apparaître en dix ans une nouvelle Arabie Saoudite, une nouvelle Russie et de nouveaux États-Unis (les trois plus gros producteurs qui représentent le tiers de la production actuelle) pour produire autant qu'aujourd'hui.

Depuis vingt ans la hausse de la production a été assurée par le off-shore profond et les sables bitumineux ainsi que des petits champs conventionnels, puis à partir de 2010, grâce à de nouvelles techniques de forages (horizontale et hydraulique), par le tight oil.

La plupart des prospectives « optimistes » misent sur les pétroles non-conventionnels au premier rang desquelles les tight oil. Mais leur modèle économique n'est pas sain. Les pétroliers vivent à crédit et dépendent d'un baril élevé et stable. L'assainissement de leur économie ne peut se faire qu'au prix d'un ralentissement des investissements. Sachant que les puits de tight oil ne sont plus productifs au bout de quelques semaines, au mieux quelques mois, il faut sans cesse prospecter. Les ressources de pétrole conventionnel baissent de 5% par an, tandis que la baisse de pétrole de roche-mère obtenu par fracturation hydraulique est de 27%.

Le monde dénombre aujourd'hui 55 350 forages dans sa croûte terrestre soit 23% de moins que l'année dernière (71 946). Le nombre de forage est au plus bas depuis 2000.

ExxonMobil vient de se faire sortir du DowJones, sont action n'a cessé de décroître depuis cinq ans. Tandis qu'Halliburton a perdu 1,7 milliards de dollars au deuxième trimestre et vient de licencier 99'523 personnes. Le numéro deux du gaz de schistes, Chesapeake Energy vient d'être placé en faillite. Aux USA et aux Canada, les société d'exploration rentrent dans une zone de turbulence. Elles doivent rembourser 86 millions de dollars de dette dans les quatre années à venir. Des titres dit spéculatifs (High Yield) ou « pourries » en raison de leur rendement très élevé, ce qui fait craindre une nouvelle crise à la mode subprimes. Les pétroliers pourraient entraîner Wall Street dans leur chute.

À la veille de leur déclin en 1970, les États-Unis produisaient 9 millions de barils par jour. Dès lors la production n'a cessé de baissé, avec une exception en 1985 avec le boom de l'Alaska, pour atteindre le niveau de 5 millions de barils jour en 2005. La consommation américaine est de l'ordre de 20 millions de barils jours, avec une légère baisse due au virus. En clair le pays est très loin de l'indépendance énergétique, et plus encore de la « domination énergétique » promise par Trump.

Habituellement la courbe de consommation d'un stock ressemble à un « dos de chameau ». On arrive à la moitié, on surf sur un plateau ondulant négatif, et l'on se rapproche inexorablement du déclin. Depuis une dizaine d'année le tight oil a produit un effet de confiance très rare dans le milieu pétrolier et économique. Les USA se sont mis a produire autant de pétrole en 2018 qu'en 1970 (juste avant leur pic de 1971). La rupture technologique de la fracturation hydraulique et du forage horizontal est exceptionnel et a bénéficié pour se développé d'un baril haut entre 2010 et 2014. Un baril haut permet de continuer la prospection et d'assurer la pérennité du secteur mais il est difficile à tenir dans le temps du fait de son caractère récessif sur l'économie. C'est un phénomène rare qui élude la question du pic pétrolier. Et de fait plus personne n'y croyait. On parlait du réchauffement mais pas du pic pétrolier. Selon Rystad, cette contradiction explosera en 2035 quand le monde consommera 109 millions de barils par jour.

Illustration 2

L'Europe et son approvisionnement
Le constat de cette analyse est plutôt simple : la plupart des pays fournisseurs de l'Union Européenne peuvent être qualifiés de sources désormais matures.La Russie qui représente 30% des importations de l'UE a franchi sont pic en 2019. L'ensemble des pays ex-URSS sont sur le déclin (42%).La France est moins dépendante de la Russie que l'Allemagne, mais elle l'est plus de l'Algérie dont le déclin des ressources s'est amorcé il y a plus de dix ans (-23% sur la période 2007/2019 et -13% jusqu'en 2030).

À noter, au-delà de la question de l'alimentation énergétique de l'UE, l'Algérie comme la Russie sont des rentiers dont la stabilité politique est remis en question par ce phénomène.

Il en est de même pour la plupart des anciennes colonies africaines (Gabon, Congo et Angola) ayant gardé un lien avec l'Europe. Selon l'étude, la moitié des sources d'approvisionnements de l'UE vont connaître une baisse de production (difficile à chiffrer) d'ici 2030.

Même des pays représentants des mastodontes de la production et leur stabilité sont sur le déclin L'Arabie Saoudite dont le pic pétrolier est prévu pour 2026 est à 25% de sources matures et le Koweït à 60%. En 2060, un humain consommera autant de pétrole qu'en 1950, soit deux fois moins qu'en 1980.

Assez paradoxalement seul un pays comme l'Irak, qui a eu sont pétrole préservé par des années de guerre (contre les iraniens de 1980 à 1988, contre les américains en 1991, sous embargo jusqu'en 2003, puis de nouveau avec les américains et les islamistes) possède un taux faible de sources matures (13%). Mais pour l'heure son exportation est plutôt destinée à l'Asie.

Au niveau mondial la demande ne cesse d'augmenter, mais point rassurant elle baisse pour l'Union Européenne. Gain d'efficacité énergétique, des transports, du bâtiment,, reprise limitée de la croissance post-crise 2008 ou désindustrialisation, la baisse est constante depuis trente ans, de l'ordre de 0,18% par an.

Dans sa feuille de route la Commission Européenne table sur une décrue de 1,9% jusqu'en 2030 ce qui permettrait d'accompagner la décrue des pays producteurs. Néanmoins l'UE peinent à remplir les objectifs qu'elle se fixe et échoue systématiquement. Qui plus est, les objectifs pour rentrer dans le cadre de l'Accord de Paris sont de -3,4% jusqu'en 2030 et -5% à partir de 2040.

Le déclin des sources d'approvisionnement est donc la voiture balai prête à sanctionner l'échec des politiques climatiques note le rapport. En clair si l'UE échoue à amorcer une transition nous aurons le réchauffement et la pénurie.

La France n'est certes pas un pays rentier, sa stabilité politique et la paix sociale ne dépend donc pas de l'extraction de matières premières de son sous-sol. Mais elle est dépendante d'importations qui s'acheminent inexorablement vers l'épuisement. Le mouvement des gilets jaunes a été une séquence de ce mouvement de fond. Il a suffit que le pétrole augmente de quelques centimes1 dans une société sous perfusion d'or noir et aux inégalités croissantes pour que la colère éclate.

L'étude de Rystad Energy table sur une remontée constante des cours du brut. 70$ en 2021 à 80$ en 2030. Mais il n'y a aucune raison d'être optimiste et de penser que le cours du brut va se stabiliser. En vérité les incertitudes qui pèsent, autant sur l'offre que la demande se traduisent par un phénomène sur les marchés : la volatilité. Le mathématicien Nicolas Bouleau (Le mensonge de la finance, éditions de l'Atelier, 2008) résume la chose ainsi : Lorsqu'on regarde la mer, il y a une tendance de fond que l'on peine à voir (la marée qui monte ou qui descend) et une agitation de surface (la houle et les vagues). Cette agitation de surface c'est la volatilité, qui nous empêche de voir la tendance de fond. Ces dernières années le baril de brut est monté à 150 dollars et descendu à moins 40 dollars, et cette agitation intrinsèque aux marchés nous empêchent d'avoir une lecture clair des 'évènements, et de ce qui compte vraiment, comme la raréfaction des ressources et le réchauffement.

Depuis 1945 aux États-Unis, dix récessions sur onze furent précédées d'une montée des cours du baril. La crise des subprimes de 2008, année du pic pétrolier mondial, fût précédé d'une séquence qu'on a appelé « la fin du pétrole facile ». Après cette crise, les États se sont massivement endettées pour limiter l'onde de choc, ce qui a permis un boom décisif des schistes, voraces en capitaux. Mais cette vie à crédit allait un jour se fracasser contre un mur. La croissance carbonée est criblée de dettes, et le virus en faisant chuter la demande et le prix du baril est venu rappeler aux pétroliers que les dettes devaient être remboursées.

Quand en 2014 la Banque Centrale Américaine a décidé de mettre fin à une séquence de six ans qui lui avait permis de sortir de la crise (« assouplissement quantitatif » en latin, plus communément appelé « faire tourner la planche à billets ») les pétroliers ne pouvaient plus emprunter et le baril s'est effondré. Tout cela tenait sur la béquille d'une politique économique accommodante.

Ce risque d'une menace d'approvisionnement pour l'Europe que pointe le rapport, existe aussi pour le monde. La Chine est entrée en déclin de production en 2015 et l'Inde en 2017. L'Afrique, l'Asie et le Pacifique seront à l'origine d'une hausse de la demande de 8 millions de barils par jour tandis que leur production va décroître de -3,5mbj. Ces pays émergent au moment ou leur production décline.

La question qui se pose pour l'UE se pose donc à l'échelle mondiale. L'Asie va absorber la hausse de production du Moyen-Orient tandis que les américains, qui se voyaient déjà exporter leurs schistes (voir le traité CETA et les nouveaux ports capable de réceptionner le GNL (le gaz liquide pour le transport) sur la façade Atlantique de l'Europe), vont consommer leur propre production.

Un certain nombre d'évènements annonçaient ce déclin. La guerre d'Irak de 2003 était une façon d'assurer l'hégémonie américaine sur la région à un moment où leur production déclinait (les schistes n'étaient pas encore exploités). La Russie avance ses pions en Libye et au Moyen-Orient comme pour pallier au déclin de sa production et celle des pays d'ex-URSS (Azerbaïdjan, Kazakhstan).

Mais alors que compte faire les gouvernants ? Il y a un lien très fort entre la croissance économique et la consommation de pétrole. Après la crise de 2008 et avec l'ère post-covid qui s'ouvre la priorité du pouvoir sera évidemment la croissance, ne serait-ce que pour rembourser les dettes contractées. Il y a fort à parier que que les questions environnementales ne seront pas la priorité des gouvernements. Pourtant la question d'une transition post-carbone risque de se poser sous la contrainte de la raréfaction des ressources. Le problème est que les sociétés n'auront pas amorcer en amont cette transition et y seront confrontées de force. On ne pourra pas supprimer les porte-conteneurs et les semi-remorques sous la contrainte sans une explosion sociale. Cette séquence peut-être violente. Les pays rentiers se retrouveront sans ressources, ils préférons redistribuer le peu de royalties générés par le pétrole à une classe corrompue, la famille royale en Arabie Saoudite, les militaires en Algérie … En Occident aucun organisme ne s'est alarmé de cette question. Ni l'AIE, dont le siège est à Paris, ni un quelconque organisme économique européen. Le fait qu'un « modeste think tank » (comme le Shift Project se définit) soit le seul à fournir une telle analyse « constitue en soi un scandale tout autant que la promesse d'une catastrophe ».

Mais alors que se passe-t-il ? « La question de la pérennité des compagnies pétrolières est posée » affirme le PDG de Total. L'entreprise veut désormais se tourner vers le gaz. BP a promis de baisser sa production de 40% et d'engager 5 milliards de dollars dans les énergies décarbonnées. Shell veut devenir le numéro un mondial de l'électricité.

Aux USA c'est l'effet inverse. ExxonMobil et Chevron rachètent leurs concurrents tombés en faillite. Mais certains sentent le vent tourner. L'un des plus grand producteur de schistes du Texas roule en voiture électrique et déclare « Je ne pense pas que je reverrais 13 millions de barils par jour de mon vivant ». Et affirme que les USA ont probablement passé leur pic. Il n'a pas l'intention d'augmenter sa production. Ni cette année, ni l'année prochaine. (« Shale boss says US has passed Peak oil », Financial Times, 13/06/20)

Tesla a vendu moins de 100 000 voitures au deuxième trimestre, mais sa capitalisation boursière a été multipliée par six depuis le début du coronavirus. Workhorse et Nikola Motor, deux compagnies de voiture et camion électrique ont vu leur valeurs boursières multipliées par respectivement 1200 % et 350% … sans même vendre de voiture. Il se passe indéniablement quelque chose sur la planète pétrole.

On peut lire ici le rapport du Shift Project L'Union Européenne risque de subir des contraintes fortes sur les approvisionnements pétroliers d'ici à 2030.

NOTES 

1) Certes il y a aussi une question de taxe. Dans le mouvement des gilets jaunes, l'augmentation du prix du baril est elle-même augmentée par la fiscalité. Voir mon texte Or noir & gilets jaunes, et notons que cette fiscalité n'a rien a voir avec l'écologie, mais avec un transfert de fiscalité : financer les baisse d'impôts pour les entreprises via l'essence, en la faisant passer pour une mesure environnementale. Le mouvement des gilets jaunes est à la foi un moment de cette lutte pour l'égalité, en même temps qu'il montre notre dramatique dépendance aux énergies fossiles.

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