Introduction
OR NOIR & CROISSANT FERTILE
[Daech] est la “bonne“ idée, au “bon“ endroit, au “bon“ moment.
Le fascisme islamique, Hamed Abdel-Samad, 2013
Les conflits au Moyen-Orient se chevauchent comme des plaques tectoniques
qui environ tous les dix ans se déplacent sans prévenir et détruisent les bureaux,
les immeubles, les mosquées ...
La grande guerre pour la civilisation,
L’Occident à la conquête du Moyen-Orient 1979-2005, Robert Fisk, 2005
L’Histoire des conflits au Moyen-Orient peut se lire presque exclusivement
sur le registre des causes économiques, du fait de la présence de pétrole et de gaz.
Pour une lecture profane des conflits, Georges Corm, 2012

Agrandissement : Illustration 1

DEPUIS AU MOINS QUARANTE ANS le Moyen-Orient est devenu l’épicentre de nombreux conflits mondiaux. A tel point que son histoire se confond avec celle de ses guerres. Guerre soviétique en Afghanistan (1979-1989), guerre Iran-Irak (1980-1988), guerre du Liban (1975-1991), invasion du Koweït (1990) puis guerre du Golfe (1991), puis embargo – aussi meurtrier qu’une guerre, en Irak (1991-2003), puis invasion en Afghanistan (2001), puis invasion en Irak (2003) suivie d’une désastreuse occupation, sans oublier l’interminable conflit israélo-palestinien. A cela vient s’ajouter l’État Islamique, d’abord simple groupe insurrectionnel (Al-Qaïda en Irak) puis véritable proto État (avec son territoire, sa police, ses impôts...).
Le fait que le monde arabe soit la région du globe où se concentre les plus grandes réserves énergétiques vaut probablement plus comme facteur de déstabilisation que toute autre explication.
On pointe régulièrement les interventions américaines comme responsables du chaos moyen-oriental, car concentrant l’animosité des forces religieuses. Cette vision des arabes contre l’Occident, allait culminer après le 11 septembre, quand « la guerre contre la terreur », donna l’impression d’une croisade de l’Amérique contre l’islam. La théorie du choc des civilisations, du monde musulman contre la démocratie libérale, devint alors une prophétie auto-réalisatrice. Mais, ce serait omettre le fait que la plupart de ces interventions furent motivés par le facteur pétrolier. « Aucune explication sans rapport direct ou indirect avec ce facteur n’a pu être avancée de façon convaincante par ceux qui tiennent l’explication par le pétrole pour “simpliste“, croyant faire preuve ainsi de sophistication, lorsqu’ils n’agissent pas par pure hypocrisie parce qu’ “Il est gênant politiquement d’admettre ce que tout le monde sait : la guerre d’Irak est dans une large mesure une guerre pour le pétrole“ comme a pu l’écrire l’ex-Président de la réserve fédérale des Etats-Unis » écrit Gilbert Achcar1.
« Le pétrole est donc à la fois une bénédiction et un fardeau » pour le Moyen-Orient au sens ou il agit comme « facteur perpétuel de conflit »2.
Il est difficile de concevoir que le développement d’une religion dans sa version extrémiste puisse à ce point être lié à une source d’énergie. Pourtant l’histoire de l’islamisme et l’histoire du pétrole sont intimement liées. C’est dans les pays rentiers que s’est développés un islam politique et ce sont les pétrodollars qui vont permettre son déploiement à l’international. Cela est vrai pour les Frères Musulmans (soutenus aujourd’hui par le Qatar) ou le wahhabisme saoudien dans sa version d’exportation le « salafisme ».
L’extrémisme musulman aurait sans doute pu rester quelque chose de parfaitement anecdotique ou simplement régional si le sous-sol des pays où il est né ne regorgeait pas d’or noir. Si Mohammed ben Abdelwahhab (inventeur du wahhabisme) n’était pas saoudien ou si les Frères musulmans n’avaient pas fuit Nasser pour l’Arabie Saoudite, l’histoire de l’islamisme aurait été tout autre.
À la question énergétique vient s'ajouter celle de la militarisation via la diffusion massive d’armement depuis la fin de la guerre froide. Le schéma est simple : on produit en Occident (Etats-Unis, Russie, Allemagne, France, Royaume-Unis) et on achète au Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Émirat Arabes Unis, Égypte, Pakistan, Algérie, Syrie). L’histoire de l’industrie de l’armement est intimement liée à celle du pétrole, l’inutilité des armes allant de pair avec l’utilité de l’or noir.
Dans la seconde moitié du XXème siècle, à mesure que les pays producteurs obligeaient les compagnies pétrolières occidentales à partager les bénéfices de leurs ressources, l’afflux massif de monnaie au Moyen-Orient signifiait une perte équivalente en Occident. L’exportation d’armement permit de rétablir cette balance des paiements, le pétrole et le militarisme devenant de plus en plus interdépendants.
Contrairement aux biens de consommation, qui exigent une population de consommateurs, les armes peuvent s’acheter et se stocker sans limites, avec pour seule justification que plus on en a moins on aurait l’occasion de s’en servir3. A mesure que les pétrodollars affluaient au Moyen-Orient, les contrats d’armement de plus en plus onéreux permettaient de recycler les devises et de rééquilibrer la balance des paiements.
Dans cette histoire l’islamisme est souvent présenté comme un acteur local anti-impérialiste, anti-capitaliste et anti-colonialiste s’opposant à la présence étrangère, notamment militaire, et à la rapacité des puissances occidentales envers les ressources. C’est méconnaître son histoire. En vérité, le McDjihad comme l’appelle Thimoty Mitchell (Mc faisant référence à McDonalds), résulte de l’alliance entre la première puissance mondiale, les Etats-Unis, et le premier pays producteur de pétrole, où sévissait l’islam le plus rigoriste et qui allait mettre en place une véritable « industrie idéologique », exportant à l’aide de ses pétrodollars l’intégrisme de part le monde. Avant que cet intégrisme ne s’émancipe de sa tutelle saoudienne dans les années 1990, celui-ci fut un véritable outil au service du duo USA-Arabie Saoudite dans la lutte contre le communisme athée et les régimes nationalistes et socialisant de la guerre froide. En s’appuyant sur l’Arabie Saoudite qui tirait sa force du mouvement islamique, les profits des compagnies pétrolières occidentales dépendirent directement de la collaboration avec des forces capable d’assurer la stabilité du royaume. En quelque sorte, les compagnies pétrolières furent les premières à se convertir au wahhabisme.
- L’auteur de ces lignes n’est ni spécialiste du Moyen-Orient ni de géopolitique mondiale. Il ne parle pas arabe et, bilan carbone oblige, n’a jamais mis les pieds dans les pays dont il parle. Il s’agissait ici simplement de remettre un peu d’ordre dans mes lectures afin de ne pas oublier que le plus grave problème auquel nous sommes aujourd’hui confrontés, celui dont dépend les bouleversements vertigineux à venir, est celui de notre addiction au pétrole. Ces textes ont été écrits en 2016 et 2017, ils ne prennent donc pas en compte les événements récents.
NOTES
1 Gilbert Achcar, Le Peuple Veut, Actes Sud, Arles, 2013
2 Daniel Yergin, Les hommes du pétrole, Stock, Paris, 1991
3 C'est ce qu'on appelle l'équilibre de la terreur, MAD en anglais (destruction mutuelle assurée) avec la bombe nucléaire. Si des pays antagonistes possèdent l'arme, et qu'ils ont les moyens de se détruire mutuellement, alors la sécurité est assurée.