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Billet de blog 9 janvier 2020

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Or noir & Croissant fertile - chap VII

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chapitre VII
CAUCASE

Illustration 1
Edward Burtynsky, Azerbaijan, 2006

1991, c’est aussi et surtout la chute de l’URSS. La fin de la guerre froide et la disparition d’un monde polarisé entre deux puissances, qui allaient laisser le champ libre aux USA pour exercer leur influence et leur soft power dans tout le Moyen-Orient. Mais la chute de l’Union Soviétique ne s’est pas faite sans mal. La religion et les nationalismes, réprimés sous le régime communiste, allaient pouvoir dorénavant s’affirmer. Nous allons nous intéresser ici au Caucase du Nord, la région la plus conflictuelle de l’ex-URSS. Depuis 1991 elle a connu pas moins de cinq guerres et de nombreuses tensions, heurts interethniques, tentatives de séparatisme ou guerre civile. Si chacun de ces conflits à des raisons endogènes, on ne peut pas les comprendre sans prêter attention au rôle de la Russie en tant que grande puissance régionale et post-impériale. Tous ces conflits peuvent être appréhendés à travers les efforts de Moscou pour se constituer un espace dans lequel il peut exercer son influence et défendre ses intérêts. En 2000, alors que l’indépendantisme travaille le Caucase du nord Poutine déclare que ce qui s’y passe est « la continuation de l’effondrement de l’URSS », et de poursuivre : « cela doit s’arrêter1 ». Comme avec la crise ukrainienne de 2014, l’objectif de Poutine est d’arrêter la dissolution de l'Empire de l’intérieur, et éviter que les ex-Républiques soviétiques ne passent alliance avec l’Ouest. Là encore, les intérêts géostratégiques (pétrole, gaz et tracé d’oléoduc) allaient justifier une intervention militaire, poussant la résistance indépendantiste dans les bras de mouvement islamique. L’histoire de la lutte pour l’indépendance tchétchène, sévèrement réprimé par Moscou et s’islamisant peu à peu jusqu’à proclamer l’Émirat du Caucase en 2007, relève d’une ressemblance troublante avec la situation syrienne. Ironie de l’histoire, les islamistes après avoir commencé la guerre contre la Russie dans les années 1990 chez eux en Tchétchénie, allaient continuer en Syrie cette lutte au côté de Daech, après l’entrée en guerre des forces russes aux côté de l’armée de Bachar al-Assad.

« Ce n'est pas notre affaire de proclamer et de tolérer le slogan de la culture nationale » Lénine.

La chaine de montagne du Caucase est un point stratégique de passage, située entre deux continents, l’Europe et l’Asie et deux mers, la mer Noire et la mer Caspienne. La région est divisée en deux. Le Caucase du sud où l’on trouve l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan, et le Caucase du nord où la situation est plus complexe. On y trouve le Kraï de Stravopol (subdivistion) ainsi que six républiques fédérés de Russie : le Daghestan, l’Ingouchie, le Kabardino-Balkarie, le Karatchaïévo-Tcherkessie, l’Ossétie du Nord et la Tchétchénie. On trouve dans cette région une diversité de groupes ethnolinguistiques très riche divisée entre caucasique (Tchétchènes et Ingouches), indo-européens (ossètes et russes) et Altaïens (balkans). Les deux religions présentes sont l’orthodoxie et l’islam. On évalue la population musulmane de Russie à 13 à 15% des russes, soit 19 à 22 millions de personnes. La plupart des musulmans russes vivent dans le Caucase du nord. Cette diversité s’explique par la situation géographique du Caucase, au carrefour des grandes routes commerciales et son relief montagneux favorisant la naissance de particularismes locaux s’opposant à la présence russe. Cette présence date de 1878, après une lutte acharnée entre grandes puissances entre empire perse, ottoman et tsariste. En interne, la lutte indépendantiste ne cessera pas, comme en témoigne la résistance au Daguestan sous domination soviétique.

En 1943, Staline déporte les peuples accusés de collaboration avec les nazis2. Tchétchènes et Ingouches sont déportés massivement, ils ne reviendront qu’a la fin des années 1950. Staline se lance dans un grand mouvement de population installant à la place des déportés des Ossètes. « Des dizaines de milliers de Russes, d’Avars, de Darghiniens, d’Ossètes et même d’Ukrainiens furent installés dans la région de Grozny. Les autorités ne visaient qu’un but : rendre impossible dans l’avenir toute restauration d’une RSSA des Tchétchènes-lngouches. Mais cette mesure servit également un autre but utilitaire, si l’on peut dire : empêcher que l’économie de la région de Grozny, surtout son agriculture, ne s’effondre à cause de la dépopulation. »

Lorsque les Ingouches rentrent de déportation, des tensions naissent avec les nouveaux occupants. Peu avant la chute de l’URSS, les soviétiques créent des unités administratives afin de satisfaire quelques revendications nationalistes mais aussi afin d’empêcher l’unité des caucasiens entre eux. Mais la diversité est telle que toutes le revendications ne peuvent être satisfaites. La chute de l’union soviétique favorise les revendications nationalistes. Les tchétchènes proclament leur indépendance en 1991 sous le nom d’Itchkérie.

Mais si l’URSS disparaît, la Russie elle souhaite conserver son territoire. D’autant plus que le sous-sol du Caucase du nord regorge de pétrole, et que son territoire est traversé d’oléoduc reliant Bakou à l’Europe. L’armée russe intervient dans un premier temps dans ce qu’elle nommera une “opération antiterroriste“ entre 1994 et 1996. La situation est loin d'être pacifiée car en 1999, une vague d’attentat frappe Moscou faisant 290 morts. Plusieurs sources, comme l’ancien agent secret russe Litvinenko, affirment que ces attentats sont en réalité le fait du gouvernement russe pour justifier d’une deuxième guerre. Il mourra à Londres en 2006 après avoir mangé des sushis empoisonné au polonium 210.

Après les attentats, Poutine alors premier ministre de Boris Eltsine lance la seconde guerre de Tchétchénie affirmant qu’il « ira butter les terroristes jusque dans les chiottes ». Ces guerres feront près de 300 000 morts chez les Tchétchénes.

La résistance nationaliste, qui existait déjà sous l’union soviétique, prend peu à peu une tournure islamiste. D’abord parce que la chute du communisme signifie aussi le retour du religieux. Mais surtout parce que l’islam, devient une bannière commune des peuples du Caucase, face aux russes orthodoxes. Si la résistance est peu à peu décimée, celle-ci migre dans les pays voisins et prend la forme d’un Djihad. Les revendications d’indépendance et d’autonomie s’essoufflent peu à peu face à la répression russe pour prendre la revendication d’un État islamique.

Les attentats se multiplient mais la prise d’otage à l’école de Beslan en 2004 faisant 334 morts dont 186 enfants marque un tournant. La Russie, qui affirme qu’Al-Qaïda aurait participé à l’opération, va alors surfer sur la psychose du 11 septembre, et assimiler la résistance tchétchène au terrorisme islamique. Deux semaines après Poutine annonce que les gouverneurs de régions seront désormais désignés et non plus élus. Son discours se fait plus conservateur, et dans sa croisade il décide de s’allier avec l’église orthodoxe russe pour « moraliser » la société. La religion prend une place prépondérante dans ses discours.

Les révolutions de couleur

Depuis fin 2003, le Président est ébranlé par les révolutions de couleur qui viennent déstabiliser son “étranger proche“. Fin 2003, la révolution des Roses en Géorgie, porte un jeune démocrate pro-américain au pouvoir. Un an plus tard c’est la révolution Orange en Ukraine, qui balaie le candidat pro-russe au profit d’u réformateur pro-occidental Viktor Iouchtchenko. Se sentant entouré par des puissances hostiles, et tandis que certains peuples décide de quitter le patronage russe, Poutine se tourne de plus en plus vers des valeurs traditionnelles. « Oubliant la volonté des peuples », il ne voit là « qu’une opération de la CIA »3. C’est à cette époque que ses conseillers au Kremlin développe la notion de “démocratie souveraine“ dont l’idée est que la démocratie russe refuse de vivre au rythme des puissances occidentales.

En 2007 avec la proclamation de l’Émirat du Caucase, le problème islamiste se manifeste de manière d’autant plus visible. Les écarts entre russes est tchétchènes, où le salaire moyen est de 410 euros contre 280 dans les pays du Caucase, le chômage qui touche 63% de la population et la répression russe pousse un certain nombre de jeune vers la religion. D’autant plus que la corruption généralisée décrédibilise les politiques au profit d’acteur religieux. Le gouvernement russe met alors en place des gouvernements pro-russe qu’il subventionne massivement. Les aides de l’état représentant dans certaines régions 90% du budget. La répression contre l’Émirat du Caucase pour les combattants à s’exiler sur d’autres fronts et notamment à s’engager au côté de l’État Islamique. Cet engagement s’est accéléré avec la participation de la Russie à la guerre en Syrie au côté de Bachar al-Assad, offrant ainsi la possibilité aux tchétchènes de combattre l’armée russe à l’étranger. En retour, l’Émirat du Caucase prête allégeance à l’État Islamique, qui considère le Caucase du nord comme une de ses provinces. Avec le reflux de Daech, la Russie craint le retour de combattants tchétchènes chez eux.

L’histoire de la Tchétchénie à partir de 1991 rencontre de profonde similitude avec celle de la Syrie de 2011. Deux situations semblables avec vingt ans d’écart mais qui finiront par se rejoindre. «La deuxième guerre de Thétchénie, déclenchée par Vladimir Poutine à l’automne 1999, n’a-t-elle été qu’une répétition générale » se questionne le journaliste Christophe Ayad4. Déjà ont parlait d’ « opération antiterroriste » quand il s’agit aujourd’hui en Syrie, en prétendant lutter contre Daech, d’écraser un peuple qui se révolte. « En Russie le déclencheur a été la mystérieuse série d’attentats de l’été 1999 ; en Syrie, les principaux cadres jihadistes ont été libérés de prison a l’été 2011, à la faveur d’une prétendue amnistie générale5 ». Il s’agit dans un cas comme dans l’autre de justifier d’un péril, certes bien réel, pour ensuite intervenir. « La deuxième étape consiste » poursuit Christophe Ayad « à combattre, avant les jihadistes, les réels ennemis du régime, c’est-à-dire tous ceux pouvant incarner une alternative crédible ». Dans un cas les nationalistes6 dans l’autre l’Armée Syrienne Libre. « Il ne suffit pas de les combattre, il faut le faire avec une telle violence que les survivants finissent brisés ou partent dans le camp des radicaux. Et c’est alors que se réalise la prédiction autoréalisatrice : les ennemis deviennent des fondamentalistes enragés, sous les yeux d’une opinion occidentale horrifiée. » En mai 2015 le chef de l’émirat du Caucase est tué par les forces spéciales russes. Fin 2015 c’est la quasi-totalité des combattants, de 2 à 3 000 islamistes du Caucase qui rejoignent la Syrie.

Islamisme pro-russe VS islamisme pro-occident

Abdallah Azzam, religieux palestinien, surnommé l’ «imam du djihad», à la fois proche des Frères musulmans (Hamas) et de l’establishment saoudien, va théoriser lors de la guerre d’Afghanistan contre les soviétiques le “jihad mondial“. Dans les années 1980, ses écrits font influencer les moudjahidines afghans en guerre contre les russes, et inscrire leur combat dans une ambition planétaire. Comme on l’a dit dans la partie sur l’Afghanistan, les moudjahidines afghans bénéficient du soutient des américains, pour qui ils sont des “combattants de la liberté“ autant qu’il combattent les russes et que leur combat permet de soustraire des musulmans à l’influence de l’Iran révolutionnaire.

En 1989 après le retrait des soviétique, Abdallah Azzam préconise aux Afghans7 de retourner dans leur pays impies. Cette liste va de l’Andalousie aux Philippines en passant par les républiques musulmanes d’URSS, dans le nord du Caucase. Si les Talibans avaient un ancrage fort avec l’Afghanistan, leur djihad se tournant vers l’intérieur de la société, le jihad planétaire constitué de professionnels, va, à partir de sa base afghane s’étendre partout dans le monde. Se sera la Bosnie en 1992, l’Algérie au début des années 1990 et la Tchétchénie à partir de 1995.

En 1995, la guerre d’indépendance fait rage en Tchétchénie, menée par un ancien général soviétique. Les jihadistes professionnels, formé en Afghanistan vont alors se greffer à ce conflit local, pour le transformer en un moment du jihad international. Pendant la guerre de 1994-1996, voit l’arrivée des premiers islamistes sous le commandement de Chamil Bassaïev, chef de guerre islamiste, tous formés en Afghanistan. Ibn al-Katthab, ancien d’Afghanistan, membre d’Al Qaïda et proche de Ben Laden, deviendra son bras droit. Cela permettra à Poutine de soutenir la thèse que les islamistes tchétchènes furent soutenus par la CIA et les services secrets occidentaux dans le but d’affaiblir la Russie, affirmation évidemment invérifiable.

Le mouvement indépendantiste va être décimé par les guerres et la répression des opérations antiterroristes de la Russie. Mais en 2007 les islamistes reviennent en force en proclamant l’Émirat du Caucase, organisation terroriste qui vise à appliquer la charia dans la région du Caucase nord. La même année, est élu président de la Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, islamiste et fervent soutient de Poutine. Il est intéressant de s’attarder sur ce personnage.

Le Kadyrovisme, soft power russe dans le monde musulman

Comme on l’a dit, la Russie refuse l’indépendance des républiques du Caucase Nord, pour plusieurs raisons et notamment pour la présence de pétrole et de gaz en Tchétchénie et pour garder la main sur les pipelines partant du Kazakhstan et de Bakou et approvisionnant l’Europe de l’ouest. Ou tout simplement parce qu'elle ne veut pas assister impuissante au détricotage de son Empire. La Tchétchénie, où règne officiellement un chômage de 340 000 personnes pour 1,2 millions d’habitants, vie pour l’essentiel des subventions de Moscou. En 2007, la même année que la proclamation de l’Émirat du Caucase dont la plupart des membres immigreront fin 2015 en Syrie, Poutine place à la tête de la Tchétchénie un islamiste, membre de son parti Russie Unie, Ramzam Kadyrov. Celui-ci associe un anticolonialisme tchétchène traditionnel à un discours de soumission assumée à Moscou. Partisan d’un islam traditionnel, il dénonce la décadence de l’Occident (l’homosexualité est sévèrement réprimée et des rafles de gays sont même organisées). Le port du voile est désormais quasi obligatoire dans l’espace public, et le hidjab est de rigueur pour les fonctionnaires et les étudiantes. Kadyrov estime que la femme est inférieure à l’homme, justifie les crimes d’honneurs et sa femme développe une ligne de vêtements rivalisant avec ceux des pays du Golfe. « Vue de l’extérieur, cette vision de l’islam s’inspire du salafisme, mais Kadyrov lui-même refuse ce qualificatif » affirme la chercheuse Marlène Laruelle8. « Son objectif principal est d’éviter que le djihadisme monopolise le discours rigoriste ». Les autorités Tchétchènes ont organisé après les attentats de Charlie Hebdo la plus grande manifestation anti Charlie dans le monde. 800 000 manifestants pour 1,2 millions d’habitants. Rappelons que la Tchétchénie n’est pas un pays indépendant mais une province de la Russie, et que son président est nommé par Moscou.

Reprenons : pour contrecarrer l’influence des islamistes formés en Afghanistan dans la lutte contre les soviétiques et venus plus tard se greffer sur un conflit local, à la base dénué d’enjeux religieux, Poutine nomme un islamiste. Le rôle de Kadyrov est donc de soustraire la population tchétchène conservatrice et religieuse du salafisme, au profit d’un islamisme version Kremlin. Mais le rôle de Kadyrov est aussi extérieur à la Russie « c’est la valorisation de la Russie auprès du monde musulman conservateur [comme les monarchie du Golfe], pays traditionnellement pro-américains ». Ce qui fonctionne puisque la Russie est désormais un interlocuteur privilégie de l'Arabie Saoudite.

Kadyrov dispose d’une garde prétorienne de 20 000 à 30 000 individus, qu’il envoie à la demande Moscou sur tous les conflits, du Donbass (aux côtés des indépendantistes ukrainiens pro-russe) comme à Alep avec les milices chi’ites et les forces loyalistes syriennes. « Le Kadyrovisme, devient un produit d’exportation vers le Moyen-Orient ».

En septembre 2016 à l’initiative de Kadyrov est organisée à Grozny une conférence d’imams sunnites. « L’objectif affiché était de circonscrire le sunnisme contemporain, afin d’en démarquer les tendances et groupes qui perpètrent et encouragent des violences au nom de l’islam 9» explique un spécialiste. A l’issue de cette conférence une fatwa dénonce les “égarés“ parmi lesquels on retrouve aussi bien l’État islamique que les Wahhabites. C’est donc clair, le Kremlin instrumentalise la religion, le Kadyrovisme est la caution islamiste de Poutine et son produit d’exportation vers le monde musulman.

Cette idée d'instrumentalisation de l'islamisme et évidemment pensée de longue date par un intellectuel proche de Poutine, de ce que Marc Weitzmann dans Un temps pour haïr appelle l'idéologie rouge-brun : Alexandre Douguine. En 1997, ce dernier publie son premier texte majeur, Fondation de géopolitique, écrit avec l'aide de plusieurs hauts-gradés et qui est encore aujourd'hui considéré comme un classique et enseigné à l'Académie militaire de Moscou. Dans ce livre Douguine prône une « alliance continentale russo-islamique ». A la tête de cette alliance il place évidemment l'Iran, mais aussi toute la zone islamique qu'il qualifie de « naturellement amicale vis-à-vis de la Russsie ». Le principe fondamental étant l' « ennemi commun » : l'Occident.

 La relation russo-américaine

  • « L'URSS commence seulement à se détruire. En 1991 sa dissolution était le résultat d'un processus venu d'en haut qui a peu touchés les sociétés. Ces dernières ont continué à vivre dans le même espace et tout le monde se demandait si quelque chose s'était passé. Mais nous voyons aujourd'hui le sang couler, les conflits et les tentatives de rassembler les morceaux augmenter sans que personne ne sache vraiment comment cela va se terminer. L'exemple d'autres empire disparus montre que cela prend beaucoup de temps. Nous n'en sommes qu'au premier acte »10.

Avec la fin de l'Union Soviétique et de la guerre froide, les États-Unis perdent leur ennemi principal. C'est La fin de l'Histoire et l'apparition de nouveaux conflits liés à des États faillis, failed states (Somalie, Rwanda, Yougoslavie) et les États voyous, rogue states (Iran, Irak, Corée du Nord). Avec le 11 septembre l'ennemi va devenir non-étatique, on va parler de la « nébuleuse » d'Al-Qaïda. Durant la première décennie des années 2000 tandis que les américains se focalisent sur le terrorisme, des États vont apparaître en capacité de rivaliser avec eux : les peers competitors. Les paires compétiteurs sont des acteurs étatique (la Chine et la Russie) capables de rivaliser militairement avec les USA et éventuellement de les contraindre. Cette apparition va alors de paire avec une stratégie nouvelle de containment, d'endiguement, comme à l'époque de la guerre froide, en mer de Chine contre la Chine et dans les anciens pays satellites de Moscou concernant la Russie. Mais la question qui se pose après une décennie de guerre anti-terroriste, n'est plus de savoir si on peut battre l'ennemi, « mais si on peut l'emporter à un coût acceptable »11. Cette question est fondamentale car elle préside de l'élaboration d'une stratégie militaire. Alors que la présidence Obama fût caractérisée par l'explosion des frappes de drones et la doctrine du No boots on the ground, l'émergence des peers competitors oblige les USA à repenser les moyens mis en œuvre. On ne lutte pas contre une « nébuleuse » (renseignement, drone, opérations ciblées) comme on lutte contre un État (diplomatie, missiles balistiques, troupes au sol...).

Pour comprendre comment la Russie en est venu à devenir un peer competitor il faut refaire un historique de ses relations depuis 1991. En fait dans les années 1990, et jusqu’après le 11 septembre l'entente entre russe et américain et plutôt bonne.

Le Time magazine de juillet 1996, montre en Une un dessin de Boris Elstine avec un drapeau américain dans la main, et raconte comme  « l’histoire secrète de la manière dont des conseillers américains ont aidé Eltsine à gagner »12. La Russie se cherche une identité et se tourne vers la démocratie et le libre marché. Poutine au tout début de son mandat de premier ministre cherche à se rapprocher de l'Occident. Il cherche à intégrer l'OTAN, et à l'été 2000 il rencontre Georges Bush auprès duquel il multiplie les geste de bonne volonté. Après le 11 septembre, Poutine est le premier chef d'État à téléphoner à Bush pour lui apporter son soutien. Il lui propose de l'aide dans la guerre contre le terrorisme qui s'ouvre : mise en commun des renseignements, ouverture de l'espace aérien russe aux militaires américains, livraison d'armes aux afghans qui combattent les Talibans, fermeture des bases militaires russes à Cuba et au Vietnam. Un nouveau partenariat OTAN-Russie est crée en 2002, pour remplacer celui qui avait perdu toute crédibilité aux yeux des russes en 1997 en déclenchant la guerre au Kosovo.

Mais alors que l'entente est bonne, Washington se montre intraitable sur les accords limitant les armes stratégiques (ABM et SALT) en s'en retirant. Poutine « oublie de s'en indigner et continue à négocier la réduction du nombre d'ogives »13. L'OTAN continu son élargissement en engageant des pourparlers avec des les États Baltes, la Roumanie, la Bulgarie et la Slovaquie. Ce que veut Poutine c'est obtenir le statut de partenaire auprès des américains pour une Russie « ignorée et méprisée par les états-unis depuis 1992 ».

Mais en 2003, l'opération américaine déclenchée en Irak sans l'accord des Nations Unies, alors même que la Russie en est désormais membre permanent marque un changement. Le monde multipolaire voulu par Poutine vient se fracasser sur la réalité américaine.

Mais les événements les plus marquants vont être les soutient américains aux révolutions de couleurs dans l'espace de l'ex-Union Soviétique. Tout d'abord la révolution des roses en Géorgie, amène au pouvoir un jeune juriste aux sentiments pro-américain. Pour les russes « il s'agit purement et simplement d'une manipulation américaine permettants aux états-unis de prendre pied dans cet état ». Un an plus tard même scénario avec la révolution Orange en Ukraine. Pour Poutine le revers est pire encore. D'abord parce que l'Ukraine est peuplé de beaucoup de russe, mais aussi parce que dans l'inconscient l'Ukraine est indissociable de la culture russe. « Comme en Géorgie le soutien extérieur par la voie d'ONG a financement américain n'est un secret pour personne. Mais après tout le soutien russe à Ianoukovitch ne l'est pas d'avantage et Poutine aurait mauvaise grâce à critiquer l'ingérence des États-Unis, sauf à plaider que la Russie à des titres particuliers à peser sur l'Ukraine ». En 2005 c'est la révolution des Tulipes au Kirghistan. Peu à peu les forces de l'OTAN prennent place dans l'ancien espace de la Russie et les américains prennent pied en Asie centrale. La conséquence est aussi que la Russie tend à être exclue des voie énergétique reliant les pays producteurs à l'Europe. L'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan doublé d'un gazoduc Bakou-Tbilissi- Erzeroum proposé par les américains indigne les russe. Comment accepter que l'Europe soit relié énergétiquement à l'Asie centrale sans un contrôle russe ?

En 2007 à la conférence de Munich sur la sécurité, Poutine prononce un discours très critique à l'égard de Washington, remettant en cause le recours systématique à la force par les USA dans les relations internationales. Pour Poutine l'échec est patent et ses multiples mains tendues aux américains n'auront servies à rien. La guerre en Géorgie de 2008 et l'annexion de la Crimée en 2014 finissent ce processus.

NOTES
1 Régis Genté, Caucase : stratégies russes dans une région sous tension dans Nouvelles guerres, comprendre les conflits au XXIesiècle, La Découverte, Paris, 2015.

2 Aleksandr Nekritch, les Peuples punis , François Maspéro, Paris, 1982.

3 Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Vladimir Poutine, Actes Sud, Arles, 2015.

4 Christophe Ayad, le Syndrôme techétchéne, Le Monde, 18/10/15

5 Voir chapitre sur la Syrie.

6 “En aucun cas le mouvement indépendantiste ne pouvait être réduit à sa composante islamiste“ écrit Régis Genté, op. cité.

7 On désigne par le terme afghans ceux qui ont combattus en Afghanistan quelque soit leur nationalité.

8 Le Kadyrovisme est un mélange de puritanisme musulman et de patriotisme russe, Le Monde, 18/06/17

9 La conférence de Grozny et la compétition pour l’orthodoxie islamique, La Croix, 4/11/16

10 Propos de Andreï Kortounov, politologue membre du think tank russe Russian Council, cité dans Russie les anciens satellites s’émancipent, Le Monde, 17/02/19

11 Les USA dans le monde, ouvrage collectif, CNRS éditions, 2016

12 Cité dans Quand Washington manipulait la présidentielle russe, Le Monde Diplomatique, mars 2019

13 Hélène Carrère d'Encausse, La Russie entre deux mondes, Fayard, 2010

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