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Billet de blog 12 juillet 2023

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Pandemic Bonds : le flop de Wall Street pour stopper les pandémies

Les financiers ont parfois des bonnes idées mais elles fonctionnent surtout en théorie.

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Cet article est extrait du numéro 3 du journal La Brèche.
Retrouvez le numéro 4, spécial Eau (sécheresse, PFAS, MégaBassine & co) cet été dans les kiosques.  

Illustration 1

De 2014 à 2016 une épidémie de fièvre hémorragique due au virus Ebola ravage plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest. Démarrée en Guinée elle s'étend rapidement au Libéria et à la Sierra Leone. D'autres pays sont touchés plus marginalement comme le Mali, le Sénégal et le Nigéria. Quelques cas seront répertoriés aux États-Unis, en Angleterre, en Italie et en Espagne, principalement dus au rapatriement de soignants ayant travaillés dans les zones infectés. L'OMS annoncera officiellement la fin de l'épidémie en janvier 2016. Mais avec 11.000 morts en deux ans, il s'agit de l'épidémie la plus meurtrière de l'histoire depuis la découverte d'Ebola en 1976.

Ebola a frappé les pays les plus pauvres de la planète, dont certains sortaient à peine de décennies de guerre civile (Guinée, Libéria, Sierra Léone). Dans ces pays le système de soin est complètement délabré voir inexistant. Pour beaucoup d'observateurs, l'OMS qui était censée surveiller l'épidémie a tardé à réagir. Elle aura attendu plus de huit mois avant de déclarer l'urgence mondiale. Quant à la Banque Mondiale qui débloquent des fonds, elle accuse du même retard. Il fallu attendre neuf mois pour qu'arrive quelques millions de dollar quand la facture totale de l'épidémie s'élève à 53 milliards de dollars. Une goutte d'eau, qui n'aura donc pas empêcher des économies et des systèmes de santé de s'effondrer. Les pays occidentaux ont attendus que des cas se présentent sur leur territoire pour contrôler les aéroports. La sonnette d'alarme aura été très tardivement pour empêcher l'épidémie de se répandre.

C'est alors que Jim Yong Kim, le président de la Banque Mondiale, un médecin demanda à des équipes d'économistes de plancher sur une nouvelle façon de débloquer des fonds rapidement.

Fin janvier 2015, alors que l'épidémie n'était pas terminée, Jim Yong Kim présente à des étudiants et des professeurs de l'Université de Georgetown un nouvel outil de financement censé attirer les investisseurs privés vers le porte-monnaie de la Banque Mondiale. Présenté comme un produit innovant, fruit d'un partenariat public/privé, rapidement baptisé Pandemic Emergency Financing Facility, l'idée était de copier le mécanisme des « obligations catastrophes » (cat bonds) visant à lever des fonds de manière extraordinaire en cas de tremblement de terre ou d'ouragan. Une sorte d'assurance d'assureurs qui permet de lever des sommes importantes en cas d'évènements exceptionnels.

L'idée était la suivante : la Banque Mondiale émettait pour 320 millions de dollars de dette. Soit tout se passait bien, il n'y avait pas d'épidémie. Les investisseurs touchaient des intérêts, dont le rendement important se rapproche des junks bonds,les prêts à haut risque de la crise des subprimes. En cas d'épidémie, le paiement des intérêts s'arrête, et l'argent est disponible immédiatement pour la Banque Mondiale. En 2017, l'épidémie d'Ebola était fini, et Jim Yong Kim déclara que les Pandemic bonds se déclencherait dès le premier cas d'Ebola.

Illustration 2
« How Pandemic Bonds Became the World’s Most Controversial Investment », Bloomberg, 9/12/2020


Pour attirer les investisseurs il fallait un rendement élevé. La tranche A, de 225 millions de dollars, avait été conçu pour les grippes et les coronavirus, avec un rendement annuel à 6,9%. La tranche B, 95 millions de dollars, concernait Ebola mais aussi les Coronavirus, avait un rendement plus élevé de 11,5% car elle était plus risqué et se déclencherait plus rapidement.

Le document qui définissait les règles des Pandemic Bonds comportait 386 pages avec un descriptif macabre extrêmement précis du déclenchement de l'obligation. Pour déclencher la tranche A (celle des grippes) il fallait 2.500 décès dont 20 hors du pays d'origine. Pour la tranche B, celle concernant Ebola, 250 décès dont 20 dans un deuxième pays. Mais surtout il fallait attendre douze semaines avant de déclencher le processus. Douze semaines à compter les morts, pour être bien certain qu'on rentre dans un événement que l'ont pourrait qualifier de « pandémie ».

Entre aout 2018 et aout 2019, la République Démocratique du Congo connu un nouvel épisode d'Ebola faisant 1953 victimes. Mais tous les morts étaient au sein d'un seul pays et il manquait vingt morts en dehors des frontières de la RDC. Le mécanisme ne s'était pas déclenché. La RDC est le deuxième pays le plus grand d'Afrique et le cinquième plus peuplé. Le non-déclenchement du système était un scandale. Les pandémies ne connaissent pas de frontières mais il fallait attendre que le virus en traverse une.

Alors la Banque Mondiale a déclenché un plan d'aide de 300 millions de dollars sur ses fonds propres, indépendamment des fantastiques pandemic bonds qui ne voulaient pas se déclencher . « C'était une bonne affaire pour les investisseurs, pas pour la santé mondiale » a déclaré Olga Jonas qui a travaillé trois décennies à la Banque Mondiale avant de démissionner. Car pendant ce temps, la Banque Mondiale continuait de payer des intérêts à haut rendement au investisseurs privés.

Quelques mois après ce fiasco, le monde fut confronté à une nouvelle pandémie. La COVID-19 était moins létale qu'Ebola (0,7% contre 70%) mais bien plus contagieuse. Là encore il fallait attendre que ce à quoi nous assistions était bien une pandémie telle qu'elle avait été défini dans le rapport de 386 pages des Pandemic bonds. Pendant toute le début de l'année 2020 les investisseurs regardaient les statistiques espérant que les pandemics bonds ne se déclencheraient pas. Le problème c'est que la COVID se développé dans des pays riches et qu'elle semblait être sous-contrôle dans les pays pauvres, les seuls éligibles à l'aide. Mais entre les confinements, les dé-confinements, les variants et l'opacité des chiffres chinois il était difficile de savoir où nous en étions. Les investisseurs espéraient faire traîner l'affaire jusqu'en juillet, quand les liquidités arriveraient à échéance et qu'ils pourraient récupérer leur mise.

Il fallait attendre cinq semaines après la déclaration de l'OMS qualifiant la situation de pandémie mondiale pour que les Pandemic bonds se déclenchent. Le 16 avril, alors que la COVID avait fait 150.000 morts, qu'elle contaminait 90.000 nouvelles personnes et en tué 7.000 par jour, les Pandemic bonds se déclenchèrent. Après avoir payé 96 millions de dollars d'intérêts au privé, La Banque Mondiale récupéra 195 millions de dollars. Une dizaine de pays touchèrent de 1 à 15 millions de dollars. Une goutte d'eau par rapport à leurs besoins.

Illustration 3
Max Lewko, La Brèche n°3

Une somme bien maigre pour une institution bénéficiant de 59 milliards par an. Qui plus est, les pandemic bonds n'avaient pas tenu la promesse de se déclencher rapidement dès le premier cas pour enrayer la chaîne de transmission.

Les pandemic bonds avaient été mis en place pour enrayer les pandémies et réagir promptement. Mais pour les déclencher il fallait attendre. C'est-à-dire exactement ce qu'il ne faut pas faire pour stopper une pandémie.

Alors que cinq ans plus tôt Jim Yong Kim annonçait en fanfare la création des pandemic bonds, la fin du dispositif fût annoncé discrètement sur le site internet de la Banque Mondiale en avril 2021.

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