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Billet de blog 20 mars 2023

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lithium : l'or blanc de la croissance verte

Le sous-sol d'une commune du Finistère cote à 2,295 milliards de dollars au London Metal Exchange.

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L'Océan, les naufrages, les marins disparus et les baleines échouées. C'est toujours les même sujets qui reviennent dans les archives de la presse quand on parle de Tréguennec et de la baie d'Audierne. Cette longue plage de sable blanc, pleine Ouest, qui s'étend sur des kilomètres de la Torche à Pouldreuzic. Dans un article de La Croix de 19361 un journaliste en balade dans le coin parle du « mugissement des flots », « même les jours tranquilles », « des vagues qui montent à l'attaque », de « l'éparpillement prodigieux d'écume » sur une « barrière mouvante de galets polis ». Le coin à quelque chose d'hostile autant que de majestueux. « Si il y a au monde un endroit où la beauté de la mer éclate, c'est ici » écrit J.M.G le Clézio (Chanson Bretonne, 2020) qui y passait ses vacances enfant.

Illustration 1

L'endroit n'a pas changé : une grève gigantesque balayée par les vents, les plus belles vagues de France (la plage de la Torche est à côté) et forcément, les combis Volkswagen garés derrière la dune avec les combinaisons de surf qui sèchent accrochées aux rétros. Ce jour là, comme souvent on marche sur la plage les yeux plissés par les rafales qui charrient du sable. De l'écume à perte de vue, impossible de voir l'horizon. Et derrière la dune, un peu plus au calme, des étangs saumâtres, des prairies humides. Un endroit parfait pour les quelques trois cent espèces d'oiseaux qui y nichent ou qui y passent. Car la zone humide est sur le couloir de migration, de l'Afrique du nord au nord de l'Europe, halte obligée pour des milliers de volatiles.

La barrière de galets (dix kilomètres de long sur cinq mètres de haut) dont parle l'article de La Croix, a disparue. En 1942 les nazis construisent à Tréguennec une usine de concassage de galets. 300 à 400 ouvriers y travaillent pour fournir le ciment nécessaire au mur de l'Atlantique sur le tronçon de Brest à Lorient. La machine de guerre a transformé la barrière naturelle en blockhaus. Les « noirs chicots fossiles du grand requin de guerre » comme dit le Clézio dans lesquels ils voit « la violence de l'histoire ». Il en reste quelques uns sur la plage, ceux qu'on n'a pas pu faire exploser.

C'est ici qu'en 1986 le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) lance une campagne d'exploration2 pour sonder le sous-sol. 327 sondages à 159 mètres de profondeur. Les forages se concentrent sur le lieu-dit Prat-ar-Hastel, à côté de l'ancienne usine de concassage de galets. Plus exactement dans une ancienne carrière d'aplite, une roche que l'on trouve en zone granitique. Exploitée plusieurs fois au XXème siècle pour le feldspath, qui avec le kaolin et le quartz constitue un élément essentiel pour la porcelaine de Quimper. La carrière est aujourd'hui inondée et ressemble à un aber, une vallée envahie par la mer, un estuaire où se rejoigne l'eau salée et l'eau douce, mais qui ne rejoindrait pas l'océan.

De ces sondages le BRGM estime un filon potentiellement exploitable de 300 mètres de long, sur 30 à 60 de large. Le tout à 130 mètres de profondeur. On y note une teneur, 0,78% en Li2O. Ce qui signifie que pour une tonne de roche extraite s'y trouverait autour de 7,8 kilos de lithium. Il y aurait là dans le sous-sol de Tréguennec 66.000 tonnes de lithium emprisonné dans 8,5 millions de tonnes de minerai. Mais en 1986, quand sort le rapport, on a aucune raison d'aller chercher du lithium à 130 mètres de profondeur.

Les données sont compilées et ressortent dans un rapport sur l'état des lieux des ressources en lithium sur le territoire français. Accessible à tous sur internet à partir de décembre 2018, il faut cependant avoir les capacités de décrypter cette littérature. 130 pages de métaux inconnus, d'acronymes énigmatiques, de statistiques, de chiffres, de tableaux, de schémas et de lieu-dit inconnus du GPS.

Mais contrairement aux terres rares qui sont rares, du lithium il y en a partout. En 1986 ou en 2018 personne ne s'alarme vraiment de l'approvisionnement en Li2O. Il y a encore dix ans, il n'y a guère que l'industrie du vélo électrique, alors à ses balbutiements, qui en consomme. Avec une production mondiale à 82.000 tonnes (en 2020), on a là l'équivalent d'une année de production mondiale des trois principaux producteurs (Australie, Chili et Argentine).

Sauf qu'entre temps le contexte a changé. La transition énergétique et l'électrification des sociétés exigent des métaux. En grande quantité.

La voiture électrique demande quatre fois plus de métaux que la voiture thermique. Du cuivre, du colbalt, du nickel, du graphite et surtout du lithium. En 2021, la Commission Européenne annonce la fin de la vente des véhicules thermiques pour 2035. Et puis il y a eu les deux ans de pandémies. Le confinement avec ses apéros skype, son télé travail, ses télé licenciements et ses rencontres Tinder. Il va falloir du lithium et du cuivre. Beaucoup de lithium. Après la pandémie il y a la guerre. On ne va quand même pas acheter du pétrole à Poutine. Toujours plus de lithium. Les plus grandes réserves européennes de lithium sont en Ukraine. Dommage.

Un des leaders mondial du câble dont le slogan est « électrifions le futur »3 l'affirme sur le plateau de BFM TV «  le monde est entré dans les trente glorieuses de l'électrification » et le goulet d'étranglement sera celui du cuivre. Le patron français de Tesla dit lui que le goulet étranglement sera le nickel4. Elon Musk est scandalisé par l'envolée des prix. Il pense à extraire et à raffiner pour court-circuiter sa dépendance au marché. Le goulet étranglement sera celui des métaux.

Illustration 2

de la dépendance énergétique à celle des métaux

Alors que la dépendance énergétique est un sujet de préoccupation français depuis le choc pétrolier de 1973, qui verra l'année suivante le lancement du plan Messmer de construction de centrales nucléaires, ce n'est que tardivement que l'on s'inquiète de la dépendance minérale. C'est Anne Lauvergeon, « Atomic Anne » pour la presse, alors patronne d'Areva qui s'en alarme au milieu des années 2000 en soulignant ce paradoxe : le nucléaire permet l' « indépendance énergétique » de la France, mais c'est oublier qu'il constitue, par l'uranium, une dépendance minière5. Et cet impensé vient violemment frapper à la porte en 2010 après que la Chine, producteur de 95% des terres rares, décide d'un embargo vers le Japon à la suite d'un différent diplomatique.

La sonnette d'alarme est tirée en France et en Europe, au ministère de l'économie et de la transition sur la question de l'approvisionnement en métaux. L'Europe lance son Raw Material Initaitive qui vise à sécuriser les importations, soutenir la production nationale et favoriser le recyclage. On met en place une liste des métaux stratégiques pour l'industrie européenne. Le lithium y fait son entrée en 2020 au côté de la bauxite (aluminium), strontium (tube cathodique, aimants) et le titane (industrie aéronautique et spatiale).

Un rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de 2011 souligne que le marché mondial, soumis à la volatilité des prix et aux querelles géopolitiques, n'est plus une garantie d'approvisionnement. Jean Louis Borloo alors Ministre de l'Écologie, l'Énergie, du Développement Durable et de la Mer multiplie les initiatives. Six millions d'euros sont même débloqués pour permettre l'accès aux grands fonds marins, et la recherche des métaux. À l'époque, un dirigeant d'Areva souligne dans Le Monde le paradoxe «pourquoi la France qui a un champion du pétrole et du gaz avec Total n'aurait pas aussi un grand minier ?»6

quand l'accélération technologique s'accélère

Tout s'accélère avec la pandémie et le confinement. Alors que la consommation de pétrole chute (de -30 à -40% au printemps 2020), les prix s'effondrent. Le 20 avril 2020 le baril termine à presque moins quarante dollars. Mais la production elle, stagne à cent millions par jour. Le monde est inondé de pétrole bon marché. Les centres de stockage sont pleins et les spéculateurs ne savent plus quoi faire. Les tankers remplis à ras bord stationnent au large des raffineries. Les économies sont suspendues à l'annonce d'une bonne nouvelle (un vaccin) qui débloquerait la situation.

Parallèlement à cela la demande en numérique augmente. Les populations confinées en télé travail, devant Netflix ou en apéroskype, les gouvernements augmentent la bande passante des antennes et accélère la transition vers la 5G. Pendant que les rêveurs divaguent sur le « monde d'après », l'e-monde d'après est en route, à marche forcée. La demande en lithium explose. On prévoit une consommation de 200.000 tonnes de lithium pour 2030. Une hausse de 1800% des batteries dans les dix années à venir, 6000% en 2050. Une étude de l'agence internationale de l'énergie (IEA) estime que le marché des minerais de la transition verte (cuivre et lithium) atteindra d'ici peu ce qu'est aujourd'hui le marché du charbon7.

La commission européenne lance son Green New Deal et annonce le 14 juillet 2021 la fin de la vente des véhicules thermiques pour 2035. L'Europe, 6% de la population mondiale consomme 25 à 30% des minerais. Après avoir procrastiné pendant des années, il faut maintenant aller vite. Les marchés s'affolent.

Au London Metal Exchange, la bourse mondiale des métaux non-ferreux, l'hydroxyde de lithium côte à 75'000 dollars en juillet 2022. Les 66 300 tonnes de Tréguennec, qui une fois raffinée donneront 30 795 tonnes d'hydroxyde de lithium, valent 2,295 milliards de dollars. La valeur du sous-sol de cette commune du Finistère dépend de la cotation du lithium à Londres. Et il n'y aucune raison de penser que ça baisse.

Il suffit de penser au fait que, pendant la pandémie, Tesla a dépassée en capitalisation boursière tous les constructeurs réunis (Toyota, Volkswagen, Daimler, General Motors, Ford, Stellantis, BMW, Honda, Hyundai, Nissan). Elon Musk est désormais l'homme le plus riche du monde et son entreprise, tout en produisant dix fois moins de voitures que Renault, dépasse de cent fois la capitalisation boursière de la marque au losange. Si l'électrification était une tendance profonde ces dernières années, tout s'est accéléré avec le confinement. Mais la base matérielle de cette croissance dématérialisée ce sont les métaux. Et la France n'en produit pas.

Mais il n'y a pas que du côté de la demande que le bât blesse. Il y a aussi un problème d'offre. Il suffit de regarde l'Atlas des conflits pour la justice environnementale8 pour comprendre : dans le monde, la mine est un des principaux sujets de conflits. D'un côté la demande croît, de l'autre le spectre de la contestation pèse sur l'offre.

Alors le prix monte. Un article du Financial Times parle d' « achat de panique » après que la tonne de lithium passe de 9.600 dollars à 50.000 dollars en janvier de 20219. Les marchés agissent par mimétisme : on ne manque pas de lithium, on a peur d'en manquer. Pour Bloomberg10 les contestations se multiplient (Rio Tinto en Serbie, Southern Copper Corp au Pérou, Lithium Americas Corp au Nevada, élection d'un président de gauche au Chili, gros producteur de lithium dans le désert d'Atacàma) l'opposition « est le plus grand défi pour l'avenir ». « Les habitants résistent décidant que les avantages économiques ne l'emportent pas sur les coûts pour leur qualité de vie ». Un analyste minier interrogé par Bloomberg confirme « il est devenu de plus en plus difficile de construire une mine aujourd'hui ».

La Bretagne en terrain minier

C'est dans ce contexte que Didier Deniel, journaliste au Télégramme à Brest redécouvre ce rapport de 2018 et les forages de 1986. Tréguennec un village de la baie d'Audierne de 320 habitants détiendrait l'équivalent d'une année de production mondiale des trois plus gros producteurs réunis. « J'ai eu connaissance de ce rapport totalement par hasard, au cours d'une discussion. Quand j'en ai parlé au maire de la commune, il est tombé de sa chaise ! ». Dans un premier temps le maire de Tréguennec en rigole. La commune pourrait se payer une équipe de foot digne de ce nom.

Le maire se ravise. Le lithium n'est pas à vendre et il restera sous terre. Pas question d'envisager quoique ce soit. D'autant plus que le site d'exploitation bénéficie d'une triple protection. Les terres sont propriétés du Conservatoire du Littoral, classée Natura 2000 et fraîchement labellisée RAMSAR, un label spécial pour les zones humides d'importances mondiales.

Jean-Philippe Siblet, ornithologue spécialiste des espèces migratrices au Museum national d'histoire naturel (MNHN) est l'auteur d'un rapport en avril 2021, où il établit que le site de la baie d'Audierne joue un « rôle capital comme halte migratoire pour des milliers d'oiseaux », et représente une zone « intérêt mondial » pour certaines espèces. Près de 1 000 variétés animales y ont été répertoriées, dont 320 oiseaux. Le rapport souligne que le site remplit 6 des 9 critères établis par la convention Ramsar pour obtenir le label de zone humide d'importance mondiale, sachant que l'obtention d'un seul de ces critères aurait suffit.

Mais le Ministère de la Transition ne l'entend pas de cette oreille. Le 9 février, Bérangère Abba, secrétaire d'État à la biodiversité est en visite dans le Finistère. Après un passage à Douarnenez, où les agents du conservatoire du littoral et ceux du Parc Naturel marin d'Iroise lui présentent les actions menées en lien avec la protection de la biodiversité, elle passe à Tréguennec.

Le journaliste du Télégramme note que, contrairement à ce genre de visite qui se fait à « grande foulées »11 Abba reste « curieusement longtemps » à Tréguennec. Forcément la question du lithium est abordée. Il s'agit de « préciser la découverte et son ampleur [...] trouver la bonne position [...] la décision ne peut se prendre dans un bureau ou simplement entre élus. Il faut que la question s'invite dans le débat public »12 avance Abba. Après ces propos, le maire lui, ne se dit « pas très rassuré ».

Le lendemain, le 10 février, le rapport Varin est remis au gouvernement. Commandé en septembre 2021 par Pompili et Agnès Pannier-Runaché, ministre délégué à l'industrie et confié à Philippe Varin, ancien dirigeant de l'industrie automobile, le rapport classé confidentiel car contenant des informations secret industriel, insiste sur la nécessité de sécuriser la filière batterie (nickel, cobalt et lithium)13.

Dans la foulée, le gouvernement lance un appel à projet, en profitant du plan de relance France 2030 et son milliard d'euro14 visant à « accompagn[er] des initiatives ambitieuses et rapidement industrialisables ». Pour l'Observatoire des Multinationales « Si le besoin de sécuriser l’accès à certains métaux (lithium, cobalt, nickel, etc.) est souvent présenté comme une nécessité pour la « transition » en général, l’essentiel des besoins concerne en réalité un secteur industriel en particulier : celui des batteries et de la voiture électrique ».

Tréguennec fait la Une des médias. La presse régionale suit le dossier de près, ainsi que Le Monde, Figaro, France Inter, France Culture le Nouvel Obs, et évidement la presse économique L'Usine Nouvelle, Les Échos, BFM TV. C'est que le lithium de Tréguennec met la transition énergétique fasse à ses contradictions : Va-t-on saccager ce qui peut encore l'être au nom de l'écologie ?

Le Ministère de la transition scrute l'évolution de la mobilisation citoyenne sans exclure de renoncer au projet « Nous avons besoin de sécuriser nos approvisionnements en lithium en travaillant sur le recyclage mais aussi sur l’extraction sur notre territoire. Le caractère protégé du site de Tréguennec ne bloquerait pas la mise en œuvre d’un projet mais imposerait évidemment une très grande précaution »15.

Deux jours après le passage de Bérangère Abba à Tréguennec, Barbara Pompili dans une interview à Ouest France en remet une couche. À propos du lithium « nous en avons besoin pour nos téléphones, nos batteries, nos énergies renouvelables. Alors c'est un peu facile de dire qu'on l'utilise sans regarder comment il est extrait, ailleurs dans le monde […] Il faut que chacun soit responsable, quand on a des gisements chez soi, il faut pouvoir les exploiter ». Et de poursuivre concernant la mise en œuvre pratique « nous avons revu l'année dernière le code minier »16.

Et effectivement dans la foulée du rapport Varin, le gouvernement souhaite la mise en place d'un label certifié « mine responsable ». Une idée déjà lancée en 2015 par le ministre de l'économie Emmanuel Macron, autour de l'idée de « mine durable ». Comme le note Reporterre, déjà à l'époque « plusieurs associations et ONG (SystExt, France Nature Environnement (FNE), etc.) avaient finalement claqué la porte, critiquant un projet bien trop vague, non contraignant et des garanties environnementales et sociales très insuffisantes »17.

Enfin le 17 février, dans une vidéo réalisée par le journal Les Échos, Pompili lâche le morceau « la France doit extraire du lithium sur son territoire […] soit on ne veut plus avoir de véhicules électriques, trottinettes électriques et téléphones portables … et on l'assume […] il faut assumer les conséquences ».

extraire ou ne pas extraire

En Europe les projets de Gigafactory, sur le modèle de Tesla, de productions de batteries se multipient. En France la première usine ouvrira à Douvrin dans le Pas-de-Calais en 2023. Un projet à 1, 8 milliards dont 846 millions d'argent public18. Mais entre l'extraction et la production de batterie il y a le raffinage. Car si la production mondiale vient d'Amérique du sud ou d'Australie, le raffinage se fait à 90% en Chine. La première usine de raffinage permettant de produire de l'hydroxyde de lithium, le produit préféré des constructeur automobile, ouvrira ses portes en 2025 près de Strasbourg.

Dans un rapport des amis de la Terre intitulé Green mining is a myth, les auteurs notent très justement que la transition énergétique a été une divine surprise pour l'industrie minière. Alors que le secteur est responsable de 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et que les domaines consommateurs de métaux peuvent avoir une utilité sociale limitée (la spéculation et la joaillerie pour l'or, l'armée ou la quincaillerie numérique pour le reste) la transition énergétique a permis au secteur minier de verdir son image sans efforts, via ses débouchés. En clair, le secteur minier peut rester polluant car il serait un mal nécessaire à la transition : c'est le green mining.

En France, la problématique de la dépendance aux métaux a été mis en lumière par le journaliste Guillaume Pitron et son livre à succès La guerre des métaux rares. Vendus à 85 000 exemplaires et traduit en 8 langues, Pitron y défend l'idée d'une souveraineté minérale nationale. Le journaliste montre très justement que la transition et le numérique ont invisibilisés la pollution minière en délocalisant loin de l'Occident. En France la dernière mine d'uranium a fermé ses portes en 2001 et celle de charbon en 2004. Produire et recycler localement serait une façon de mettre la transition face à ses contradictions. Et de voir ce qu'il en coûte de décarbonner la production.

Lors d'une enquête en Guyane les journalistes de la revue Z furent surpris d'assister à la récupération des arguments de Guillaume Pitron par les partisans du projet de la Montagne d'Or. Ainsi, un promoteur minier expliquait sur l'antenne guyannaise de Radio Péyi que « les pays occidentaux ont délocalisé la production. Ce qu'on en veut pas faire chez nous, on le fait en Chine […] Oui il faut des mines, et il faut les faire chez nous. C'est ça l'économie moderne aujourd'hui en 2018 »19. C'était oublié que la plupart de la production de l'or sert principalement à des secteurs non-essentiels comme la joaillerie ou la spéculation, et que le recyclage est largement suffisant pour couvrir la demande des secteurs essentiels (principalement la médecine).

Selon l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFP-EN) pour tenir les chiffres de l’Accord de Paris ( -2° C), le monde devrait consommer 80 % du cobalt, 60 % du nickel, 90 % du cuivre et 30 % du lithium présent sur cette terre d’ici 2050. Selon l’agence de conseil BenchMark Minerals, si la demande continue de croître, il va falloir ouvrir 384 nouvelles mines dans le monde de graphite, lithium, nickel et cobalt d’ici 2035. Dont 74 nouvelles mines de lithium.

Pour Naïké Desquennes et Mathieu Brier, auteurs du livre Mauvaises mines la question est donc prise par le mauvais bout. Il ne s'agit pas de savoir comment ouvrir des mines respectueuses de l'environnement, mais de commencer par faire l'inventaire de nos besoins. « Les industriels adorent ce récit qui permet de discuter du rôle écologique fantasmé des mines au lieu de parler des dégâts bien réels qu’elles entrainent partout. Pour faire preuve de responsabilité écologique, il faut réduire drastiquement la consommation, développer le recyclage, et bloquer l’industrie minière plutôt que de lui donner des alibis ».

cet article est extrait du numéro un du journal La Brèche.
Disponible en kiosque.
Illustration 3

annexe 1


BOLIVIE, UN COUP D'ÉTAT POUR LE LITHIUM ?

Fin 2019, après des soupçons de fraude électorale, le président bolivien Evo Morales faisant face à des pressions de l'armée, est contraint à la démission. Dans la presse occidentale l'évènement donne lieu à diverses explications, mais il est aujourd'hui convenu de parler de coup d'État. Précisément « une destitution forcée qui ressemble étrangement à un coup d'État » pour le chercheur Franck Poupeau20.

Après que la droite catholique s'est emparée du pouvoir et lancé un mandat d'arrêt pour terrorisme et génocide contre l'ancien président, Morales est contraint à un an d'exil. Human right Watch dénoncera un cas de « persécution politique ». Les gouvernements anglais et américains reconnaissent immédiatement Jeanine Anez, chrétienne évangélique, raciste envers les indigènes et autoproclamée présidente par intérim, comme présidente légitime du pays.

Immédiatement après sa destitution Morales pointe le rôle du lithium dans ce coup d'État. La Bolivie possède les deuxième plus grandes réserves du monde. Après avoir nationalisé le gaz et le pétrole, Morales voulait assurer le développement industriel de son pays par l'extraction, mais aussi le raffinage et la production de batterie.

Six mois avant le coup d'État Morales avait choisi de s'associer avec les chinois, un accord qui sera remis en question avec le nouveau gouvernement. L'ambassade anglaise organisant un séminaire mondiale de l'extraction quatre mois à peine après le coup d'État.

En 2010 des câbles Wikileaks avaient révélés une vaste campagne de l’ambassade américaine pour destituer Morales dès sa prise de pouvoir en 2006. Pour le média d'investigation anglais Declassified UK21 et le New York Times22, le rapport de qui accusait Morales de fraude électorale et qui allait amener à le faire quitter le pouvoir, reposait sur des données erronées fournies par … l'ambassade britannique de La Paz.

Finalement le parti de Morales remportera les élections un an après sa destitution, et la présidente par intérim Jeanine Anez vient d'être condamnée en juin 2022 à dix ans de prison.

Il est évidemment difficile d'affirmer que le lithium est la cause du coup d'État. Comme il est difficile de nier que l'invasion américaine de l'Irak de 2003 (cinquième réserve mondiale) n'a pas quelque rapport avec le pétrole.

annexe 2


ONE OCEAN SUMMIT ET EXPLOITATION MINIÈRE DES FONDS MARINS

Après son passage à Tréguennec, Bérangère Abba rejoint Brest pour l'ouverture du One Ocean Summit. Ce grand sommet de protection des océans, a été promis par Macron le 3 septembre 2021 à Marseille lors du congrès de l'union internationale de conservation de la nature (UICN), pendant lequel la France avait refusé de signer une motion défendant l'idée d'un moratoire sur l'exploitation minières des fonds marins. Ce refus, de s'engager concrètement pour la protection des océans, avait ensuite lancé une polémique sur la question de l'extraction minière au cours de laquelle Pompili avait déclaré ne pas exclure l'idée de rouvrir des mines en France. Un mois après le congrès de Marseille, deux mois avant le One Ocean Summit, la Ministre de la Transition déclaré à Télérama23 « La crise de la Covid a montré qu’on avait besoin de récupérer notre souveraineté sur un certain nombre de matériaux très importants[…] et donc je crois qu’il ne faut s’interdire rien […] Il faut regarder ce qu’il y a chez nous et qu’on pourrait peut-être éviter d’importer de pays où justement ça va être prélevé de manière peu intéressante pour l’environnement[…] Il faut que nous regardions si ça vaut la peine d’en prélever en France. Et dans ces cas-là, […] nous avons besoin d’autorisations environnementales pour pouvoir lancer de nouvelles mines[…] Cela veut dire que nous pouvons avoir éventuellement des mines, mais qui seront beaucoup plus respectueuses de l’environnement que ce qui se passe ailleurs dans le monde […] Se dire, c’est pas grave, on laisse polluer ailleurs en fermant les yeux […] non, ça ne va pas. Moi, je préfère qu’on fasse les choses chez nous, et qu’on les fasse bien ».

Le One Ocean Summit est ensuite annoncé le 12 octobre 2021, le même jour que le Plan de Relance 2030. Dans ce plan qui vise à « décarboner l'industrie », une avalanche de milliards pour la technologie, Macron promet de consacrer 2 milliards d'euros à la recherche en métaux stratégiques. Parmi les dix promesses on retrouve aussi celle d'explorer les fonds marins. Macron précise qu'il s'agit d'exploration et non d'exploitation. On peut en douter.

Dans ce cadre l'institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), reçoit une enveloppe de 300 millions d'euros. Mais l'IFREMER, comme le commissariat à l'énergie atomique (CEA), n'est pas qu'un organisme de recherche. C'est un établissement à caractère industriel et commercial (EPIC).

Cet argent pourrait notamment servir à approfondir les recherches sur les nodules polymétalliques dans la région de Clarion Clipperton (dans le Pacifique) et dans les Terres Australes françaises, en vue, un jour de leur exploitation. 24

post-scriptum 

Contre toute attente, le 30 juin 2022 à la conférence de l'ONU sur les océans à Lisbonne, le président Macron a proposé de mettre un coup d'arrêt à l'exploitation minière des fonds marins.

NOTES 

Sur les routes Bigouden, La Croix, 2 aout 1936

2 https://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-68321-FR.pdf

3 Christopher Guérin, PdG de Nexans, leader mondial du câble.

4 Les Échos, 6/10/2020

5 Compte rendu du colloque Germinal 2.0 : et si la France redevenait une nation minière ? Organisé par ISF SystExt 19 juin 2015. page 16.

La france veut sécuriser son accès aux métaux rares, Le Monde, 28/04/201

Green mining is a myth, rapport de Friends of Earth, 2021, page 14

8 https://ejatlas.org/?translate=fr

Lithium price squeeze adds to cost of the energy transition, Financial Times, 5/02/21

10 The world wants more lithium but doesn't want more mines, Bloomberg, 18/12/21

11 Télégramme, 10/02/22

12 Ouest-France, 9/02/22

13 https://www.ecologie.gouv.fr/investir-dans-france-2030-remise-au-gouvernement-du-rapport-varin-sur-securisation

14 https://multinationales.org/IMG/pdf/allobercynote2.pdf

15 Citation d'une personne dans l' »entourage de Barbara Pompili », Le Monde, 26/02/22

16 Ouest-France, 12/02/22

17 « Le label « mine responsable » ? De la science fiction pour des géologues », Reporterre, 14/01/22

18 https://chez.renart.info/?Electrique-ou-non-la-bagnole-nous-roule-et-nous-ecrase

19 Penser global, miner local ?, Revue Z n°:12 Trésors et Conquêtes, 2018

20 https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/18/en-bolivie-il-y-a-eu-une-destitution-forcee-qui-ressemble-etrangement-a-un-coup-d-etat_6019616_3232.html

21 https://declassifieduk.org/revealed-the-uk-supported-the-coup-in-bolivia-to-gain-access-to-its-white-gold/

22 https://www.nytimes.com/2020/06/07/world/americas/bolivia-election-evo-morales.html

23 « Bientôt des mines de lithium en France ? Baraba Pompili ne l'exclut pas » Télérama, 3/12/21

24 voir Brest contre le One Ocean Summit, dans l'édition numéro #324 de Lundi Matin 31/01/22

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