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Billet de blog 21 octobre 2023

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Que va-t-il se passer à la COP28 ?

Pour que la COP puisse être un échec, les pétroliers s'efforcent de séparer la production de pétrole de ses émissions de gaz à effet de serre. Comment ? À travers deux méthodes : un mécanisme financier (la compensation) et un mécanisme technologique (la capture).

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Dubaï n'est pas simplement le refuge pour les narco-trafiquants recherchés par Interpol, ni pour les influenceurs débiles qui influencent des débiles influençables. C'est aussi le lieu où se tiendra la prochaine COP, dans un mois.

Elle sera présidée par le Sultan al Jaber, PDG de l'ADNOC (3,3 millions de barils par jour). C'est un peu comme si le patron de Philip Morris présidait un congrès mondial de lutte contre le tabagisme. Chose amusante, le journal anglais The Guardian, en voulant interroger par mail les organisateurs de la COP sur les risques de conflits d'intérêts, a reçu un courriel signé de la compagnie pétrolière elle-même, hébergée sur le même serveur informatique que la future conférence.

On ne peut pas prédire ce qu'il se passera à cette COP, mais certains indices dans les mois qui la précèdent peuvent nous aider à esquisser la teneur des débats et éventuellement leurs issues. Deux thèmes ressortent : l'accélération de la compensation via l'achat de forêts (mécanisme financier) et la mise en place de mécanismes de capture et stockage du carbone (mécanisme technologique).

La compensation ou la privatisation du monde

Cet été, l'État du Liberia a conclu un accord visant à vendre 10 % de ses forêts, soit un million d'hectares, à une société émiratie nommée Blue Carbon LLC et détenue par un membre de la famille royale, le Sheikh Ahmed Dalmook al Maktoum. Blue Carbon serait aussi en pourparlers avec la Zambie et la Tanzanie. Autant dire que les pétromonarchies ne se contentent plus d'acheter des clubs et des joueurs de football, elles visent désormais les forêts. Le Monde, qui a pu consulter l'accord confidentiel, parle d'un "transfert de droits à polluer". Un citoyen des Émirats pollue 94 fois plus qu'un habitant du Liberia. Un tiers de la population du Liberia vit en zone forestière. Pour l'heure, on ne sait pas bien quel serait le statut des milliers d'habitants vivant sur ce million d'hectares, citoyens d'un État dont le foncier appartient à un autre.

Le Gabon, le Ghana, le Zimbabwe "développent des projets", c'est-à-dire qu'ils vendent des morceaux entiers de leurs territoires. La Suisse se positionne au Sénégal, au Malawi et au Ghana, Singapour au Maroc, et le Japon en Tunisie et au Sénégal, tandis que deux sociétés chinoises viennent d'acheter 5 % du territoire de la Zambie. Pour les Africains, l'argument est que cela permet d'enrayer la déforestation et de récolter de l'argent via les mécanismes de compensation carbone. Quant aux pétromonarchies, elles peuvent ainsi décorréler leur production de pétrole des émissions, celles-ci étant soi-disant compensées. Le problème c'est que cela fait vingt ans que les études montrent que la compensation est inefficace.

Capture et stockage, l'optimisme technologique

L'autre solution miracle est celle de la capture et du stockage du carbone. Pour les retardataires : il s'agit de récupérer les émissions de gaz à effet de serre, de les liquéfier, pour enfin les réinjecter dans des couches géologiques (par exemple les poches d'hydrocarbures vides). Les projets se multiplient partout dans le monde, autant que les études scientifiques annonçant que ça ne marche pas (voir "Mettre le carbone sous le tapis : la séquestration et ses promesses" dans le journal La Brèche n°5 de novembre, actuellement en kiosque). La France, par l'intermédiaire du Ministre de l'Industrie, a annoncé vouloir mettre un coup d'accélérateur à ces technologies. Et l'on commence à poser des "carboducs", ni pipeline, ni gazoduc, pour récupérer les émanations des cimenteries, raffineries, et celles de la sidérurgie, de Fos-sur-mer et Dunkerque, pour les envoyer en Mer du Nord.

Ces deux mécanismes, financier avec la compensation et technologique avec la capture, permettent aux pétroliers de décorréler la production de ses conséquences. Les déclarations du Sultan al Jaber lors des diverses réunions préparatoires de la COP allaient dans ce sens. La demande en pétrole ne cesse de croître, et il n'y a aucune raison de ne pas y répondre. Le Sultan confirme ce que dit l'historien Jean-Baptiste Fressoz (Pour une histoire désorientée de l'énergie) : il n'y aura pas de transition, seulement des accumulations de sources d'énergie.

Ce tour de passe-passe s'est déjà produit il y a trois ans, quand les pétroliers ont réussi à influencer la Commission Européenne en la dirigeant vers le concept de "neutralité carbone" plutôt que vers celui d'une baisse de la production. L'ONG Corporate Europe avait alors montré que Repsol, Eni, Total, Shell, Equinor, et compagnie avaient réussi à diriger, via des promesses de compensation et de capture et stockage, la Commission vers l'idée d'un "zéro net".

Les journalistes adorent le récit fantasmatique de la cinquième colonne climato-sceptique, qui se cantonne en réalité à trois posts Twitter et aux livres de François Gervais que personne ne lit. La réalité est tout autre. L'accent sera mis sur la "transition", qui consiste simplement à augmenter les capacités en renouvelables en plus d'une production de cent millions de barils par jour, et les promesses des mécanismes compensatoires et de capture qui permettront encore de retarder l'action de quelques années.

Il y a sept ans, au moment de la COP21, sortait le film Les Dépossédés, sur les marchés carbone et la compensation biodiversité.

Le film est disponible pour 12 euros.

Pour commander un DVD, envoyer un mail à lyon(at)synaps-audiovisuel.fr

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