Xavier Tytelman, spécialiste des questions aéronautiques civiles et militaires et analyste aiguisé de la guerre en Ukraine, nous propose une très intéressante vidéo d'entretien d'une petite trentaine de minutes (https://www.youtube.com/watch?v=iAKpBZxdIDg) avec le général Yakovleff (qui, ancien haut responsable de l'OTAN, est chargé de cours à Sciences Po) qu'il vaut toujours la peine d'écouter sans pour autant qu'il faille accepter les postulats géopolitiques qui sous-tendent ses analyses : j'entends par là son positionnement de fond plus ou moins explicité de défense de l'Occident, positionnement qui, au demeurant, est plus nuancé que ce que j'en dis là.
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Dans cet entretien la Chine est au centre de ses analyses mais elle est comprise à partir de la reconfiguration de l'ordre mondial que la guerre en Ukraine a brutalement accélérée. De ce fait il est largement question aussi de l'Ukraine, de la Russie, de Taïwan et, évidemment, des Etats-Unis et de l'Europe, un peu des BRICS (Inde, Brésil, Afrique du Sud...).
On pourra méditer, entre autres choses importantes, ce que ce général voit comme la reformulation, à l'occasion de la guerre en Ukraine, par les Etats-Unis de son hégémonie actuelle dans l'aire même du bloc occidental: une reformulation dans le sens d'un paradoxal mimétisme avec le triste modèle des rapports internationaux que la Russie poutinienne incarne aujourd'hui à savoir celui qui s'organise autour du concept de "hiérarchie des nations", lequel, poussé à l'extrême, justifie les guerres de destruction massive dans cette aire, non plus de celui d'égalité des nations. Celui qui prévalait, ces derniers temps. Cette mutation est, selon lui, la conséquence de l'ascendant radical que l'aventurisme de Poutine a permis aux Etats-Unis de prendre, par l'importance de l'effort de guerre qu'il consent à l'Ukraine, vis-à-vis de ses alliés européens dont il saute aux yeux que leur effort de guerre est, par comparaison, bien dérisoire.
Le général Yakovleff, il faut le préciser, ne se leurre pas sur ce qu'étaient les relations géopolitiques antérieures dans le bloc occidental : il distingue bien les rapports de puissance dominante, dans toute la force de ces mots, que les Etats-Unis ont peu ou prou toujours exercé dans ce bloc, avec diverses modulations (on peut penser à leur affaiblissement international suite à leur défaite au Vietnam), et ce qui était cependant leur stratégie d'établissement d'une coalition de nations formellement égales. Nous entrerions donc dans l'ère du basculement des Etats-Unis vers l'affirmation, nourrie par l'aubaine de la guerre russe en Ukraine et désormais dépourvue de cet initial formalisme égalitaire, d'une verticalité de puissance exacerbée aux dépens des Etats occidentaux, en premier lieu d'Europe. Ce basculement inaugurerait ainsi une bipolarité conflictuelle/convergente avec la Chine, qui doit être sérieusement prise en compte par tous ceux et celles qui ne s'accommodent pas de ce qu'elle signifierait comme possible fermeture de tout horizon émancipateur des peuples.
Et cela d'autant plus que, par nécessité absolue imposée par la barbarie russe, on ne peut échapper au soutien à la volonté de la résistance ukrainienne de s'approvisionner en armes chez les seuls qui peuvent y répondre ... les Etats-Unis. Etant entendu que, sans ces fournitures d'armes, la victoire serait inéluctablement acquise pour la Russie impérialiste néofasciste, dont la première victime serait le vaillant peuple ukrainien, avec toutes les répliques de guerre internationales qui s'ensuivraient de par ce qui serait interprété par le vainqueur comme aussi la défaite en rase campagne des "diaboliques" Etats occidentaux. Sans parler de la fenêtre d'opportunité que la défaite en Ukraine ouvrirait à la Chine et qui pourrait l'amener à se défaire de ce qui l'empêche aujourd'hui, comme le rappelle le général Yakovleff, de se placer totalement aux côtés de la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine : le constat qu'elle aurait beaucoup à perdre, et pas seulement militairement, à se confronter en l'état aux Etats-Unis, son principal, donc vital, partenaire commercial, par ailleurs aujourd'hui, comme on vient de le voir, en pleine confiance dans sa force.
Tout ceci, qui est d'une redoutable complexité, représente, face à ces redéploiements des stratégies des puissances mondiales, un terrible défi, lancé par la Russie et relevé par les Etats-Unis, avec une Chine en embuscade, particulièrement à l'intelligence percluse et mitée d'une gauche, pour une bonne part, totalement distanciée d'un peuple en lutte pour sa souveraineté (qui n'est pas un gros mot !) et recroquevillée sur des simplismes analytiques inopérants pour toute logique d'émancipation populaire, car alignés sur le camp de l'agresseur impérialiste de ce peuple.