Une hécatombe. Plus de 3000 morts en Méditerranée depuis le début de l'année, plus de 30 000 aux frontières de l'Europe depuis 2000. Il faudrait y ajouter, dans les mêmes proportions, ceux et celles qui disparaissent avant même la traversée. Et puis, de plus en plus nombreux, les mortEs à l'intérieur de l'Europe dont témoignent les 71 qui ont été retrouvéEs dans un camion frigorifique en Autriche, les 11 mortEs à Calais depuis le 1er juin. Autant de noms et de visages, de vies, brisées, d'histoires à la fois collectives et individuelles réduites à de macabres statistiques...
Et puis, lui. Petite boule ramassée, immobile, polo rouge, pantalon bleu, à la lisière, tragique frontière, de la mer et de la plage. Un policier turc l'observe. Choc des photos, voilà Aylan, eh oui, l'image prend un nom, son nom... Il est mort. Lui aussi. Mais désormais on le connaît. Lui. Horrible gloire post mortem par accès au statut de métaphore (métonymie ou synecdoque disputeront les savantasses depuis leur tour d'ivoire) de tous les autres, ces anonymes, ces sans-noms qui auraient tant désiré accéder à l'autre statut, de sans-papiers. Vital, malgré tout. Malgré les souffrances induites !
Aylan donc était nécessaire pour que les consciences confites dans l'indifférence ou même l'hostilité, à résonance sarko-vallso-mariniste, envers les "envahisseurs" s'éveillent enfin à l'humanité (on n'oublie pas les magnifiques exceptions d'emblée à pied d'oeuvre solidaire dans les quartiers de Paris et ailleurs) ... Comme pour Charlie pourtant, l'éphémère et fragile compassionnel nous guette ! Nous fonctionnons, trop nombreux, à l'émotionnel médiatique qui a quelque chose à voir avec l'écume de cette mer qui a fait office de linceul du petit. Vagues qui avancent, vagues qui reculent, reculent, reculent... Ces vagues ... ou plutôt cette écume est aussi métaphore, de l'indignation, opportuniste rétropédalante, des puissants de ce monde lesquels, à l'image de "nos" Hollande et Valls, savent pleurer sur "nos frères et soeurs les migrants" tandis que les matraques de leurs nervis virevoltent de Paris ou Calais à la frontière hongroise et dans tant coins de cette minable Europe. Cette "forteresse" enrageant qu'ils/elles lui imposent, mais à quel prix monstrueux, d'être passoire ...
Ne les laissons pas séquestrer nos émotions, nous accompagner dans notre solidarité avec les nôtres dont nous défendons, contre eux, qu'ils puissent circuler et vivre libres (non aux quotas !) parmi nous, parmi les "nôtres". Puisqu'ils ne peuvent le faire dans ce "chez eux" que la géo-éco-politique meurtrière desdits puissants a transformé en enfer ! Notre émotion envers Aylan et ceux et celles, camarades tragiques, qu'il fait advenir, durant quelques jours, à notre humanité mérite mieux que notre acceptation, toute irritée qu'elle soit, des états d'âme des salauds hypocrites : ce mieux a un nom, politisation, celle de notre ressenti, pour autant qu'elle s'articule, radicale et durable, à la contestation de leurs crapuleries ! Seule façon qu'Aylan cesse de métaphoriser et devienne dans notre souvenir le petit garçon qui méritait de vivre... Comme les autres, grâce à lui, plus tout à fait anonymes...
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