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Billet de blog 7 avril 2022

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De la déraison de « voter utile » pour Mélenchon au premier tour…

Mélenchon reprend l’argument qui, de proche en proche, a amené la gauche mitterrandienne à dévaluer toute idée de gauche, l’argument du « vote utile » qui a fait la preuve qu’il revient à donner crédit politique au pire. Comment croire que par ce vote il soit possible de s’engager dans le chemin inverse, celui de la reconstitution d’une gauche retrouvant les moyens d’une politique du meilleur ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je m’étais promis de ne pas donner mon avis sur la campagne menée par Jean-Luc Mélenchon et ses soutiens dans la mesure où elle me semblait rester dans les clous d’une logique politique, aussi discutable qu’elle puisse m’apparaître, laissant à chacun.e suffisamment de libre-arbitre politique pour faire le choix jugé le plus légitime. Or, à l’approche d’un premier tour s’annonçant très incertain quant à la qualification pour le second du candidat insoumis, celui-ci comme ses partisans, ont basculé vers une injonction à voter « utile » en postulant que tout autre vote de gauche que celui se portant sur ledit insoumis serait non seulement inutile mais nocif, nuisible, car, en prenant le risque d’éliminer celui-ci, il porterait la responsabilité de favoriser un catastrophique tête-à-tête au second tour entre la droite macronienne s’extrémisant à droite et une extrême droite fascisante toujours tentée d’en rajouter sur son extrémisme ! En somme les « inutiles » de gauche refusant de se désister pour éviter la funeste alternative de « la peste ou le choléra » sont crucifiés pour se prêter, dans une inconscience sidérante, à être les idiots… utiles de l’extrême droitisation en marche accélérée du champ politique, pire, de son cœur institutionnel, lui-même, exécutif et législatif.

C’est cette argumentation que je voudrais ici analyser et contester en ce que, dans l’excès de ce qu’elle postule, elle en vient à se retourner contre elle-même si l’on veut bien questionner les fondements sur lesquels elle repose. Fondements qui, de mon point de vue, permettent de mettre au jour ce qui, dans la logique revendiquée de l’utilité placée univoquement du côté de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, se caractérise par des biais finalement grossiers, tellement grossiers et, par là, parasitant la légitimité que cette candidature soit d’évidence l’utile, qu’ils en viennent à être refoulés ou occultés chez les laudateurs de l’Insoumis.

De l’usage passé et de l’usure du vote utile

Ainsi comment oublier que ce leitmotiv de l’utilité d’une candidature contre toute autre candidature est ce qui a été utilisé, usé jusqu’à plus soif, par la gauche systémique qui depuis 1983 nous a amenés dans le mur de cette déliquescence de toute idée de gauche que nous connaissons aujourd’hui et que la « force » de la dynamique mélenchonienne peine tellement à contrecarrer qu’elle en vient à réclamer paradoxalement pour elle ce vote utile. Signant ainsi une circularité problématique qui enserre l’insoumission politique dans ce avec quoi elle dit vouloir rompre, à savoir « le système » et ses trucs électoralistes dans lesquels s’est fourvoyée la gauche « de gouvernement » … dont, au demeurant, Jean-Luc Mélenchon a longtemps été un acteur, à défaut d’être majeur, important.

Rappelez-vous, pour ceux et celles qui ont connu cette période de l’avènement de la gauche au pouvoir en 1981 : après 23 longues, si longues années, de pouvoir de la droite, la plus longue période de continuité politique en France depuis l’Ancien Régime, c’est très tôt que l’hégémonisme à marche forcée, jouant à plein des ressorts de la Ve République, de la gauche « à vocation majoritaire » (incluant un PC bougon mais domestiqué) a réussi à laminer la gauche de rupture au nom précisément du vote utile, sous-tendu par l’appel à éviter « la politique du pire », ou au nom de sa variante "la politique du moindre mal". Moyen que s’est donné cette gauche pour faire accepter que le « meilleur » ayant été assez promptement renvoyé aux calendes grecques pour cause de contraintes incontournables d’un réel que l’on cessa de désigner comme capitaliste, il fallait se contenter d’un mieux minimal. Un mieux qui, à partir de la magnifique abolition de la peine de mort, nous a amenés, de reniements en reniements (entre autres en faveur de l’Europe libérale prédatrice des droits sociaux), à l’affirmation toujours plus capitaliste d’une gauche mutant social-libérale très dans l’air du temps des Reagan, Thatcher, puis Blair. Un mieux qui, devenu avec le grand « privatiseur » de gauche, Lionel Jospin, vecteur du pire permettant que le candidat fasciste fasse sa percée électorale, a débouché sur cette triste séquence hollando-vallsiste, reconduisant sans barguigner les méfaits antisociaux mais aussi liberticides du pire sarkozien et servant de rampe de lancement de la candidature de cet Emmanuel Macron, ni de gauche ni de droite mais structurellement libéral s’extrême-droitisant. Quand donc, une fois résumé ce parcours vers l’abîme de la gauche de gouvernement, l’on constate aujourd’hui que Jean-Luc Mélenchon reprend l’argument qui a permis à cette gauche de neutraliser l'idée même d'alternative contestatrice et à dévaluer exponentiellement toute idée de gauche, autrement dit l’argument du « vote utile pour éviter le pire » qui a fait la preuve qu’il accélère la marche vers le pire, comment croire que cette voie utilitariste puisse permettre de s’engager dans le chemin inverse, celui de la reconstitution d’une gauche de rupture retrouvant les moyens d’une politique du meilleur ? Je crois que, à défaut que soit élucidée l’aporie politique, que je relève, d’un vote utile, jusqu’ici outil systémique de la continuité institutionnelle, appelé aujourd’hui, par LFI, à devenir celui de la rupture institutionnelle (cap sur la VIe République), il est nécessaire d’interroger plus au fond l’orientation de l’insoumission qui s’autorise une telle acrobatie politique s’exposant au risque d’être perçue politicienne.

Du vote utile et de l’unité à gauche aujourd’hui

Prenons, par exemple, ce qui, dans cet appel au vote utile proMélenchon, a trait à la question de l’unité : rappelez-vous, là aussi mais c’est tout frais ; quand la Primaire Populaire a cherché frauduleusement à lancer la candidature de Christiane Taubira en tentant de piéger dans son processus Jean-Luc Mélenchon pour le rendre dépendant d’une votation, pilotée par un obscur appareil de circonstance, de légitimation d’un candidat unique de la gauche en décrochant l’Insoumis de son propre processus autocentré et totalement centripète de l‘Union Populaire, celui-ci a, à mon avis à juste titre, dénoncé la manœuvre politicienne de construction d’une candidature du vote utile unifiant le maximum des gauches, y compris libérales, afin … d’éviter le pire que serait l’absence de « la » gauche au second tour. Or, d’une certaine façon, aujourd’hui, une fois qu’a été réglé son compte à l’esbrouffe taubiriane, la campagne de Jean-Luc Mélenchon en vient à récupérer à son profit ce qu’il a refusé à la Primaire Populaire, qui se plaçait dans la même logique d’instrumentalisation politicienne du « désir de gauche », dont nous pouvons voir la filiation avec les désastreuses décennies miterrando-social-libérales, celle du « vote utile » par élimination des options de gauche résultant minoritaires dans ce vote primaire.

Entendons-nous bien, ce qui rend problématique l’appel au vote utile, ce n’est pas l’appel en lui-même : c’est qu’il vienne à apparaître dans l’évitement de ce qui aurait pu l’amener à être légitime, en l’occurrence, la construction d’une logique unitaire, discutée à ciel ouvert entre partis mais aussi dans des comités démocratiques de campagne, sans attendre l’urgence des derniers instants de ladite campagne, et cherchant sincèrement à rassembler au maximum, en prenant le temps nécessaire pour ce faire, autour d’une candidature commune afin de favoriser une dynamique populaire se traduisant par la présence au second tour d’un candidat de gauche représentatif de cette dynamique populaire-unitaire ! Ce schéma n’aurait pas été inéluctablement voué à déboucher sur une candidature unique, il est même fort probable, sinon inévitable, qu’il aurait buté sur nombre d’obstacles programmatiques ou d’action et, in fine, échoué. A ceci près qu’il aurait pu servir à politiser publiquement sur les convergences et les divergences et acter une impossibilité mais pacifiée et raisonnée d’unité pouvant, à défaut de plus et de mieux, préparer une convergence forte de second tour, renforcée par le pluralisme maintenu du premier tour. Et cela en écartant qu’une éventuelle élimination du premier tour soit imputable à tel ou tel autre que soi. Car dans la situation d’urgence qui justifie la frénésie des hérauts du « vote utile pour Mélenchon », ce que ceux-ci éludent est la responsabilité qu’a prise en pleine conscience le Chef insoumis de refuser toute démarche unitaire négociée qui l’aurait obligé à faire des concessions programmatiques, et plus largement politiques, à ses possibles partenaires de la rupture, essentiellement de la gauche anticapitaliste, voire de l’écologie au syndrome rupturiste peu assuré. Le mélenchonisme, cela saute aux yeux, confirme une nouvelle fois qu’il n’est nullement enclin à faire les concessions nécessaires pour élargir son assise électorale ; le modus operandi du Chef insoumis, après qu’il eut tiré le bilan de l’échec d’un Front de Gauche corsetant sa propension au cavalier seul, prend toute sa signification à partir de ce qu’est organisationnellement une LFI ayant permis au leader insoumis de se défaire même de toute dépendance de ce qui fut la matrice de son décollage électoral, le Parti de Gauche.

Verticalisme LFI et vote utile

Suivons ce que le sociologue Manuel Cervera-Marzal a observé à ce propos dans son enquête très fouillée sur LFI, Le Populisme de gauche (sociologie de la France insoumise), La Découverte, septembre 2021 :

« Le refus de laisser s’exprimer les désaccords est assumé. La France insoumise n’a pas vocation à être pluraliste. Ce mot est d’ailleurs absent de la charte et des principes de la FI, ses deux documents fondateurs. […]

« Dans les statuts, déposés à la sous-préfecture de Palaiseau fin 2016, l’association France insoumise est composée d’un seul organe : le bureau, dépositaire des pleins pouvoirs. En vertu de l’article 8, « le Bureau est investi des pouvoirs les plus étendus en ce qui concerne le fonctionnement de l’association et l’administration de son patrimoine. Il fait et autorise tous actes et opérations permis à l’Association ». Le bureau compte trois membres : Manuel Bompard, la trésorière Marie-Pierre Oprandi et le responsable du service d’ordre Benoît Schneckenburger. Les 500 000 personnes qui croient être membres de la France insoumise parce qu’elles ont cliqué sur internet ne le sont pas officiellement.

Chaque année, une « convention nationale » réunit, le temps d’un week-end, des centaines d’insoumis afin de définir les grandes orientations de l’année suivante. […]

Ces conventions constituent l’équivalent des « congrès » d’un parti politique. C’est le moment où, en théorie, se décide l’avenir du mouvement. En pratique, cependant, l’ordre du jour est fixé par la direction sans possibilité de le modifier. La synthèse produite à partir des contributions individuelles est réalisée par des personnes non identifiées, qui procèdent à des arbitrages dont les critères ne sont explicités nulle part et, surtout, qui écartent de leur rapport final de nombreuses demandes de démocratisation du mouvement. »

Des personnes ayant participé à ces conventions, interrogées par le sociologue, n’hésitent pas à parler « d’un « simulacre de délibération », un « show de rocks stars » et une « grand-messe à l’américaine ». […]

A la fin de la convention, un seul texte est soumis au vote des insoumis, sans qu’il soit possible de l’amender ou de proposer un texte alternatif. Il a été rédigé en amont par la direction, qui le fait avaliser en l’état. Le résultat final est toujours plébiscitaire. Mais d’une convention à l’autre, le nombre de votants diminue. Les militants finissent par intégrer que leur vote n’a pas d’utilité. […]

« Assez de bavardages, assez de discussions. Plus d’actions ! Pas de bla-bla, du combat ! ». Cette phrase, prononcée par Mélenchon, le 28 août 2017 en conclusion des Amphis d’été de Marseille, résume la philosophie de son mouvement. Quand on compare la structure insoumise à celle des partis « traditionnels », on est frappé par l’atrophie des instances de réflexion, de débat et d’élaboration. […]

L’architecture organisationnelle de la France insoumise est conçue pour faire obstacle au pluralisme et à la démocratie interne. Mélenchon l’assume. Son autoritarisme est un mal nécessaire, un gage d’efficacité. De manière symptomatique, les groupes locaux ont été baptisés « groupes d’appui » puis « groupe d’action ». Les militants sont là pour agir, pas pour réfléchir. Pour appuyer, pas pour décider. « Nous existons uniquement par et pour l’action » affirme Mélenchon. […]

Mélenchon se réserve le poste d’intellectuel et de stratège. […] Il n’existe autour de lui aucun espace de contradiction. […]

La France insoumise révèle sa fragilité, car elle s’apparente à une pyramide renversée en équilibre sur sa pointe. »

Ailleurs, le sociologue fait une remarque importante qui ajoute du sens à ce qui se dégage de ce que je viens de reproduire de son analyse du fonctionnement interne de LFI : « Une fois le scrutin [présidentiel] passé, les militants – j’entends par là les personnes qui participent aux réunions et aux activités d’un groupe d’action – retournent vaquer à leurs occupations personnelles. Les dirigeants s’en satisfont. Si les militants commencent à se lier entre eux, ils risquent de se liguer contre le sommet ou de verser dans des luttes de factions. Certains ont reproché à la France insoumise d’avoir échoué à s’implanter localement. C’est une erreur d’analyse : la direction n’a jamais souhaité cette implantation. Et parmi la base, seuls les militants les plus chevronnés conçoivent leur engagement insoumis sur le temps long. Les autres, c’est-à-dire les novices et les intermittents du militantisme, rejoignent la France insoumise pour participer à une campagne, pas davantage. »

Beaucoup de ceux et celles qui se mobilisent pour inciter au vote utile pour Jean-Luc Mélenchon gagneraient à lire cette enquête reposant sur une information très fournie : ils découvriraient peut-être ce que cette campagne de l'utilité politique inscrite dans la campagne électorale en solo de l’Insoumis recèle comme arrière-plan discutable, et même inquiétant, fragilisant la rationalité revendiquée de leur discours enthousiaste et, disons-le, en fait irréfléchi sur la dynamique populaire et démocratique de rupture avec l’ordre existant que « nécessairement » un basculement vers un tel vote utile enclencherait. Il se trouve que le fonctionnement interne, totalement pyramidal et présidentialiste de LFI, n’augure en aucune façon qu’en lui-même un succès électoral, qu’il soit de premier tour comme de second tour, ouvre sur ce que le programme promet. Le pari qui est fait, car c’est un pari et des plus hasardeux qui est fait, sur la portée d’un éventuel processus massif de votes utiles en faveur de Jean-Luc Mélenchon espérant enclencher « la gagne », fait très naïvement l’impasse sur ce que la culture organisationnelle et politique de LFI démontre être antidémocratique … soumise, en hyperverticalité, à la volonté d’un Chef indiscuté. Un Chef s’émancipant de tout contrôle de la base en réduisant celle-ci à un activisme sans pouvoir sur le pouvoir. Par où accorder du crédit à un programme qui se donne à lire alléchant quant à sa capacité à rompre avec l’antidémocratie sociale et politique existante participe en fait d’un pur acte de foi négligeant cet aspect essentiel qui fait qu’un tel programme est le programme d’un homme et de son cercle personnel, délié de tout contrôle organique de mandants reconnus comme source de pouvoir sur le devenir dudit programme. Et négligeant donc que c’est seulement sur le bon vouloir d’un homme et de ses proches que repose le pouvoir de faire que ce programme soit effectif, retouché, voire répudié, comme ont fait François Mitterrand et ceux et celles qui se sont inscrits dans sa lignée jusqu’à son écroulement qui se vérifie dans le calvaire mille fois mérité que vit, dans cette campagne électorale, l’héritière de ce courant, Anne Hidalgo ! Comme a fait en 2015 un insoumis grec du nom de Tsipras dont personne ne pouvait imaginer que, quelques mois seulement après sa victoire électorale, il se renierait et renierait un programme pourtant établi autrement plus démocratiquement que celui de LFI !

Du populisme assumé mâtiné d’un mitterrandisme opportunément refoulé

Concluons, en précisant sur ce dernier point que, par-delà le signe de distinction populiste de gauche que LFI partage, malgré quelques spécificités, avec un Podemos et quelques autres …comme Syriza, qui l’éloignerait de la façon à l'ancienne de faire de la politique d’un François Mitterrand, il persiste chez Jean-Luc Mélenchon quelque chose d’essentiel du mitterrandisme : dans le cadre maintenu intouchable d’une admiration sans borne pour cette figure historique, dépourvue de toute critique envers elle alors qu’elle est la figure fondatrice du social-libéralisme honni par le Chef insoumis (1), celui-ci fait plus que réactualiser son chantage au vote utile. Il récupère plus foncièrement 1/ son bonapartisme, lui-même hérité d’un De Gaulle dont il avait pourtant dénoncé, avant d’accéder au pouvoir, ce que sa Ve République représentait comme coup d’Etat permanent, et 2/ ce que ce bonapartisme charrie de surplomb sur tout le champ politique. Surplomb qui est la la clé de voûte même de ce qui régit le fonctionnement interne de LFI comme il avait régi le fonctionnement du PS issu du Congrès d’Epinay et qui finit par régir la politique gouvernementale mitterrandienne et post-mitterrandienne. Le refus de prendre en considération qu’aucun programme électoral n’a de sens s’il n’est articulé aux garanties démocratiques qu’il sera bien appliqué est au cœur du faux raisonnement poussant au vote utile de premier tour pour Jean-Luc Mélenchon  : garanties que, au vu du déficit démocratique qui caractérise en interne LFI, seul peut aider à sauver le maintien de forts courants politiques indépendants du courant hégémoniste travaillant à se les rallier ou, à défaut, à les crucifier comme inutiles, dangereux, nocifs, nuisibles, faisant le jeu des droites… Dans l’oubli que la droitisation de la gauche, facteur essentiel de renforcement des droites, lui vient, d’une part, toujours de l’intérieur pour finir par se concrétiser en extériorité vis-à-vis de son être de gauche et, d’autre part, de son rapport instrumental et verticaliste au bon peuple militant ou peuple tout court, c’est-à-dire dans l’extension la plus large du terme, qu’il contribue à démobiliser après lui avoir insufflé l’espoir d’un « changement historique ».  

Voilà ce qui me fera voter pour l’anticapitalisme de Philippe Poutou et du NPA dont l’utilité politique anti-institutionnelle n’est en aucune façon inférieure à l’utilité politique institutionnaliste de Jean-Luc Mélenchon, les deux partageant à égalité de n’avoir pas pu contribuer à bloquer l’offensive capitaliste. Le premier ayant l’avantage de le reconnaître et d’inviter en conséquence à construire, y compris avec nombre de militant.e.s et de sympathisant.e.s de LFI et d'autres encore que nous côtoyons dans les luttes, l’outil organisationnel …utile pour ce faire que le NPA n’a pas pu être et que LFI, en l’état, ne peut en aucune façon être. Avantage aussi que son appel à la co-construction d’un nouveau mouvement anticapitaliste puisse contribuer à poser les prémices de ce qui pourrait amener à sortir de l’impuissance électoraliste et institutionnaliste inscrite dans l’appel frénétiquement manœuvrier de dernière minute à « voter utile » et à prévenir toute récidive dans une énième dérive droitière, cette fois-ci d’une gauche insoumise « de gouvernement », se soumettant à un énième homme providentiel, par où les droites les plus dures sortent toujours gagnantes et la population grande perdante.

Antoine (Montpellier)

(1) Lors de l’émission politique Elysée 22 du 31 mars sur la 2, la journaliste Léa Salamé ouvre l’entrevue avec Jean-Luc Mélenchon en invoquant François Mitterrand (https://www.youtube.com/watch?v=mcCj7JkiWzs) :

Léa Salamé :   François Mitterrand que vous admirez,  il dirait quoi de cette campagne, Jean-Luc Mélenchon ? 

Jean-Luc Mélenchon :   Je n’en sais rien, je n’ai pas de  communication avec les forces de l’esprit.

LS : Mais à votre avis, le connaissant, qu’elle est sans enjeu, quelle n’est pas très intéressante, il dirait comme vous qu’elle est passionnante ?

JLM : Il me dirait : n’oublie pas ton camp. Demain c’est la trêve hivernale, des milliers de gens vont se retrouver à la rue, restez fidèles, marchez votre chemin avec les vôtres.

On notera tout d’abord qu’il est rare que les journalistes interrogent le candidat insoumis en faisant référence à François Mitterrand. Tout comme Jean-Luc Mélenchon évite de lui-même de confirmer l’admiration qu’il voue à celui-ci : quelque peu gêné d’avoir à déroger à cette règle de discrétion d’opportunité sur un personnage dont on remarque qu’il ne dément pas l’admiration qu’il lui porte, il s’en sort par une pirouette qui en dit cependant suffisamment long sur le rapport inquiétant qu’il entretient toujours en son for intérieur avec ledit personnage; inquiétant car les mots qu’il prête à son mentor, ceux d’une fidélité aux classes populaires, contredisent totalement la réalité de la politique qu’il a menée, à partir de 1983, avec le tournant dit de la rigueur, autrement dit de l’austérité capitaliste, qui a durement pénalisé et démoralisé durablement lesdites classes populaires, entre autres raisons, par le choix libéral mené, sous son égide présidentielle, par Pierre Bérégovoy, le Ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, d’une politique du « franc fort » et de la « désindexation des salaires sur les prix ». Nos promoteurs du vote utile en faveur de Jean-Luc Mélenchon ne trouvent-ils rien à redire sur « l’utilité » qu’a vue celui-ci de travestir la signification politique de celui qui a été le fossoyeur de toute idée de rupture anticapitaliste ? Ne trouvent-ils aucune « utilité » à interroger, pour le présent de cette campagne, le fait que, par cette dénaturation politique de ce que fut le mitterandisme, Jean-Luc Mélenchon, persiste à refuser de tirer le bilan de celui-ci, ce qui expliquerait qu’il évite de lui-même, par pur électoralisme, d’évoquer le nom même de François Mitterrand ?

Il vaut la peine de rappeler à ce sujet qu’avant de se raviser et de se ranger derrière lui, Danièle Mitterrand, elle, avait senti le décrochage de son époux vis-à-vis de ses promesses électorales : « Ce qu'elle a longtemps reproché à François Mitterrand, c'est autre chose, ne pas avoir été assez socialiste : "Je ne comprends pas, François, puisque tu as le pouvoir, pourquoi ton gouvernement ne prend-il pas telle ou telle décision..." Il répondait : "Je n'ai pas le pouvoir. La France, comme le reste du monde, est assujettie à une dictature financière qui gère tout, décide de tout." Et il déplorait que les militants du milieu associatif si chers à sa femme, au lieu de le soutenir, "le poignardent dans le dos". » (https://www.nouvelobs.com/politique/20111121.OBS4967/danielle-mitterrand-l-intransigeante.html)

PS (7 avril) : Deux précisions.

La première concerne l'idée souvent avancée par les tenants du vote utile : permettre à Mélenchon de faire le plein des voix en appelant de fait à siphonner celles des autres candidats de gauche si ceux-ci ne se désistent pas pour lui dès le premier tour, aurait le double avantage suivant : l'élimination de l'extrême droite et du risque qu'elle arrive au pouvoir. Ce qui en effet ne serait pas rien; et, ce qui n'est pas rien non plus, l'ouverture de la possibilité que Mélenchon soit élu. Toutes choses que la politique hégémoniste du développement autocentré de la campagne de celui-ci a, comme je l'ai expliqué, rendues difficilement réalisables malgré l'appel tétanisant de dernière minute à ce que l'on se rallie en masse à la candidature insoumise. Mais, deuxième précision : croire, comme font quelques anticapitalistes se décidant à être votants utiles, que mécaniquement une victoire de Mélenchon au second tour laisserait toute possibilité qu'un mouvement social enthousiasmé se lance dans une mobilisation pour ses revendications sans concession aucune à toute tentation mélenchoniste d'en rabattre sur son programme et de rejouer la politique du reniement très mitterrandienne relève d'une politique de l'autruche. En cela que l'idée d'un remake des grèves de 1936 forçant la main d'un gouvernement de Front Populaire timoré bute sur un double écueil : le poids de l'échec cumulé des précédentes mobilisations sous le sarkozysme, le hollando-vallsisme et maintenant le macronisme et la crise, concomitante à cet échec, des organisations de gauche pouvant aider à la relance de ces mobilisations. Deux écueils dont, au demeurant, LFI porte une part de responsabilité, de par ses choix, organisationnel et stratégique, axés totalement à surmajorer les logiques institutionnelles au détriment des logiques extra-institutionnelles que l'hommage mélenchonien aux luttes ne saurait masquer. Logique politique qui a beaucoup à voir avec la coupure théorisée et mise en pratique en interne de LFI elle-même permettant de dégager un petit noyau dirigeant de toute pression de la rue et des lieux de travail, coupure dont on peut craindre qu'une arrivée au pouvoir favorise la tentation de faire jouer tous les ressorts de l'Etat pour contenir toute dynamique d'autonomisation du social et  la dynamique politique antiétatique qu'elle pourrait amorcer. Raison pour laquelle il faut à tout prix échapper aux illusions du ralliement à l'aveugle à une candidature mélenchonienne qui aurait pour effet de renforcer l'emprise démobilisatrice du système sur les résistances populaires. Ce qui n'exclut pas qu'un appel à voter pour Mélenchon au second tour puisse avoir sa légitimité pour autant qu'il repose sur l'expression d'une défiance politique basée sur une indépendance de fond vis-à-vis de l'institutionnalisme verticaliste de LFI.

Dernière modification ce 8 avril à 18h31.

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