Comme on le voit et l'entend dans la vidéo d'un débat télévisé récent portant sur le sujet incandescent de la Crimée, c'est souvent dans une grande confusion polémique qu'il se mène. Le titre d'ailleurs de ce débat vidéo : "La Crimée est-elle russe ou ukrainienne ?" participe de cette confusion en par la mobilisation du régime verbal de l'indicatif dont la forme interrogative ne parvient pas à neutraliser le durcissement de l'alternative simpliste su "là, maintenant russe ou ukrainienne". Comme je vais tenter modestement de le proposer, le principe d'une telle alternative ne peut prendre du sens que par le recours aux concepts combinés du droit international et du droit d'autodétermination, seuls à mêmes, de par leur étroite combinaison, de sortir d'une vaine guerre de mots prisonniers de la guerre en cours sur le territoire ukrainien. Et cela pour qu'un tiers mot décisif et, à mon avis, seul vraiment opératoire dans le cas qui nous occupe, celui de démocratie, désactive le binarisme primaire alternatif tel qu'il est posé en titre de cette vidéo.

Ce qui manque dans cette discussion c'est en effet de convoquer ce qui se rapporte à ces deux notions essentielles qui s'imbriquent, ou devraient s'imbriquer l'une dans l'autre pleinement, quoique dans une tension assumée comme inévitable mais non-rédhibitoire, à savoir la question de ce que l'on appelle le droit international et le régime des frontières qu'il établit et celle du droit à l'autodétermination des peuples redéfinissant celles-ci.
Pour ce qui est de la première, issue de rapports de forces étatiques hérités souvent d'une histoire peu favorable aux peuples, ce qui fait qu'elle ne peut pas être revendiquée en soi et pour soi seule si l'on défend des politiques d'émancipation de ceux-ci, elle n'en demeure pas moins essentielle si elle s'articule à la seconde, celle du droit à l'autodétermination des peuples. En effet, dans cette articulation, il s'agit de faire jouer que l'on défend un droit international par ce qu'il implique de neutraliser, sans barguigner, toute guerre d'annexion d'un Etat ou partie d'Etat par un autre Etat pour, et ce pour est décisif, que soit dégagé, et même créé ou recréé, l'espace politique et territorial permettant que le droit d'autodétermination s'exerce pleinement : par où il serait permis à la population d'une partie d'Etat, comme ici la Crimée, d'exercer, en toute jouissance sa souveraineté et de se prononcer sur ce qu'elle veut pour elle-même. L'exercice de sa pleine souveraineté exclut, du côté de la Russie, qu'elle préempte par la guerre ce droit démocratique pour asseoir sa domination impérialiste. Comme elle inclut, qu'une fois rétablie au nom du droit international, l'appartenance de la Crimée à l'Ukraine, celle-ci s'engage à organiser, sous supervision démocratique et internationale, la consultation d'autodétermination.
Ceci étant posé, il resterait à fixer des éléments conditionnant que l'exercice démocratique de l'autodétermination soit débarrassé des terribles scories, fractures, conflits, voire haines, hérités de la sauvage annexion russe : d'où la nécessité que du temps soit donné au temps de la mise en branle de la logique démocratique. Cela veut dire, entre autres, 1/ pour que se réalise le retour des Ukrainiens ayant fui la main-mise violente de la Russie sur cette région; 2/, pour que, après modification constitutionnelle validant le processus constituant de la souveraineté criméenne, soit établi le corps électoral permettant la tenue du référendum d'autodétermination; 3/ pour que se mettent en place des procédures judiciaires engagées contre les responsables de destructions, d'assassinats du temps de l'occupation russe ou de collaboration dans la commission de ces crimes et 4/ enfin, pour qu'ait été ainsi mené à bien la neutralisation politique des haines internes entre Criméen.ne.s exacerbées par l'annexion russe. De sorte que, au sortir de ce temps (durée à déterminer) de récupération de la normalité démocratique sans plus d'hypothèque belliqueuse, se mette en place l'organisation du débat d'autodétermination en termes totalement démocratiques c'est-à-dire, envisageant le droit à l'expression des partisan.e.s soit du maintien de la Crimée dans l'Ukraine, sous forme décentralisée, régionaliste ou autonomiste, soit de celleux de son intégration à la Russie, soit même de celleux de son indépendance vis-à-vis des deux Etats ouvrant à terme sur une reconfiguration confédérale avec l'un ou l'autre Etat (pour autant que "l'autre russe" soit débarrassé du lest de l'infamie poutiniste et puisse être disponible pour un confédéralisme démocratique).
Il reste que cette dimension démocratique indissociable d'un processus de retour à la paix ne saurait être déconnectée des dimensions économiques/sociales et culturelles que devrait permettre de faire valoir la campagne électorale d'autodétermination.
Mais soyons clairs : rien de tout ceci n'a de sens en dehors du préalable du retour de la Crimée dans l'Ukraine et donc de la défaite militaire et politique de la Russie impérialiste l'expulsant radicalement de celle-ci.
Antoine
Ce billet est la reconfiguration, corrigeant maladresses et imprécisions, d'une note postée, il y a deux jours, sur FB.