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Billet de blog 10 juillet 2022

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Magistrate féministe, elle dit "pas touche à la présomption d'innocence !"

Depuis l'émergence de #Metoo, la mobilisation des femmes a pris un nouvel essor en faveur du droit à ne plus subir les violences sexuelles, en particulier les viols. Dans cette dynamique émancipatrice, certain.e.s en viennent cependant à mettre en cause que la justice repose sur l'intouchabilité de la présomption d'innocence. La magistrate Évelyne Sire-Marin défend ce principe et s'en explique.

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Dans l'entrevue vidéo qu'elle a accordée à Regards, Évelyne Sire-Marin, forte de son parcours de magistrate fortement engagée tant du côté de la défense des droits des femmes que de celle des libertés démocratiques, en tant qu'ancienne présidente du Syndicat de la magistrature, qu'ancienne coprésidente de la Fondation Copernic, de membre du Conseil scientifique de Attac France et du bureau de la Fondation Copernic, met en garde, entre autres positionnements sur le rapport des femmes à la justice, le mouvement féministe sur la grave dérive qui l'amènerait à en appeler à mettre en cause le concept clé de la présomption d'innocence et son corollaire qui fait que la charge de la preuve, en matière pénale, revient à l'accusation. Et cela pour la raison qu'il en va de la démocratie elle-même mais aussi du développement et de la crédibilité des mobilisations légitimes des femmes pour leurs droits. Une entrevue particulièrement éclairante pour débattre des moyens de renforcer lesdites mobilisations sans tomber, sur le terrain judiciaire, dans de grave ornières confusionnistes dangereuses pour la défense des libertés de tous et toutes en un temps où celles-ci sont de plus en plus menacées. Une entrevue éclairante pour, selon moi, éviter qu'un profond mouvement d'émancipation, comme est celui suscité par #Metoo, n'alimente paradoxalement, quoique involontairement, des dynamiques liberticides dont l'Etat lui-même, par ses dynamiques toujours plus répressives, est un vecteur essentiel en ces temps de crises multiformes.

"Au nom de la démocratie, on ne peut accepter l'idée qu'une victime présumée ne pourrait pas mentir" © Regards

Rappel historique sur la présomption d'innocence.

Au sortir d'un récent débat sur FB sur une présomption d'innocence qui devait se voir mise en cause au profit d'une "présomption de culpabilité" devant permettre de faire...droit aux plaintes déposées par des femmes pour avoir subi des agressions sexuelles ou des viols, il me semble utile de revenir sur l'historique de cette notion clé de présomption d'innocence. Et cela pour éclairer ce débat et permettre d'avancer sur la réflexion quant aux moyens d'assurer la juste prise en compte de la parole des femmes plaignantes et sur la pertinence ou non que cette revendication doive se voir satisfaite par la disparition en droit du principe de la "présomption d'innocence" avec le corollaire de l'imposition de l'inversion de la charge de la preuve qui reviendrait à l'accusé et non plus aux plaignant.e.s.

De ce premier extrait du texte auquel je fais référence, on peut relever ceci : c'est la Révolution Française, sur la base de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en son article 9 qui a introduit le principe de la présomption d'innocence. Auparavant, tant à l'époque de la féodalité qu'à celle des régimes monarchiques ce principe n'avait pas cours et l'accusé se retrouvait totalement dépendant d'un régime probatoire, sans réel moyen de défense, mis en oeuvre par un juge et par lequel c'est le principe de culpabilité qui était de droit. Les procédures permettaient à cette fin le recours à la question, c'est-à-dire à la torture pour établir les aveux.

Comme le montre cette étude, il fallut cependant attendre...les années 1990 et 2000 pour que ce principe révolutionnaire de la présomption d'innocence trouve sa claire traduction procédurale dans le Code Pénal.

Que tirer de cette première approche de la question ? Au moins 1/ que, contrairement à une idée reçue avec beaucoup de légèreté par les promoteurs d'une mise en cause de la présomption d'innocence, c'est relativement de façon récente qu'elle a acquis pleinement droit de cité en droit ("Il faut avant tout constater et admettre que la présomption d’innocence, comme principe procédural consubstantiel de la preuve pénale, ne dispose pas de racines profondes") et 2/ que, contre un acquis juridique de 1789, le temps long de l'histoire est placé sous le signe de ce vers quoi certaine.e.s nous invitent à régresser, celui de la présomption de culpabilité qui était la marque de l'arbitraire des justices médiévales et royales ! C'est sur la possibilité que, sous de bonnes intentions émancipatrices permettant aux femmes de bousculer ce qui les empêche de devenir des sujets de droit à part entière, se mette en marche un retour à l'arbitraire judiciaire d'Etat, qui serait, en fait, un approfondissement de ce qui déjà est En Marche (voir, entre autres, les condamnations de Gilets Jaunes), que ces lignes devraient inciter à la réflexion.

Antoine

Extrait

Cesare BECCARIA pose en effet, dans son ouvrage des Délits et des peines publié, en 1764 les premières pierres d’une réforme de la justice criminelle. La Révolution française de 1789, dont une partie de ses représentants les plus éclairés appartiennent au monde judiciaire, et qui aura lu avec intérêt ce petit livre, se propose ainsi de réfléchir à une forme différente du procès pénal mais aussi de discourir sur ce que pourrait être la preuve pénale. Cette période, riche en changements et ruptures de tous ordres, esquisse la reconnaissance d’un droit à l’innocence. Le principe de la présomption d’innocence commence à faire son chemin.

Si les discussions, qu’a connues l’Assemblée Constituante lors l’adoption de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, ont retenu notre attention sur l’élaboration de la présomption d’innocence, celles-ci ne peuvent faire oublier les écrit personnels des constituants mais aussi la presse lors de la discussion sur la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Ils permettent de saisir le sens véritable donné par les Constituants à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, et donc de percevoir que ces derniers ne le concevaient que comme une protection face aux atteintes portées à la liberté, et non comme un principe procédural. Toutefois, aussitôt posée, cette présomption d’innocence fut ignorée par une politique législative qui, à partir de 1793, asséchait les droits de l’accusé, faisant de ce dernier un coupable présumé.

Cependant, malgré ces parenthèses juridiques, la Constituante, entreprit l’ébauche d’une autre justice criminelle puisant aux sources de l’Ordonnance criminelle de 1670 et s’inspirant de modèles étrangers notamment de la procédure pénale anglaise qui considérait que seul un jury, libéré de règles savantes, pouvait, avec bons sens et sagesse, décider du sort d’un accusé lorsqu’il se trouvait convaincu. La présomption d’innocence demeurait comme elle avait été initialement conçue et écrite par les Constituants. Il s’agissait non d’un principe procédural gouvernant le procès pénal et régulant le rapport entre le juge et l’accusé, mais d’un principe général qui reconnaissait à l’accusé le droit de ne pas être victime de mesures arbitraires. [...]

La publication des recueils ou des grands répertoires de droit, dès la seconde partie du XIX éme siècle, participe de l’autonomisation d’un droit criminel qui progressivement dessine les grands principes de la justice pénale et de la procédure criminelle. La présomption d’innocence émerge dans son mécanisme final, c'est-à-dire dans l’articulation qu’on lui connaît actuellement, à savoir que la charge de la preuve incombe au ministère public et à la partie civile et que le doute profite toujours à l’accusé. Pour autant, elle reste néanmoins extrêmement fragile puisque le simple renvoi à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ne suffit pas à lui assurer une reconnaissance effective et efficiente. L’intervention du législateur, qui fait voter les lois n° 93-2 du 4 janvier 1993 et n° 2000-516 du 15 juin 2000, concrétise de fait l’idée que ce principe acquis n’était aucunement reçu dans son acception puisqu’il fallut l’inscrire solennellement dans le Code de Procédure Pénale.

Tiré de l'étude de Patrick Ferot "La présomption d'innocence : essai d'interprétation historique".

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