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Billet de blog 16 décembre 2024

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Quand le ministre de la Défense russe fait un aveu involontaire

Le ministre déclare aujourd'hui que la Russie avait pris 4 500 km2 de territoire ukrainien cette année. La réalité est tout autre : sur les 350 jours de guerre de 2024, la Russie n'a gagné que 3260 km2, soit une moyenne journalière de gain territorial de 9,3 km2. L'exercice de propagande vire à l'aveu : il n'y a pas de quoi crier victoire !

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Au bal masqué des chiffres de l'avancée russe en Ukraine.

Illustration 1

Lire ici
Voilà une info émanant directement du pouvoir russe qui tombe à pic, après que j'ai opéré hier quelques calculs, appuyés sur des données fiables (cf le graphique du Monde : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/12/09/guerre-en-ukraine-en-novembre-2024-les-russes-enregistrent-leur-plus-forte-progression-depuis-deux-ans-et-demi_6156776_4355771.html), pour déterminer ce qu'étaient les gains territoriaux mensuels de la Russie dans la guerre qu'elle a déclarée à l'Ukraine.
Assez imprudemment le Kremlin a décidé de communiquer sur ce terrain en donnant des chiffres qui...confirment ce que j'ai mis en évidence hier : ces gains territoriaux sont bien dérisoires, c'est Moscou qui en fait l'aveu ...sans voir qu'il n'y a pas à se hausser du col avec de tels chiffres qui indiquent bien que son armée, outre qu'elle s'en trouve décimée, est une armée territorialement grignoteuse, loin des envolées autosatisfaites avec lesquelles elle cherche à nous impacter. Avant de voir cela en détail, tout d'abord, avançons que la communication de ce jour est la preuve que la grande école de mathématique russe n'est plus, sous Poutine, qu'un souvenir lointain, très lointain et, surtout, mais cela est en rapport, ladite communication, totalement contreproductive, montre une cruelle défaillance des services de propagande du dictateur et, spécialement de celleux qui les supervisent. Si Poutine nous lit, tout ce monde, ministre de la Défense compris, aura du souci à se faire. Nous ne pouvons pas exclure, cependant, que le grand chef russe, connu pour suivre de près tout ce qui touche à son grand sujet, l'expansionnisme impérialiste de la Grande Russie, se soit lui-même fourvoyé en donnant le feu vert à la publication à tous vents de ces calculs abracadabrantesques. Ce qui ne changerait pas grand chose au sort qui attend les fusibles du système. Un dictateur, qui plus est, dans la modalité néofasciste, ne se trompe jamais même quand il se trompe.
Venons-en à la déclaration du ministre de la Défense russe qui nous dit que la Russie avait pris 4 500 km2 de territoire ukrainien cette année, et avançait actuellement de 30km2 par jour. Or, si on reprend le graphique du Monde qui fait autorité sur la question des enjeux territoriaux de la guerre d'Ukraine, on constate que, de fin décembre 2023 (chiffre au 31 décembre) à la fin novembre 2024, nous sommes passés d'une occupation territoriale russe de 106 280 km2 à 109 060 km2 : soit un gain de 2780 km2. Si ensuite nous retenons avec le ministre que les Russes avancent aujourd'hui de 30 km2 par jour et que, comme nous savons être généreux avec les poutiniens, nous allons postuler que, même si cela est loin d'être acquis, ce gain de 30 km2 quotidiens vaut pour ces 16 jours de décembre, on dira que, sur ce laps de temps presque annuel, les Russes ont pris 480 km2. Si l'on fait le total, nous avons : 2780 + 480 = 3260 km2 et non les 4500 km2 annoncés fièrement. Soit un différentiel, le marqueur de la propagande, de 1240 km2, autrement dit une majoration par les Russes, de 27,56% du chiffre réel !
Mais pourquoi nous arrêterions-nous là ? Posons ceci : entre le 1er janvier 2024 et le 16 décembre 2024, il s'est écoulé 350 jours, nous sommes bien à quelques encablures des 365 jours qui sont notre repère circannuel. Si nous rapportons les 3260 km2 gagnés par les Russes sur le territoire ukrainien aux 350 jours qu'ils ont mis à les gagner, nous arrivons au chiffre stupéfiant d'une moyenne de 9,3 km2 par jour. 9,3 km2 voilà le gain territorial quotidien sur la période convoquée par le ministre de la Défense russe. On comprend qu'il n'ait pas été tenté de pousser sa calculette avant d'aller se pavaner médiatiquement.
Alors, si l'on veut être indulgent, envers ce pathétique monsieur, concédons-lui les 4500km2 qu'il nous assène : nous arriverons au chiffre à peine moins dérisoire que le précédent, à savoir d'une moyenne de 12km2 de gain journalier sur les 350 jours de guerre de 2024.
Ajoutez, à titre indicatif, pour que la lamentable fête russe des chiffres soit tragiquement complète, les pertes (tués et blessés) russes au km 2 gagné qui, voir mon billet ci-dessous, donnait le chiffre ahurissant de 53 soldats mis hors de combat par km2 gagné sur le mois de novembre.
Concluons sur l'interaction des carences informationnelles des médias occidentaux (Midi Libre, AFP, voire, je ne suis pas allé vérifier, ISW) et des manipulations désinformationelles des Russes qui finissent par créer les faux semblants qui parasitent l'approche de la réalité de cette guerre. Interaction dont les désinformateurs russes sortent gagnants si l'on ne muscle pas notre contre-information.

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Déconstruire la désinformation poutinienne et propoutinienne (et la sous-information médiatique en Occident) sur les avancées militaires de la Russie en Ukraine.

Illustration 2
Capture d'écran du graphique du Monde mentionné dans le billet


L'armée russe n'avance pas sur le front au sens où elle possèderait une dynamique de pénétration et d'élargissement territorial suite à une percée. La percée est l'Introuvable des mouvements opérationnels russes à l'est de l'Ukraine. Ni la prise de Vouhledar ni l'éventuelle prise de Pokrovsk, où ont lieu les plus importants combats, ne s'inscrivent dans ce schéma opérationnel qui menacerait l'Ukraine (1).
Le graphique ci-dessus est, à ce titre, parlant. Il est tiré du Monde et il donne précisément, mensuellement, l'état des lieux de cette guerre depuis son début le 24 février 2024. En observant cette capture d'écran vous pouvez comprendre ce qui, à l'écoute ou à la lecture de nos médias, ne permet pas de donner le sens réel de l'avancée russe sur le front.
Observez la ligne de démarcation entre la zone jaune représentant ce qu'est la présence ukrainienne sur son territoire et en violet celle de la zone occupée par les Russes. Vous constaterez que cette ligne, depuis la fin octobre ... 2022, est étale, que ce qui nous est annoncé comme une avancée irrésistible des Russes ne représente, depuis 2 ans et 30 jours, quasiment rien à l'échelle de l'ensemble de la représentation territoriale de l'Ukraine ou même de ce que celle-ci conserve de son territoire. Ce qui souligne, au passage, ce qu'une telle situation militaire, doit, malgré toutes les difficultés et souffrances, que l'on voudra, à la résilience civile et militaire des Ukrainiens.
Le caractère fondamentalement stationnaire des avancées russes met d'autant plus en relief le coût humain et matériel hyperbolique pour la Russie d'une telle non-progression significative : entre 610 000 (source britannique) tués ou blessés et 720 000 (source ukrainienne), voire plus du million (Wall Street Journal). Mensuellement les chiffres en deviennent effarants : "de 9 840 pertes par mois en moyenne au cours de la première année d’invasion, ce chiffre est passé à 21 106 l’an dernier. Depuis le début de l’année 2024 (sur la période janvier-octobre), l’armée russe perd environ 32 382 combattants par mois (blessés et morts confondus)." (https://legrandcontinent.eu/fr/2024/11/16/la-russie-a-subi-plus-de-pertes-depuis-le-debut-de-lannee-quen-2022-et-2023-cumules/). En novembre, le chiffre est monté à 38 600, 53 mis hors de combat au km2 gagné sur le mois.
Autre calcul parlant : les 730 km2, que l'on nous dit être un record de progression de l'occupation russe, signifient un gain de territoire de fin octobre à fin novembre de 0,67%.
Si on remonte au gain d'août dernier par rapport à juillet : + 0,35%;
. en septembre : + 0,39%
. en octobre : + 0,50% et, comme on vient de le voir, en novembre, 0,67 %.
Encore ceci : 730 km2 gagnés en un mois, c'est l'équivalent de 22,5% du territoire du département du Rhône (3249 km2).
Pour saisir de façon détaillée, l'évolution mensuelle, des données territoriales de cette guerre, consultez le graphique, que j'ai tiré du Monde, par ce lien : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/12/09/guerre-en-ukraine-en-novembre-2024-les-russes-enregistrent-leur-plus-forte-progression-depuis-deux-ans-et-demi_6156776_4355771.html
Poussons un peu plus loin par un calcul certes théorique mais qui peut finir de mettre de l'ordre dans les ordres de grandeurs à mobiliser pour bien comprendre ce qui se passe sur le terrain de la guerre d'Ukraine : à raison de 730 km2 d'avancée par mois il faudrait aux Russes, toutes choses étant égales par ailleurs, plus de 56 ans pour conquérir la surface que détient à ce jour l'Ukraine de son territoire (494 480 km 2, soit 82% de la surface de 2014 ) ! N'oublions pas que Poutine conserve l'objectif de prendre l'ensemble de l'Ukraine dont il prétend qu'elle est historiquement russe. Ce qui est historiquement faux !
Un conseil, donc, débranchez-vous, non seulement de radio-télé-réseaux Moscou et complices internationaux, mais aussi, au moins un instant pour mettre de la perspective dans la réflexion, de ces médias occidentaux qui se disent critiques de la Russie poutinienne mais qui, probablement par goût du sensationnalisme qui fait vendre, à moins que ce ne soit par négligence coupable, n'aident à donner ni la pleine signification, donc la vérité, de ce qu'est la capacité opérationnelle de l'armée russe ni à saisir la pleine mesure du bluff immense déployé par les services de propagande poutiniens et leurs relais occidentaux pour cacher cette misère infâme des résultats attendus par Poutine et sa bande de cette guerre. Laquelle infamie tient, avant tout, comme je l'ai dit, au nombre de tués et de blessés côté russe mais aussi, sans atteindre les chiffres concernant les soldats russes, côté ukrainien (480 000 selon le Wall Street Journal).
(1) Sur Koursk, les Ukrainiens sont repliés, après avoir occupé plus de 1000 km 2, sur les quelque 600 km 2 qu'ils considèrent être la masse critique qu'ils peuvent défendre sans avoir à reculer comme dans le front oriental, en infligeant, cette fois comme dans ce front, le maximum de pertes à l'ennemi. De fait les Russes ne parviennent pas à faire sauter cette poche ukrainienne constituée, rappelons-le, en août.

Note : ces deux billets ont été publiés initialement sur FB, le premier aujourd'hui et le second hier.

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