
On trouvera ci-dessous ce que j'ai été amené à préciser sur un autre site à propos des dernières élections catalanes qui ont donné un clair mandat à une majorité parlementaire indépendantiste, mandat que Madrid et "son" juge contrecarrrent systématiquement en empêchant ce que la loi espagnole pourtant autorise : peut être investi président de la Généralité tout député qui n'a pas été condamné pénalement (1). C'est le cas de trois élus, poursuivis par la justice, emprisonnés ou en exil (Carles Puigdemont), non condamnés à ce jour mais qu'un juge, si particulier, s'ingénie à rendre impossible... Il va désormais lui-même faire l'objet d'une plainte pour prévarication portée par le Parlement catalan. Serions-nous, après la gifle infligée par un tribunal allemand, à la veille d'un nouveau rebondissement en forme de nouvelle rebuffade envers une Espagne en voie de discrédit accéléré en Europe ? Dans cette insoutenable attente ... cependant sceptique sur la possibilité que la Justice espagnole désavoue "l'un des siens", lisons donc ceci sur l'élection catalane de décembre dernier.
Je lis d'un de mes interlocuteurs "Si l’on devait extrapoler le dernier scrutin de décembre dernier (82% de participation) en le considérant comme un "référendum", alors seuls 47,5 % des catalans se sont exprimer clairement pour leur indépendance.". Dis comme cela, tu sous-entends, involontairement j’espère, que 52,5% des électeurs sont contre l’indépendance. Ce qui est faux. On manipule trop souvent les chiffres pour en rester à des phrases comme les tiennes. Il faut y regarder de plus près. Ce que je fais en présentant ce que je considère la seule façon honnête de les lire :
Exprimé-es : 4 357 388
Inscrit-es : 5 557 901
Independantistes : 2 079 340 voix
/ Exprimé-es : 47,7%
/ Inscrit-es : 37%
Anti-indépendantistes : 1 902 061 voix
/Exprimé-es : 43%
/Inscrit-es : 34%
Nini : 326 360 voix
/Exprimé-es : 7,4%
/Inscrit-es : 5,8%
La lecture biaisée des résultats de cette élection du 21 décembre consiste à laisser croire que quiconque n’a pas voté pour l’indépendance est contre l’indépendance. Or la réalité politique c’est qu’il y a un jeu à trois et pas à deux : il y a certes les "pour", les "anti" mais aussi les "nini", terme qu’ils se sont choisis eux-mêmes pour ces élections : ni pour ni contre ! Il s’agit de ceux et celles qu’on appelle les Communs et exactement Cataluña en Comú Podem. Et ils ont obtenu 7,4% des exprimé-es qui ne sont assignables ni à un camp ni à l’autre.
Cette lecture à trois pôles fait donc apparaître que, dans la réalité réelle du débat politique catalan, les indépendantistes sont bien majoritaires en voix, majorité relative certes mais majorité tout de même, et pas majoritaire seulement en sièges. La seule différence est que cette majorité en sièges est absolue mais ce n’est pas pareil de laisser croire que cette majorité absolue repose sur une minorité en voix, alors que, certes relative, il y a clairement majorité en voix aussi.
Je précise, par ailleurs 1/ que s’il y a eu référendum d’autodétermination le 1er octobre, c’était sur la base du refus de Madrid de négocier un référendum d’autodétermination dans les règles. Comme le droit international (2), quoique l’on en pense par ailleurs, mais il est la référence du PP, du PSOE et de Ciudadanos, qui ne le respectent pas, en fait une obligation aux Etats ; et 2/ que les Communs réclament un référendum négocié. Ce qui les éloigne des anti-indépendantistes, les rapproche, pas plus, des indépendantistes et permet encore moins de les assimiler aux anti !
J’ajoute enfin que l’on ne peut pas faire abstraction du contexte dans lequel les indépendantistes ont obtenu cette double majorité le 21 décembre : la destitution du President de la Généralité, celle du Govern et la dissolution du Parlament catalan (3 mesures anticonstitutionnelles qui font que l’on peut parler de putsch de Madrid) et l’imposition, via le 155, de la tutelle totale de Madrid sur toute la Catalogne avec, cerise sur le gâteau, une répression policière et judiciaire totale et ces élections du 21 décembre que Madrid a choisi de tenir à sa convenance ! Le score obtenu par les indépendantistes (une gifle pour Madrid !), vu tous ces obstacles, est tout simplement le signe de la profondeur de l’ancrage de l’indépendantisme dans la société catalane !
C’est tout cela qu’il faut avoir en tête pour éviter les simplismes analytiques et la désinformation.
(1) "Le droit au suffrage est le droit qui nous constitue en tant que citoyens, en tant qu'individus qui exerçons tous les autres droits sur un pied d'égalité.
Voilà pourquoi c'est le droit le plus fondamental existant dans l'ordonnancement juridique auquel on ne peut opposer aucun autre. Un citoyen peut être privé de l'exercice du droit par une sentence de justice par laquelle il est condamné pour un délit qui entraîne le perte du droit de suffrage. Mais tant que ceci n'a pas eu lieu, le droit de suffrage est en substance résistant à tout autre droit." (Derecho de sufragio y libertad deambulatoria). On l'aura compris, l'impossibilité d'investir Présidente de la Catalogne une personne élue parlementaire, actuellement emprisonnée, s'explique par la confusion délibérée, attentatoire au droit, par laquelle la justice fait d'une personne, qu'au demeurant elle place arbitrairement en détention préventive, un coupable avant son jugement.
(2) "Qui connaît le droit international et l'usage du terme intégrité territoriale sait qu'il est à usage externe, c'est-à-dire, pour protéger l'intégrité territoriale d'une attaque extérieure. Dit autrement l'Etat A ne peut occuper le territoire de l'Etat B ni y intervenir, mais l'Etat A ne peut dénier à son propre peuple le droit à la libre détermination. Ce droit à la libre détermination est supérieur à celui de l'intégrité territoriale. […]
Le premier article du Pacte International des Droits Civils et Politiques (que l'Espagne a signé en 1985) porte sur la libre détermination et il est très clair : " Tous les peuples ont droit à la libre détermination". Cet article consacre que les Etats sont dans l'obligation de promouvoir la libre détermination. Ce qui veut dire que, non seulement il leur est interdit d'y faire obstacle ou d' y être indifférents, mais qu'ils doivent faciliter la libre détermination et celle-ci peut se situer sur le plan d'un haut niveau d'autonomie. Mais pour savoir ce que veut le peuple, ce qui renvoie à l'idée que l'on a de la démocratie, il doit y avoir référendum, une façon de savoir exactement ce que veut le peuple. C'est cela qui a été nié illégalement le 1er octobre. […]
A l'idée que "certains prétendent que l'autodétermination n'est applicable qu'aux colonies", l'expert répond : C'est absurde. Si un de mes étudiants m'écrit cela, je le colle à l'examen. […]
L'Union Soviétique s'est divisée en 15 républiques, la Yougoslavie en sept et la Tchécoslovaquie en deux. Les Européens et ceux qui nous parlent d'intégrité territoriale ont été les premiers à reconnaître la déclaration unilatérale d'indépendance de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie. En 1991, ces Etats n'ont pas suivi la procédure prévue dans la Constitution de l'Union Soviétique, de telle sorte que les Européens qui ont reconnu tout cela ont ignoré le principe de l'intégrité territoriale de l'Union Soviétique et ont accepté la priorité du droit à la libre détermination. Comment est-il possible que la Bruxelles d'aujourd'hui, celle qui a appuyé l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie et qui les a acceptées en tant que membres de l'Union Européenne, dise que 8 millions de Catalans ne peuvent même pas tenir un référendum ? C'est une situation aberrante. C'est une situation d'application du droit international à la carte. Tout ceci porte atteinte à la crédibilité de tout ce qui fait système en droit" (traduction de De Zayas: "La ONU podría mediar entre Catalunya y España")
Note : Alfred-Maurice de Zayas (La Havane, 1947) est expert indépendant de l'ONU depuis 2012.