La Fête de l'Humanité coïncide, et ce n'est pas un hasard, avec le règlement en douceur des tensions qui agitaient les sommets et les niveaux intermédiaires du Front de Gauche sur les prochaines sénatoriales en Ile-de-France. La voie est désormais libre pour que, profitant du succès populaire de la fête communiste, le candidat du Front de Gauche se laisse aller aux grandiloquents effets de tribune dont il est friand. Ne l'a-t-on pas entendu promettre hier de "non seulement lancer une révolution citoyenne pour notre patrie (mais) [...] allumer [aussi] le feu dans tout le continent! "? Et, dans la foulée, le voilà qui a dénoncé le «coup d’Etat financier» des institutions européennes et appelé à "prendre à la gorge" la finance ! De toute évidence Mélenchon c'est du 100 % Besancenot survitaminé et Philippe Poutou peut aller se rhabiller en matière de radicalité hyperrévolutionnaire ! Oui, mais voilà, la face obscure de tout ce verbe enflammé, ce sont les tractations qui se mènent pratiquement dans le même temps et qui amènent le Parti de Gauche à remiser, au magasin des accessoires usés sans avoir servi, sa menace de déposer des listes concurrentes pour les sénatoriales d'Ile-de-France...Mais des listes concurrentes de quoi au juste ? Eh bien, concurrentes des listes d'union avec le Parti Socialiste !
Ainsi dans le Val-de-Marne ce sera, l'idée d'une concurrence ayant donc été abandonnée, une liste baptisée « Ensemble pour le Val de Marne, la gauche et les écologistes rassemblés » qui mènera la bataille des sénatoriales. Elle réunira le PS, le PCF, EELV, le PRG, le MRC et Gauche citoyenne. Le PG, acceptant son exclusion de la liste, ne la soutiendra pas moins par l'entremise de Joseph Rossignol, le maire mélenchonien de Limeil-Brévannes.(1) Même dans l'Essonne, "fief (!) de Mélenchon" (Marianne), le PG s'efface en échange de contreparties : "une dizaine de circonscriptions pour les législatives comme la 10ème du 91 (Grigny, Morsang-sur-Orge...), la 3ème de Seine-Saint-Denis (Noisy-Le-Grand...) ou encore la 3ème de l’Ardèche (Rhône-Alpes). Un «geste» qui assure d'ores et déjà [au PG] 95 circonscriptions « gagnables » pour 2012." (2) Merci le PS, finalement bon prince avec ces partisans Front de Gauche de la rupture avec le libéralisme, voire le capitalisme !
Il se dégage de tout ceci l'impression désagréable que nous revivons les marchandages ayant précédé les accords permettant la constitution des piètres Union de la Gauche ou Gauche Plurielle et que le hiatus est franchement béant entre les flammes discursives du candidat du Front de Gauche à la Fête de l'Huma et les ombres feutrées de ces négociations de circonscriptions. Quelle cohérence y a-t-il, en effet, à s'afficher "révolutionnaire" (par les urnes certes mais quand même "prendre à la gorge la finance" ça a de quoi vous tétaniser le bourgeois et "euphoriser" le populo, non ?) et à négocier, dans le même temps, des listes avec un parti, le PS, dont on dénonce par ailleurs la tiédeur, si ce n'est la compromission avec la situation que l'on prétend combattre radicalement ?
Un terme se fraye imparablement un chemin dans notre esprit devant le constat que "ça ne colle pas" : duplicité ! Car, on l'aura compris, tous les contre-feux mis pour expliquer qu'à l'extrême rigueur on pourra s'accommoder d'une alliance avec le PS en 2012 "sur la base d'un rapport de force", autrement dit d'un bon score de JL Mélenchon à la présidentielle et des candidats du Front de Gauche aux législatives, perdent de leur crédibilité au constat implacable que c'est déjà sans aucun rapport de force que le PCF et le PG s'unissent à un PS conduisant le plus souvent les listes sénatoriales. Tout ceci n'étonnera bien évidemment pas ceux qui contemplent le triste spectacle de ces régions et municipalités où le Front de Gauche gouverne avec les socialistes, y compris avec les peu recommandables Navarro (Languedoc-Roussillon) ou Guérini (Bouches-du-Rhône), parfois même avec le Modem comme à Montpellier où, sans plus de réaction de son allié communiste (ni au demeurant du PG local), l'adjoint au maire socialiste justifie scandaleusement une expulsion de Roms (3).
Comme ils résonnent étrangement ces propos d'une Clémentine Autain faisant, en avril dernier, la leçon unitaire et radicale au NPA au motif que "Quand le Front de Gauche prend le parti clair, dans ses textes d’orientation, de l’alternative et non de la réédition de la gauche plurielle, quand Jean-Luc Mélenchon dit publiquement qu’il ne participerait qu’à un gouvernement dirigé par l’autre gauche, il faut l’entendre." ! (4)
Au fond, la plus lucide sur le rapport du Front de Gauche aux socialistes, ne serait-ce pas ...Ségolène Royal qui, à la Fête de l'Huma, vient d' énoncer sans ambages ses points de convergence avec JL Mélenchon, rien moins que sur la réforme bancaire ou l'interdiction des licenciements boursiers ? Ce qui a eu le don de réjouir "Jean-Luc Mélenchon [qui] a salué "une bonne nouvelle" et dit à "Ségolène" : "si tu arrives à centraliser ces questions dans le débat des socialistes on ne peut que s'en réjouir".(5) Que l'ex-candidate socialiste à la dernière présidentielle joue, de toute évidence, une partition personnelle pour gagner la primaire de son parti en ciblant à gauche, aujourd'hui à la Fête de l'Huma, comme elle ciblait à droite hier en prenant à revers Sarkozy pour revendiquer ses droits d'auteur(e) sur la militarisation des jeunes délinquants, voilà qui devrait pourtant interdire à un candidat "révolutionnaire" de s'emballer. D'autant que S Royal, comme au fond tous les gouvernants socialistes dans le passé, a largement démontré sa propension à s'émanciper de son propre programme de campagne (voir son reniement sur la revendication du Smic à 1500€ et des 35 heures [6]) !
Il importe de rapprocher cette situation où le Front de Gauche ménage le chou socialiste et la chèvre radicale, de la division qui prévaut à la gauche du PS. Les facilités médiatiques et politiques ont pris pour argent comptant que la candidature de Philippe Poutou pour le NPA était l'indice de son cours isolationniste et diviseur. Une autre lecture plus nuancée aurait pu, à partir de ces données lourdes sur la stratégie double du Front de Gauche, retenir que le NPA était preneur d'une unité de toute la gauche radicale à la présidentielle de 2012 pour autant qu'elle s'affirmait en rupture déclarée, non seulement avec le capitalisme en crise, mais aussi avec ses fourriers de gauche du Parti Socialiste. C'est bien la fin de non-recevoir opposée par le Front de Gauche à cette proposition d'unité du NPA qui a favorisé le renversement de majorité dans ce parti et permis le lancement de la candidature de Philippe Poutou, une candidature qui n'a fait qu'acter que l'unité à la gauche du PS était effectivement impossible.
L'éclairage apporté par les dernières péripéties autour des négociations pour les sénatoriales en Ile-de-France devraient, malgré les flamboiements du Parc de la Courneuve, permettre au moins de sortir des analyses stéréotypées qui obscurcissent les enjeux politiques et réveiller l'esprit critique à gauche ! Y compris très à gauche !
(1) Sénatoriales : la gauche présente sa liste (94 Citoyens)
(2) Mélenchon désarme sur le Sénat et s'assure les législatives (Marianne)
Un lecteur d'Agen attire mon attention sur le fait que Marianne va vite en besogne en transformant en 95 circonscriptions gagnables les 95 laissées par l'accord au PG. Elles sont toutes loin d'être gagnables : ce lecteur attentif dit avoir lu dans la presse que seules 10 seraient gagnables. Le Monde, lui, est en tout cas plus sobre sur la question que Marianne :
"Sur 525 circonscriptions métropolitaines, 400 sont finalement réservées au PCF, 94 au PG, 22 à Gauche unitaire et 9 à des divers gauche, après de "longues" discussions selon Pierre Laurent. Une petite quinzaine de circonscriptions sont encore en débat localement."
Mélenchon défend son projet 2012 face à "la crise de nombrilisme" du PS (LeMonde)
(3) Montpellier. Roms, la Mairie (PS-PCF-Modem...) dans les pas de Guéant ?
(4) Pour un rassemblement à la gauche du PS, vite ! (le blog de Clémentine Autain)
(5) Fête de l'Huma : Royal souligne des "convergences" avec Mélenchon (NouvelObs)
(6) Au conseil national du PS, Royal prend un carton rouge (Rue 89)
Les habits neufs du mitterrandisme... une hypothèse
Quand la gauche française était à la pointe de la libéralisation du monde !