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Billet de blog 20 juillet 2018

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Migrants. Un naufrage moral (Raquel Ejerique)

Les garde-côtes libyens ne sont pas en réalité des garde-côtes mais des membres des milices. L’enfant qui est sur le dos n’est pas un enfant, il était une personne avec des droits, le fils de quelqu’un. Et ce que tu vois là, ce n’est pas une barque qui a naufragé et qui, brisée, part à la dérive, c’est la décomposition et la mort de la dignité européenne.

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Tribune parue, en espagnol, sur eldiario.es. Texte original ici

Par Raquel Ejerique

18/07/2018

 La récupération de deux corps et le sauvetage d’une survivante

PHOTO : Proactiva Open Arms

Les garde-côtes libyens ne sont pas des garde-côtes. En réalité ce sont des membres des milices. Ils n’appartiennent pas au corps officiel d’un service public, principalement parce que ce qui est public en Libye n’existe pas, il n’y a pas d’Etat. Le contrat que ces milices ont signé avec l’Italie n’a qu’une clause : que viennent en Europe le moins possible de noirs car ils n’ont pas leur place dans nos rues goudronnées.

Le code pénal n’est pas là-bas un code et l’on y traite comme délit la simple tentative de s’en aller. Emigration sous la qualification de tentative. Comme leurs prisons se remplissent, eh bien ils font place nette à coups de feu, comme l’a raconté Elvis à la journaliste Gabriela Sánchez. Aussi inimaginable que cela paraisse, ils se divertissent en violant, en maltraitant, en rouant de coups ceux qui sont plus vulnérables qu’eux. Heureusement que l’on a renversé Khadafi car maintenant nous pouvons être tranquilles en laissant le plus grand défi migratoire de l’histoire entre les mains de ce pays en ruines. Pour avoir une idée de ce qu’est la Libye, écoutons la seule chose qu’a dite Josefa quand elle a été récupérée mercredi des planches cassées de ce qui avait été une barque : « Pas la Libye, pas la Libye ».

Ce que tu vois là, ce n’est pas la barque naufragée et cassée à la dérive. C’est la décomposition de la dignité européenne et il n’est resté sur la photo que ce bateau, un voilier de Proactiva Open Arms, une petite ONG privée qui a sauvé Josefa, laquelle a résisté pendant 48 heures dans la mer, sans eau potable et entourée d’essence. Au bout du compte, nous transformons les droits humains en affaire de foi et de miracles assumées par des organisations non gouvernementales. Josefa a survécu pour autant que l’on puisse considérer une vie de plénitude ce qui l’attend en termes de traumatisme et d’adaptation en Europe.

L’enfant qui est sur le dos, presque immergé, n’est pas un enfant. Il était une personne avec des droits, il était l’avenir, le fils de quelqu’un, le petit-fils de quelqu’un, au centre de l’amour de quelqu’un. Lui aussi voulait, et il espérait, et il a espéré, sur le dos mais pas suffisamment pour qu’ait lieu le miracle qu’un groupe de sauveteurs bénévoles le trouve, par hasard, au milieu de la mer, suite à l’interception d’une conversation entre un patrouilleur libyen et un bateau marchand. Manque de chance. Les droits humains sont maintenant une question de chance.

La femme qui est allongée sur le ventre n’est pas non plus une femme, elle est la démission des pays européens qui, oui, peuvent et, non, ne veulent pas. Ils ont délégué leur responsabilité et ils veulent que d’autres pays, sans garantie qu’ils respectent les droits humains, se chargent de la chose. Ces pays payent pour que la femme qui est allongée sur le ventre ne vienne pas, ce qui revient à inciter qu’elle vienne au risque de sa vie. Ils ont jeté hors de la Méditerranée les ONG du sauvetage pour que s’en charge la Libye, ce pays qui n’a précisément pas d’Etat, qui maltraite, bat et tue. La majorité des pays ne respectent pas les quotas de réfugiés et continuent à causer de temps en temps sur ce qu’il faudrait faire pour trouver une solution.

Salvini n’est pas le premier ministre italien, bien qu’on l’ait laissé usurper le poste et le récit d’un pays qui a été le berceau de la civilisation et du droit. C’est un ministre de l’Intérieur qui secoue, tel un hochet, les viscères de l’Italie. C’est le cristalliseur d’une idée suffisamment populaire pour faire pencher la balance électorale : la pauvreté, c’est la faute des plus pauvres, pas celle des riches ni des gestionnaires corrompus. On est fatigués de tirer des coups de feu vers le haut ? Tirons vers le bas. Tant que son discours lui assurera des succès électoraux, Salvini n’aura de cesse de l’utiliser et de le chauffer à blanc sans scrupules. Jusqu’où poussera-t-il ses idées, lui mais aussi son collègue Viktor Orban, jusqu’où mèneront le silence complexé des pays européens et l’indolence de ceux qui peuvent faire quelque chose, voilà un mystère dont nous étudierons désormais les conséquences dans les livres d’histoire.

Telle est la photo du désastre humain et du naufrage moral. Comme il y a aujourd’hui internet, l’information et des images, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Nous pourrons certes toujours dire que sur cette photo on voit un accident nautique, avec une femme allongée sur le ventre, un enfant sur le dos, le casque rouge d’un secouriste, Josefa et un bateau de plaisance au fond.

Traduction Antoine Rabadan

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