Réfléchissons sur la coïncidence, d'une part, que 2 millions de gens et plus en France descendent dans la rue et que, pour une large part de ces 2 millions, iels se soient mis en grève et que cela prélude peut-être, rêvons un peu, à une montée en puissance du mouvement jusqu'à menacer le gouvernement et, d'autre part, que la Russie poutinienne poursuive sa guerre barbare d'envahissement et annexion contre les Ukrainien.ne.s à coups de bombardements, avec une prédilection toute particulière pour cibler les populations civiles !
Vraiment vous ne voyez pas le rapport ?
Poursuivons donc. En France, le mouvement massif de défense des retraites se confronte à un pouvoir politique affaibli politiquement mais compensant, le plus souvent ou tôt ou tard, cette fragilisation par un recours massif à la répression, à une violence policière (relayée souvent par de graves sanctions judiciaires) d'une rare brutalité. Tellement brutale que, par sa singularité parmi les gouvernements se réclamant de l'idéologie libérale (qui rime aux oreilles des naïfs avec liberté(s)), elle étonne souvent en Europe et ailleurs dans le monde. Au point que certains analystes en viennent à déduire de la quasi systématisation des agressions policières dans l'espace public et de l'induite restriction extrême de la liberté de manifester et de ses corollaires les libertés d'opinion et d'expression, que l'on serait dans la dérive d'un libéralisme devenu autoritaire vers un processus de fascisation d'une démocratie libérale assumant l'ensauvagement des réponses qu'elle voit nécessaires pour satisfaire au projet capitaliste qu'elle s'est donné, celui de maximiser hyperboliquement les profits au détriment des salaires, retraites comprises. Le tout, combiné à une politique assumée de précarisation accélérée des populations sur fond de ciblage islamophobe concurrençant le RN sur son propre terrain et favorisant la montée du zemmourisme, boucle la boucle de la perte de consensus social et de légitimité politique : prix à payer pour le recours à la radicale agression sociale des populations dont le pouvoir cherche à échapper en optant pour la policiarisation extrême du politique ...démocratique par où la démocratie rétrécit ses espaces de liberté. Telle est la méchante dialectique libérale-démocratique-fascisante du politique et du social sous l'ère d'un macronisme mis sur orbite, pourquoi l'oublier, par une social-démocratie ayant fini de basculer vers un social-libéralisme à fort tropisme antisocial mâtiné de policiarisation-racialisation des populations musulmanes (et roms), celui de l'infernal duo hollando-vallsiste qui a valu la déroute électorale que l'on sait au PS !
Ceci étant posé pour la France, passons à la Russie poutinisée engagée dans la guerre d'agression contre l'Ukraine et dont certains à gauche veulent oublier quelque chose d'essentiel qui devrait (aurait dû) les amener à neutraliser la dérive qu'iels manifestent à propos de cette guerre. Dérive, dans le meilleur des cas (ne parlons pas des fanatisés "campistes" défendant ouvertement le régime russe), vers un positionnement d'équidistance entre les deux "camps" en présence, celui de l'impérialisme occidental (OTAN, Etats-Unis et UE) et celui de l'impérialisme (que certains à gauche se refusent à admettre comme tel) russe. En oubliant le ...tiers camp, celui du peuple ukrainien "néantisé" par les susdits (y compris dans leur branche "internationaliste" !), parfois ouvertement réduit à être une masse de manoeuvre du premier impérialisme, une masse politiquement amorphe, dépolitisée et manipulée à tel point qu'il lui est dénié d'être un sujet politique autonome engagé en autodéfense, pourtant manifestement et intensément politique, de sa souveraineté menacée et méritant, par là, de bénéficier de la solidarité internationale/internationaliste que les susdits lui refusent. Cet aberrant réductionnisme des enjeux réels de la guerre en Ukraine est au coeur d'un pacifisme passant par pertes et profits ce que subit le peuple ukrainien jusqu'à exiger qu'il ne lui soit plus livré d'armes pour qu'enfin un processus de paix puisse commencer à se dessiner ...en faisant l'impasse sur le fait que cette paix par désarmement de la résistance ukrainienne, toute en désastreuse équidistance postulée entre l'agresseur et l'agressé, vaudrait, en un compromis entre les parties en guerre inévitablement tout sauf équidistant, victoire armée de la Russie et, de toute évidence, instauration de la main-mise terroriste de celle-ci sur l'Ukraine qui était l'objectif militaire et politique initial de Poutine !
Alors que vient faire tout cela avec le 19 janvier de grande mobilisation en France ? Ceci qui, énoncé simplement devrait ouvrir les yeux d'une gauche ayant enfin trouvé les moyens de sortir de ses aveuglements sur ce que les régimes politiques, ici et ailleurs, recèlent ou pas comme espaces de libertés à défendre : en France, pays capitaliste autoritaire et antisocial s'il en est, il reste cependant possible encore que plus de 2 millions d'opposants au gouvernement en place prennent la rue pendant plusieurs heures et bloquent par la grève des secteurs de l'économie ! Une mobilisation imposant, par sa massivité, certes provisoirement mais ce n'est pas rien, la neutralisation de la policiarisation de l'espace public. Or en Russie, cela fait des années qu'aucun rassemblement d'opposition n'est admis dans l'espace public de ce qu'il faut appeler une dictature capitaliste, terroriste, ultraréactionnaire (cléricalement/religieusement opposée à la décadence morale d'un Occident cédant aux diaboliques sirènes du féminisme et des gays et autres trans), néofasciste-gangstérisée-mafieuse et belliqueusement expansionniste ! La politique s'y réduit au bénéfice du cercle restreint, traversé de luttes de clans mais tous aussi antipopulaires les uns que les autres, des affidés du maître du Kremlin. Lequel mobilise, à l'intérieur du pays, les forces répressives autrement que peut le faire ce nain en politique autoritaire qu'est, par comparaison, "notre" Macron : la différence, que le sectarisme des gauches campistes ou "pacifistes" négligent (que ce terme est faible !), étant que, dans le cas de la France, la tentation autoritaire, à dynamique fascisante non aboutie mais menaçante, n'est pas évidemment, loin, très loin de là, la structure totalitaire aboutie du régime poutinien. Un minimum de lucidité politique retrouvée, nourrie à une approche du passé comme du présent débarrassée des simplismes et outrances dogmatiques ou adaptatives au système ayant abouti à l'extraordinaire culbute de la gauche se proclamant historiquement d'émancipation et ruinant sa crédibilité, devrait permettre d'opérer une différence essentielle invalidant tout équidistancisme : entre, d'une part, des démocraties libérales, dont le caractère démocratique, en voie de rétrécissement, ne relève pas d'un cadeau systémique mais des acquis politiques imposés par les luttes populaires, lesquels acquis sont le fondement même par où les dérives extrême-droitisées dudit pouvoir libéral autoritaire pourraient être combattues et, d'autre part, des régimes totalitaires ayant réussi à mener à son terme (comme on dit mettre un terme) précisément le processus de dégénérescence de démocraties ayant, par la radicalisation de leurs tentations autoritaires, ouvert les vannes aux néofascismes !
Il n'y a donc, la belle découverte, pas photo ou plutôt si, dans ce constat à deux volets : 2 millions en France en opposition ouverte au pouvoir, aucune contestation ouverte de masse en Russie laissant ainsi au pouvoir toute latitude pour imposer son arbitraire social et politique et pour se lancer dans une guerre, comme probablement l'on n'en a pas vu depuis la Seconde Guerre mondiale, massacrant des Ukrainiens et menant au massacre tant de Russes. Constat aveuglant ... de clarté, nécessaire pour sortir des funestes cécités ambiantes à gauche, qui pourrait aider à ouvrir l'espace d'une reconstruction politique urgente. Celle d'une gauche se battant pour les libertés (et, en logique propre, pour la justice sociale et l'égalité) là où elles sont menacées (en France par exemple) et, consubstantiellement à ce choix, en manifestant sa solidarité envers les peuples, comme en Russie, ayant perdu les leurs ou, comme en Ukraine, luttant pour ne pas les perdre.